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Bilan 2024 de l’éducation prioritaire
La politique d’éducation prioritaire en France, instaurée en 1982, vise à lutter contre les inégalités scolaires en concentrant des moyens supplémentaires dans les zones défavorisées. Le rapport de la DEPP de juillet 2022, mis à jour en avril 2024, explore les effets de la réduction des tailles de classes, les résultats scolaires des élèves, et les perceptions du climat scolaire, en offrant un regard détaillé sur l’impact des mesures éducatives dans les zones d’éducation prioritaire. Il rappelle aussi que l’éducation prioritaire demeure un pilier essentiel de la lutte contre les inégalités scolaires en France.
Une histoire de l’éducation prioritaire : des zones aux réseaux
La politique d’éducation prioritaire en France a été initiée en 1982 avec la création des zones d’éducation prioritaire (ZEP). Elle avait pour but de renforcer l’action éducative dans les zones où les conditions sociales sont un obstacle à la réussite scolaire. L’objectif premier était d’améliorer significativement les résultats scolaires des élèves les plus défavorisés en allouant davantage de moyens aux zones particulièrement défavorisées.
Au fil des décennies, la carte de l’éducation prioritaire a évolué. À la rentrée 1999, la structure des réseaux d’éducation prioritaire (REP) a été introduite, supprimant la notion de « zones » au profit de réseaux de coopération entre établissements scolaires. En 2015, la politique a été révisée pour inclure les réseaux d’éducation prioritaire renforcés (REP+), concentrant les efforts sur les zones les plus défavorisées.
En 2022, les REP+ regroupaient 361 collèges publics et les REP 731 collèges publics, représentant ensemble un cinquième des collégiens du secteur public. Cette répartition hétérogène sur le territoire reflète les disparités économiques et sociales des régions françaises.
La répartition des collèges en éducation prioritaire n’est pas homogène sur le territoire. Les REP+ concernent principalement les quartiers ou secteurs isolés qui connaissent les plus grandes concentrations de difficultés sociales. Près de quatre collèges REP+ sur dix sont concentrés dans cinq départements : le Nord, la Guyane, la Seine-Saint-Denis, les Bouches-du-Rhône et La Réunion. À l’inverse, 31 départements, plutôt ruraux, n’ont aucun collège REP+.
Les élèves en éducation prioritaire : un profil marqué par les difficultés
Les élèves scolarisés en éducation prioritaire cumulent souvent des difficultés sociales et scolaires dès leur entrée en CP. À la rentrée 2022, 7,3 % des collégiens étaient scolarisés en REP+ et 14,2 % en REP. Ces élèves sont majoritairement issus de milieux défavorisés : 70 % des élèves en REP+ et 56 % en REP ont des parents ouvriers ou inactifs, contre 35 % dans les établissements publics hors éducation prioritaire.
Les collégiens de l’éducation prioritaire se distinguent par une forte concentration d’élèves d’origine sociale défavorisée. Ainsi, 84 % des collèges en REP+ et 34 % des collèges en REP accueillent au moins 60 % d’élèves d’origine sociale défavorisée, contre seulement 2 % des collèges publics hors éducation prioritaire. Ces disparités sociales se reflètent également dans les niveaux de performance scolaire. Les élèves entrant dans des écoles en EP sont plus souvent en difficulté dès le début de CP. Les écarts de niveaux en français et en mathématiques sont significatifs entre les élèves des écoles en EP et ceux hors EP. Ces difficultés se prolongent au collège, où les élèves de REP+ et REP ont des résultats inférieurs aux évaluations nationales en début de sixième.
Autre information, les élèves en éducation prioritaire rencontrent des difficultés scolaires dès leur entrée en CP. Par exemple, à la rentrée 2022, la proportion d’élèves ayant une maîtrise satisfaisante de la compréhension orale de mots est de 75 % dans le secteur public hors EP, contre 53 % en REP et 43 % en REP+. En mathématiques, les écarts sont également marqués, particulièrement dans la résolution de problèmes, avec 70 % des élèves du secteur public hors EP présentant une maîtrise satisfaisante contre 54 % en REP et 47 % en REP+.
L’impact de la réduction de la taille des classes
L’une des mesures phares de l’éducation prioritaire sous Macron a été la réduction de la taille des classes. Depuis 2017, les classes de CP, CE1 et grande section de maternelle en REP+ et REP ont été dédoublées, ce qui a significativement diminué le nombre d’élèves par classe. En 2022, les classes de CP en REP+ comptaient en moyenne 12,5 élèves, contre 21,7 en 2015.
Si les évaluations montrent un impact positif de cette mesure, particulièrement visible en CP avec des élèves en REP+ qui progressent davantage en français et en mathématiques par rapport à leurs pairs en REP, cet effet ne semble pas se prolonger au CE1, où les différences de progression sont moins marquées. Les bénéfices de la réduction des tailles de classe sont les plus notables en CP, où les écarts de performance en mathématiques entre les élèves de REP+ et ceux des écoles comparables se réduisent significativement.
La mise en œuvre du dédoublement des classes a permis de créer un environnement plus propice aux apprentissages selon les auteurs et autrices de la synthèse. Les enseignants bénéficiaires de la mesure rapportent une amélioration notable du climat de classe et une plus grande confiance dans leur enseignement. Les pratiques pédagogiques évoluent, avec une plus grande différenciation et un recours accru à la pédagogie active.
