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Rapport 2023 de la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur
Édito
Dans un contexte sociétal qui s’est considérablement tendu depuis quelques années, marqué par des phénomènes de violence, d’agressions verbales ou physiques et d’incivilités en tous genres qui rejaillissent immanquablement sur l’École et l’Université, je tiens avant tout à saluer l’engagement et le travail des médiateurs académiques qui œuvrent, tout au long de l’année, à préserver des espaces de dialogue et de confiance entre les usagers, l’administration et tous les acteurs de la communauté éducative.
Aux côtés du pôle national, ils ont su répondre avec beaucoup de bienveillance, de diligence et de professionnalisme à une demande croissante d’écoute, d’explication et de considération de la part des familles, des étudiants et des personnels, qui souhaitent être mieux associés aux décisions les concernant et expriment, au cours des médiations, un sentiment d’anxiété et d’insécurité.
Les établissements d’enseignement et les territoires scolaires sont des microsociétés où se concentrent, au-delà des enjeux de formation et d’éducation, des problématiques sociales et familiales parfois complexes. À cette complexité s’ajoutent les pesanteurs, voire l’opacité de certaines procédures administratives, de plus en plus dématérialisées, tendant à accentuer l’incompréhension et la défiance des usagers vis-à-vis de leur administration. Réciproquement, un sentiment d’essoufflement se fait sentir chez un certain nombre d’agents, au sein même de l’administration comme dans les établissements, lié à l’effort considérable qu’ils ont dû fournir pour s’adapter aux réformes et aux transformations de leur environnement, et faire face à des crises multiples. On ne peut oublier, en particulier, les événements tragiques qui ont frappé l’ensemble de la communauté éducative en 2023, depuis le suicide de plusieurs enfants victimes de harcèlement jusqu’à l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de français, poignardé dans son établissement.
L’année 2023 a donc été une période très intense pour la médiation. La hausse du nombre de saisines s’est poursuivie à un rythme accéléré. Plus que jamais, nous appréhendons l’importance qu’il y a à promouvoir et à faire vivre, à tous les étages du système éducatif, les valeurs et les principes de la médiation, qui sont aussi ceux de notre République : le dialogue, la tolérance, le respect des différences, le débat démocratique et la recherche de l’équité, afin de ne jamais laisser s’enclencher la spirale de la haine ni prospérer une situation portant atteinte aux droits fondamentaux ou à la dignité des personnes.
Catherine Becchetti-Bizot
Médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur
Extrait de education.gouv.fr du 17.07.24
Rapport de la médiatrice : « un besoin croissant d’écoute, d’explication en transparence, de considération »
La médiatrice de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur, Catherine Becchetti-Bizot, a présenté son rapport annuel mercredi 17 juillet 2024, « pour faire un état des lieux des réclamations (…) assez représentatives de la situation reflétant les inquiétudes et difficultés des usagers et personnels de l’éducation. » Selon elle, la tendance dominante qui ressort en 2023 est une « demande et un besoin croissant d’écoute, d’explication en transparence, de considération » pour les personnels comme pour les usagers.
Rapport 2023 de la médiatrice de l’Éducation nationale : « un besoin croissant d’écoute, d’explication et de considération »
La médiatrice de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Catherine Becchetti-Bizot, a présenté son rapport annuel mercredi 17 juillet 2024, « pour faire un état des lieux des réclamations (…) assez représentatives de la situation reflétant les inquiétudes et difficultés des usagers et personnels de l’éducation. » Selon elle, la tendance dominante qui ressort en 2023 est une « demande et un besoin croissant d’écoute, d’explication en transparence, de considération » pour les personnels comme pour les usagers.
Le rapport 2023 « Faire alliance, redonner confiance »
Dans son rapport, la médiatrice rappelle les valeurs et les principes de la médiation, « qui sont aussi ceux de notre République : le dialogue, la tolérance, le respect des différences, le débat démocratique et la recherche de l’équité, afin de ne jamais laisser s’enclencher la spirale de la haine ni prospérer une situation portant atteinte aux droits fondamentaux ou à la dignité des personnes. » Jusqu’en 2005, la médiation -créée en 1998 – était plutôt saisie par les personnels. Une tendance qui s’inverse aujourd’hui avec plus de saisines par les usagers, signe d’une relation école-famille qui se dégrade.
