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L’aventure, c’est l’aventure
Auteur : N. Le Rouge
Contributeur : D. Lesauvage
Collège [ECLAIR] Val d’Huisne, Le Mans (72)
Depuis septembre 2011, les collégiens d’un établissement Éclair du Mans ont la possibilité de suivre une formation au langage et à la culture cinématographiques de la sixième à la troisième. Cette "filière cinéma" a pour objectif d’ouvrir de nouvelles voies : travailler autrement, découvrir par la pratique des métiers techniques et culturels, mais aussi faciliter l’accès au lycée.
L’idée de la création d’une classe à profil cinéma est née en février 2011, pour l’intérêt du septième art, bien sûr, mais aussi dans le but de créer une nouvelle dynamique dans le collège. En effet, à la suite d’un incendie survenu en octobre 2010, les élèves et l’équipe éducative avaient été brutalement, le temps de la reconstruction, délocalisés dans un autre établissement. Un choc et une épreuve difficile pour les élèves de cet établissement d’éducation prioritaire. Pour David Lesauvage, professeur d’histoire-géographie et initiateur du projet, il s’agissait de marquer le retour sur le site originel du collège, dans des locaux neufs, en se lançant avec les élèves dans un nouveau dispositif ambitieux, un "pôle d’excellence cinéma". Après une initiation en sixième, une formation sur trois ans permettra aux élèves d’intégrer des lycées proposant l’option cinéma audiovisuel au baccalauréat. Une aventure innovante, à construire entièrement, et à laquelle s’est attelée une petite équipe d’enseignants.
La naissance logistique de l’expérimentation
Le projet a immédiatement trouvé le soutien du chef d’établissement comme celui des instances locales : celle du conseil général, celle de Jacqueline Pedoya, adjointe au maire du Mans pour le développement culturel, et conseillère générale, siégeant au conseil d’administration du collège, et aussi celle de Marietta Karamanli, députée de la seconde circonscription de la Sarthe.
La mise en place du dispositif nécessitait un investissement financier important. Le matériel (achat d’ordinateurs pour le montage des films et de caméras semi-professionnelles) a coûté 30 000 euros. Le conseil général de la Sarthe et Madame Pedoya, par le biais de son enveloppe de conseillère générale, ont subventionné la moitié du projet. Le collège a pris en charge l’autre partie des dépenses. Proche géographiquement du collège, le centre culturel de l’Espal est tout naturellement devenu un partenaire idéal et indispensable qui apporte une dynamique au dispositif : lieu d’apprentissage, lieu de rencontres avec des professionnels, lieu de tournage. Chacun des enseignants investis avait une pratique personnelle du cinéma. Mais pour assurer une formation rigoureuse aux élèves, ils souhaitent compléter leur formation sur des aspects techniques pointus tels ceux de la lumière et du son, par exemple. Le partenariat avec l’Espal remplit aussi en partie ce rôle grâce aux projets collaboratifs menés par des professionnels avec la classe cinéma.
Une formation ouverte à tous
À la rentrée 2011, le dispositif a été d’emblée mis en place sur les deux premiers niveaux, en sixième et en cinquième. Dans le collège, une salle est dédiée à la classe cinéma ; le matériel de tournage y est rangé et les ordinateurs pour le montage y sont accessibles. L’existence de cette salle participe aussi, symboliquement, à forger l’identité de la classe cinéma. Mais sur quel temps de travail ? Les enseignants ont choisi de proposer aux élèves de sixième un module d’accompagnement éducatif d’une durée de dix heures, qui leur permet de découvrir le cinéma en créant un petit film.
Lors de la première séance, les élèves découvrent le cinéma de Georges Méliès et ses trucages. Ils vont à leur tour construire un petit film à la manière de Méliès, avec une illusion d’optique. Ils entrent immédiatement dans le vif du sujet, appréhendent le maniement de la caméra, réalisent un petit montage avec le logiciel Adobe Première. Un projet déjà ambitieux, avec un temps imparti fixe. Ce module d’accompagnement éducatif, basé sur le volontariat des élèves, se place sur des plages horaires libres communes au professeur et à la classe. Plusieurs sessions ont lieu, de manière à ce que les élèves de toutes les classes aient l’opportunité d’y participer.
