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Le forum des profs innovants : décryptage
Les innovations pédagogiques explorent le système scolaire
Souvent mis en place par nécessité face à des classes et des enfants en difficulté, les enseignements alternatifs séduisent et transforment toujours plus les rapports entre professeurs, élèves et parents.
Pauline Schmidt ne voit vraiment pas comment elle aurait pu faire travailler ses élèves sans passer par une pédagogie alternative. Dans son école élémentaire située dans un quartier défavorisé de Perpignan, cette directrice accueille 140 enfants, en majorité issus d’une communauté gitane sédentaire. Quand elle a débarqué dans l’établissement comme prof, il y a cinq ans, les élèves « ne tenaient pas assis plus de dix minutes et l’absentéisme atteignait des taux records, jusqu’à 50 % à certaines périodes de l’année ». Elle n’avait que douze CE1, « mais ils pouvaient me retourner la classe ». Elle s’est vite rendue à l’évidence : pour ces élèves, les cours classiques ne fonctionnent pas. Pas question pour autant d’abandonner et de se retrouver « à faire du coloriage toute la journée ». Pauline tient à ce que ces enfants « sachent lire en CE2 pour qu’ils aient une vie décente ». [...]
« Projet de destruction »
« Dans les milieux difficiles, les élèves résistent plus que les autres à l’enseignement qu’on leur donne donc ça oblige les enseignants à imaginer des formules nouvelles. Comme dans les ampoules, la résistance c’est ce qui résiste au passage du courant mais c’est aussi ce qui éclaire, observe Philippe Meirieu, pédagogue et professeur honoraire en sciences de l’éducation. Les innovations donnent envie d’aller à l’école, c’est une des conditions de la réussite. »
L’exécutif, qui semble d’accord, a annoncé, fin août, la création d’un fonds d’innovation pédagogique doté de 500 millions d’euros, censé récompenser les initiatives allant en ce sens, et a fait de Marseille un « laboratoire » pour ses « écoles du futur ». Pourtant, la démarche hérisse les poils de nombreux enseignants. D’autant plus depuis que le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé que les projets ne seraient pas financés « aveuglément » et devraient déboucher sur une amélioration du niveau scolaire. Le ministère se basera pour cela sur les évaluations nationales qui existent en CP, CE1, sixième et seconde et bientôt en CM1 et quatrième.
« On ne donne pas plus à ceux qui sont en difficulté mais à ceux qui savent se vendre, grince Philippe Meirieu. Depuis la loi d’orientation de 1989, la loi dite Jospin, tous les établissements sont obligés de faire un projet. Donc c’est un peu comme si Macron demandait aux médecins de faire des ordonnances ! » Le chercheur voit en cette mainmise de l’Etat sur les projets innovants le risque d’une mise en concurrence des écoles. « Les parents feront leur marché dans les établissements les plus innovants. C’est un projet de destruction du service public. »
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Souder professeurs et parents
Germain Filoche s’est, lui, vite rendu compte que la méthode traditionnelle seule ne suffisait pas. Lorsqu’il a commencé, en tant que contractuel, il a déboulé devant ses premiers élèves sans préparation ni connaissance des programmes. « Au début, on essaye de reproduire les méthodes des enseignants qu’on a eus. On ne se rend pas compte du type d’élèves qu’on a en face : bavards, agités, qui cherchent parfois le conflit. On comprend assez vite qu’on ne peut plus faire comme avant, qu’on est obligé d’innover. Pour ceux qui ne le font pas, en général, ça ne se passe pas très bien. »
[...] « Les innovations en milieu populaire marchent lorsqu’elles associent les familles, explique Yves Reuter, professeur émérite à l’université de Lille (1). Si on arrive à les constituer comme des alliés, c’est important, parce que ces familles se sentent démunies par rapport à l’école qui leur semble être un lieu opaque, qui les méprise. C’est là que les méthodes classiques montrent leurs limites. » Regroupés en binômes complémentaires « pour se tirer vers le haut », les élèves de Jérémie Fontanieu doivent toute l’année bosser à fond et être ultra-ponctuels. Résultat : les terminales qui ont suivi cette méthode forte et innovante obtiennent 100 % de réussite au bac depuis cinq ans.
« Héritage »
« L’innovation pédagogique s’est souvent faite par nécessité pour faire face à des publics difficiles donc il y a eu une sorte d’héritage autour des pratiques pédagogiques dans l’éducation prioritaire, qui devraient servir d’exemple pour enseigner même en dehors de l’éducation prioritaire », constate Aziz Jellab, sociologue et professeur des universités associé à l’université Paris-Lumières. C’est justement le cas du projet « Réconciliations » de Jérémie Fontanieu, qui a été adopté par 130 autres profs ne travaillant pas forcément avec des élèves de milieux défavorisés.