Le rapport « Faire alliance, redonner confiance » présente les origines des saisines par catégorie de réclamants, les domaines de saisines avec des éléments sur les évolutions et des éléments d’analyses prospectives. Ce sont en 2023 plus de 20 000 saisines, soit un nombre en augmentation, mais au regard des 12 millions d’élèves et apprentis, la médiatrice rappelle que « c’est relatif et qu’il est difficile de généraliser ». Si le rapport « montre les sujets d’anxiété, de difficultés, il essaie aussi de tracer des recommandations pour améliorer le système éducatif, avec des nuances et des bonnes pratiques. » Elle précise qu’il s’agit « d’un réseau de 87 médiateurs dans les académies répartis sur tout le territoire pour répondre aux réclamations des établissements scolaires et universitaires, comme des services académiques » qui permet d’arriver à 78% de résolution des saisines.
Un contexte tragique et des hausses de sollicitations : un besoin d’écoute et de dialogue croissant
Le contexte 2023 a été jalonné de situations dramatiques que la médiatrice rappelle : des suicides d’enfants victimes de harcèlement à l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de français poignardé dans son établissement. Elle rappelle que l’école est un réceptacle de nombreuses problématiques sociétales : « les sujets de tensions dans les établissements sont des sujets de société ». L’année 2023 a connu une montée de phénomènes d’incivilités et de harcèlements. La médiatrice évoque la complexité des procédures administratives qui est aggravée par des pratiques du numérique, nécessitant des formations. Pour elle, « tout cela accentue anxiété des familles et un phénomène de défiance des usagers vis-à-vis de l’institution, ce qui accentue la pression sur les personnels. »
Le rythme de saisine a plus augmenté en 2023 – c’est une hausse de 12% en 1 an, de 42% en 5 ans, de 76% en 10 ans. Cette hausse ne signifie pas qu’il y a plus de problèmes qu’avant, mais que les médiateurs ont gagné en visibilité. Pour 2023, ce sont plus de 20 000 demandes qui ont été traitées, soit un peu plus de 90% des saisines. Cette augmentation traduit un besoin d’écoute, de dialogue à la fois des personnels comme des usagers selon la médiatrice pour qui la culture de la médiation pénètre la culture de l’Éducation nationale. La médiatrice préconise un apaisement par la formation, avec des ressources par difficulté identifiée, des outils, des référents et le développement des compétences psycho-sociales.
Beaucoup de recours sont en effet « un appel à soutien ». 21% des sollicitations ne sont pas des réclamations, mais relèvent d’un besoin de comprendre une décision, d’une demande de conseil ou d’information. La médiatrice relève « un besoin croissant d’écoute, d’explication en transparence, de considération ».
Les saisines des personnels
Le premier sujet de réclamation des personnels concerne la rémunération et ce domaine est en hausse (+91% en 5 ans) particulièrement les contractuels qui concerne 1/3 des demandes dans ce domaine. Il s’agit du premier domaine de saisine pour les AESH, AED.
Le second domaine est la question statutaire (avancement d’échelon, détachement, PPCR, ruptures conventionnelles), ces réclamations ont augmenté de 51% en 5 ans. Ces questions sont l’objet de tensions car elles relèvent de la reconnaissance du travail accompli. Enfin, 15% des saisines portent sur les affectations. La question des mutations est un point sensible en termes d’attractivité du métier. 13% porte sur le climat au travail (entre pairs, avec hiérarchie, demande de protection juridique). Enfin 13% des saisines concernent les relations professionnelles (entre pairs et hiérarchiques) et le climat au travail -organisation et conditions de travail, présomption de harcèlement ou de discrimination, demandes de protection juridiques-, ce domaine connait une hausse de 78% en 5 ans, et 122% pour les relations entre collègues. Tous ces sujets participent à la souffrance au travail des personnels.