Perceptions du climat scolaire et conditions d’enseignement
Le climat scolaire en éducation prioritaire est perçu de manière contrastée. Les collégiens en REP+ et REP ont une perception positive mais plus nuancée du climat scolaire que leurs pairs hors EP. En revanche, les enseignants des collèges en EP ont une perception globalement moins favorable, soulignant des conditions de travail plus stressantes et un climat de classe moins propice aux apprentissages.
La réduction de la taille des classes a également eu des effets bénéfiques sur le climat de classe. Les enseignants rapportent une amélioration de l’ambiance en classe et une plus grande confiance dans leur enseignement. Les pratiques pédagogiques évoluent avec une plus grande différenciation et un recours accru à la pédagogie active indique la rapport.
En outre, les élèves en éducation prioritaire ont bénéficié de dispositifs spécifiques tels que les « devoirs faits » et les « cordées de la réussite », qui sont censés viser une réduction des écarts de réussite entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et ceux qui ne le sont pas.
Résultats scolaires et poursuites d’études
Les résultats scolaires des élèves en éducation prioritaire restent inférieurs à ceux de leurs pairs hors EP. En 2022, 23,7 % des élèves des collèges REP+ et 32,3 % des élèves des REP ont obtenu une moyenne supérieure à 10/20 aux épreuves écrites du diplôme national du brevet (DNB), contre 52,8 % dans les collèges publics hors EP. Les élèves des collèges en EP réussissent moins bien aux épreuves écrites du DNB, avec une proportion importante d’élèves obtenant moins de 8/20.
Après la troisième, les élèves en éducation prioritaire poursuivent moins souvent en seconde générale et technologique. En 2021, 53,8 % des élèves en REP+ et 59 % en REP ont intégré une seconde générale et technologique, contre 65,6 % des élèves des collèges hors EP. Les élèves en EP sont également plus nombreux à s’orienter vers des filières professionnelles ou en CAP sous statut scolaire.
Les évaluations d’impact menées par la DEPP montrent que les écarts de performance entre les élèves en EP et ceux hors EP persistent. Les élèves en EP progressent moins au cours de leur scolarité au collège, mais les dispositifs d’éducation prioritaire parviennent à contenir l’effet de la concentration de difficultés sociales.
Les enseignants en éducation prioritaire : un engagement constant
Les enseignants en éducation prioritaire jouent un rôle crucial dans la réussite des élèves. En 2022, 25 % des enseignants du secteur public exercent dans une école située en éducation prioritaire, et 24 % au collège. Ces établissements accueillent relativement plus de jeunes enseignants, souvent plus motivés et engagés dans des pratiques pédagogiques innovantes.
Les conditions de travail des enseignants en éducation prioritaire sont marquées par des défis spécifiques. Ils doivent souvent faire face à des classes hétérogènes et à des situations sociales complexes. Cependant, la réduction de la taille des classes et les dispositifs de formation continue et de soutien professionnel contribuent à améliorer leurs conditions d’exercice. Les enseignants rapportent des effets bénéfiques sur leur sentiment d’efficacité personnelle et sur leur capacité à gérer les classes.
Les pratiques pédagogiques en éducation prioritaire se caractérisent par une plus grande collaboration entre les enseignants et une utilisation accrue des pédagogies actives. Les enseignants bénéficient de conditions particulières d’exercice permettant de développer et faciliter le travail collectif et la formation continue. Des moyens supplémentaires sont alloués pour réduire le nombre d’élèves par classe, améliorer la qualité de l’enseignement et rendre les postes plus attractifs grâce à des primes spécifiques ou à des points supplémentaires facilitant la mobilité.
Les défis persistants et les perspectives d’avenir
Malgré les avancées significatives, des défis persistants demeurent dans l’éducation prioritaire. Les écarts de performance entre les élèves en EP et ceux hors EP restent importants, et les conditions de travail des enseignants sont souvent difficiles. Le maintien de la discipline et la gestion des classes sont des sources de stress importantes pour les enseignants en EP.
La période de confinement due à la crise sanitaire a exacerbé certaines difficultés. Les élèves en éducation prioritaire ont eu plus de difficultés à travailler à distance et ont souvent ressenti davantage d’anxiété face au coronavirus. Les écarts de performance entre les élèves en EP et ceux hors EP se sont creusés pendant cette période.
Pour l’avenir, il est essentiel de continuer à adapter les politiques d’éducation prioritaire aux besoins spécifiques des élèves et des établissements expliquent les auteurs et les autrices. La formation continue des enseignants, le soutien pédagogique personnalisé et les dispositifs innovants sont des leviers importants pour améliorer les résultats scolaires et réduire les inégalités.
Le bilan de l’éducation prioritaire en France montre des avancées significatives grâce à des mesures ciblées comme la réduction de la taille des classes et l’augmentation des moyens alloués. Toutefois, les défis restent nombreux, notamment en matière de réduction des écarts de performance et d’amélioration du climat scolaire.
L’éducation prioritaire demeure un pilier essentiel de la lutte contre les inégalités scolaires en France. Continuer d’y investir semble donc crucial. La refonte de l’éducation populaire, dernière grande réforme de cette politique, prévoyait une évaluation régulière – une évaluation que demande l’OZP depuis 2018, sans succès – et l’adaptation des politiques éducatives afin de garantir à chaque élève, quel que soit son contexte social, les mêmes chances de réussite scolaire et d’intégration sociale. Pourtant, depuis 2014, le dossier prend la poussière dans les placards du ministère. Sur les cinq dernières !ers ministres, seule Nicole Belloubet a évoqué la question – en promettant des nouvelles sous peu.
Lilia Ben Hamouda
Extrait de cafepedagogique.net du 28.05.24