Les saisines des usagers : « une culture du rapport de force aux antipodes de l’alliance éducative »
73% des saisines proviennent des usagers (familles, élèves et étudiants pour 30%). Cette part indique une défiance et une relation école-famille qui semble se dégrader, et ce au détriment des élèves et ce, dès l’école primaire avec une hausse sensible de saisines concernant le 1er degré (+37%). Beaucoup de saisines concernent le second degré avec une tendance à la hausse dans le privé. La médiatrice relève que le nombre de saisines pour Parcoursup diminue. Le rapport retient trois objets de saisines : les contestations portant sur la nature et le fondement même des enseignements, les problématiques liées aux difficultés de mise en œuvre de l’École inclusive et l’accroissement de l’agressivité, verbale ou physique, dans les relations entre les familles et l’école.
39 % des saisines concernent la vie quotidienne et les conflits établissement-parent d’élève. Ce domaine, passé en première position depuis deux ans, a connu une très forte progression, c’est un doublement en cinq ans. La relation École-familles semble se dégrader. La médiatrice note qu’ « une culture du rapport de force, aux antipodes de l’alliance éducative nécessaire pour assurer l’accompagnement et la qualité du parcours des élèves semble se développer ». Cette évolution peut être constatée dès l’école primaire (30 % des réclamations). Dans un contexte d’anxiété montante, le rapport souligne un besoin d’explication pour les familles au sujet des examens, de la notation. L’exemple récent des notes de jury du baccalauréat montre l’absence de confiance dans l’institution. Il s’agit de redonner confiance en l’autorité comme l’expertise de l’enseignant, rappelle la médiatrice. Le rapport souligne le travail des enseignants, et s’emploie à mettre en valeur ce qui fonctionne.
Les conséquences des saisines sur le bien-être des personnels : la souffrance au travail
Les réclamations et la culture du rapport de force a un impact sensible sur le bien-être des personnels car la dégradation du climat scolaire comme les conflits relationnels entre famille et établissements (21% des saisines de ce domaine) ou interne à l’établissement a un impact sur l’exercice du métier de tous les personnels de l’Éducation nationale – 20% des saisines sont des contestations de mesures et sanctions disciplinaires et 16% sont liées au fonctionnement, 10% des situations de harcèlement.
Les saisines des usagers, la mise en accusation parfois agressive provoquent de la souffrance, de l’anxiété ou du découragement chez les personnels. Un contexte de dégradation du climat scolaire, d’augmentation de la violence ou d’incivilité nuit à l’attractivité du métier et au malaise des personnels.
Le rapport met l’accent sur l’enjeu du lien de confiance dans un contexte de perte d’attractivité des métiers de l’éducation : « La prévention, la gestion et la résolution de ces situations génératrices de conflit constituent un enjeu majeur pour l’institution : il s’agit, pour combattre le « désenchantement de la profession », de restaurer le lien de confiance indispensable entre les familles et les équipes pédagogiques ou éducatives, afin que celles-ci puissent accomplir sereinement leur mission d’instruction, d’éducation et d’émancipation, qui est au cœur du projet démocratique et républicain. Or ces dernières se sentent fréquemment délégitimées et fragilisées par ces agressions et sont en attente de soutien et de reconnaissance de la part de leur hiérarchie. »
Le rapport précise que ces chiffres sont à manier avec prudence car certains personnels ne font pas de recours par peur de représailles de leur hiérarchie. S’il est difficile de comparer avec les années précédentes, puisque le dispositif était moins connu par exemple, ces chiffres disent quelque-chose de la souffrance au travail des agents et d’une défiance des usagers envers l’institution. Ce constat s’inscrit dans la crise d’attractivité des métiers de l’éducation avec une baisse d’1/3 du nombre d’inscrits en 15 ans et des démissions en augmentation.
Djéhanne Gani
Extrait de cafepedagogique.net du 17.07.24
Rapport de la médiatrice : “la relation école-famille semble se dégrader“ (Catherine Becchetti-Bizot)
A l’école, “une culture du rapport de force“ semble s’installer petit à petit, constatait mercredi 17 juillet la médiatrice de l’Education nationale lors de la présentation de son rapport annuel.
Selon Catherine Becchetti-Bizot en effet, “la relation école-famille semble se dégrader“, notamment du côté des usagers dont 39 % des demandes de médiation ont concerné la vie quotidienne et les conflits au sein des établissements. Ces saisines de familles et d’élèves concernent majoritairement le 2nd degré public (48 %), moins le 1er degré (14 %) où l’on voit cependant se confirmer une “hausse de la conflictualité“. La progression du nombre de saisines est encore plus rapide dans l’enseignement privé, qui représente quelque 10 % des demandes de médiation des usagers en 2023 (les pourcentages restants concernent notamment l’enseignement supérieur ou le hors contrat, ndlr).
Défiance
Il est ainsi question d’une forme de “défiance des usagers“ vis à vis des institutions et du système éducatif, avec une hausse des réclamations mais surtout une tonalité “plus acerbe“ dans leur formulation. On la retrouve par exemple lors des évaluations des examens, certaines familles interrogeant la rigueur et l’objectivité des jurys, comme l’a montré récemment l’affaire “Yabné“ (voir ToutEduc ici). D’autres familles saisissent également des médiateurs au sujet des enseignements transversaux, en particulier autour des “éducations à“, ayant “peur qu’on endoctrine leurs enfants, qu’on leur raconte des choses épouvantables“. Parfois ce sont même les chefs d’établissements qui se tournent vers les services de médiation du fait de familles “souhaitant connaître le contenu du cours avant le cours“.
Mais ce “fort état d’anxiété“ des usagers, qui à eux seuls formulent les trois quarts des demandes (14 171), résulte de l’irruption dans l’école, “réceptacle des problématiques sociétales“, à la fois de la “succession rapide de réformes“, de “certaines instabilités politiques“ ou encore de “la montée de phénomènes d’agressivité, du harcèlement“.
Fragilisation
En découle une pression sur les personnels qui se tournent de plus en plus vers les 87 médiateurs en activité, témoignant ainsi d’un “sentiment d’insécurité croissant par rapport à leur mission“, ils ont le sentiment d’être délégitimés dans l’exercice de leurs fonctions. Ainsi, la tendance révélée par les réclamations des personnels (un quart des 20 500 saisines de l’année dernière) se situe autour de besoins croissants d’écoute, d’explication et de considération. Cette vulnérabilité se perçoit par exemple au travers de la question de l’école inclusive, avec des équipes éducatives qui “sont investies et ne la questionnent pas“, mais font face à une mise en œuvre complexe dans les établissements pouvant générer des difficultés et nécessiter qu’ils soient accompagnés.
Au-delà de ce ressenti, les domaines principaux de leurs réclamations sont néanmoins “toujours les questions financières“, précise Catherine Becchetti-Bizot, la question des rémunération restant “particulièrement sensible, surtout pour les non-titulaires et les contractuels“. Suivent les déroulements des carrières, les affectations et mutations ou encore les relations de travail (entre pairs et hiérarchiques).
Instruction en famille
Au final les demandes de médiation ont progressé “à un rythme plus soutenu“ en 2023, +12 % contre +4 à +6 % les années précédentes. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’instruction en famille (IEF), avec un nombre de saisines (300) qui a été multiplié par 10 par rapport à 2022, peut-on lire dans le rapport. Le document ajoute que ces réclamations concernent “majoritairement l’école primaire et plus particulièrement la première scolarisation en maternelle“, en lien avec l’instruction obligatoire dès 3 ans prévue par la loi "Pour une École de la confiance". Une incompréhension de ces refus “particulièrement forte dans les familles qui ont déjà fait le choix de l’instruction en famille pour les aînés". Elles témoignent aussi de l’incompréhension des familles concernant “l’esprit de la loi“ de 2021 confortant le respect des principes de la République, “et en particulier de la nature du motif 4“ (qui permet théoriquement aux familles d’instruire elles-mêmes leurs enfants, mais qui est en réalité inapplicable, ndlr).
Face au discours sur le civisme à l’école, la médiatrice estime qu’ “on ne décrète pas l’autorité, on la construit en recréant un lien de confiance entre les personnes“. Un travail de longue haleine dans une société morcelée.