La première année, vingt-quatre élèves enthousiastes ont suivi ce module de découverte. À partir de la cinquième, les élèves désireux de poursuivre la formation sont regroupés dans une classe. Ils sont vingt-deux cette année. Le temps d’enseignement et de pratique cinématographique est hebdomadaire et s’effectue sur un temps d’Itinéraire de découverte d’une heure trente. Mais il y a des moments forts, des temps de tournage, notamment, qui peuvent ponctuellement mobiliser une journée entière. C’est surtout pour cette raison que le regroupement des élèves impliqués dans une seule classe a été préféré.
Le cinéma sous toutes ses formes
L’équipe enseignante tient à offrir aux élèves une formation qualitative qui alterne des temps de pratique et des temps de formation d’une culture cinématographique : analyse filmique, histoire du cinéma. Pour cela, les professeurs prennent notamment appui sur le dispositif Collège au cinéma. Le visionnage des films préparé en classe est enrichi par une approche thématique.
Au premier trimestre, les élèves de cinquième sont allés voir Les 400 coups, de François Truffaut. L’analyse du film a été prolongée par le visionnage d’extraits d’un second film, La guerre des boutons, d’Yves Robert, afin de comparer les deux approches du thème de l’enfance. En parallèle, les enseignants ont construit une progression technique sur les deux années de cinquième et de quatrième, ponctuée de fiches pratiques et récapitulatives des notions (voir annexe).
Les élèves construisent donc des compétences et une banque de données de référence. L’objectif est qu’à l’entrée en troisième, les élèves soient autonomes, prêts à créer intégralement un projet de groupe soumis à évaluation dans le cadre de l’oral de l’histoire des arts. Trois caméras sont disponibles, la classe sera donc divisée en trois groupes qui produiront chacun un film. Les élèves auront déjà une expérience de l’écriture de scénario, de cadrage, de découpage, de montage. Pour atteindre cet objectif, au cycle central, un axe de travail technique est privilégié annuellement : le cadrage en cinquième, et le son et la lumière l’année suivante. Pour ces deux années, le schéma annuel des séances est identique. Au cours du premier trimestre, les enseignants proposent des exercices de découverte à la classe, puis le reste de l’année est consacré à la mise en œuvre d’un projet avec le concours d’un professionnel du cinéma.
Des projets avec des cinéastes professionnels
En cinquième, l’axe choisi est le cadrage, la valeur des plans et les mouvements de caméra ; le langage filmique est donc au centre des préoccupations. Cette année, la classe de cinquième va travailler avec Gérard Sergent, chef opérateur. Il s’agira de réaliser un clip vidéo illustrant un titre d’un chanteur de la scène mancelle. Le choix du projet est en corrélation avec l’axe de travail annuel, puisqu’il permettra de se concentrer sur la réalisation sans se soucier du son. Voir à l’œuvre un professionnel du cinéma, travailler avec lui et sous son égide est une source d’apprentissage inestimable pour les élèves comme pour les professeurs. Toute la classe de cinquième sera mobilisée en février. Ensuite, selon la durée du projet, l’équipe envisage de faire un autre clip au troisième trimestre, en autonomie, cette fois. En quatrième, le son et la lumière sont plus précisément travaillés.
Le projet annuel portera sur le genre documentaire en collaboration avec le réalisateur Michel Esquirol. Trois courts-métrages vont être produits autour de manifestations qui ont lieu à l’Espal. Le premier sera consacré à l’exposition "Voir l’arbre" présentée de janvier à avril 2013. Ce premier documentaire s’articulera autour d’interviews des artistes, d’images du vernissage et des œuvres exposées. Le second sera consacré à la représentation de la pièce Tartuffe, de Molière, mise en scène par Monique Hervouët. Là aussi, une interview du metteur en scène, des comédiens, des images des répétitions et de la première viendront nourrir le film des élèves. Le troisième documentaire sera consacré aux coulisses de l’Espal, un univers ignoré des collégiens et peut-être même un peu mystérieux. Par ailleurs, le dispositif est parrainé par le cinéaste Costa-Gavras qui est venu récemment rencontrer l’équipe et les élèves. Une journée riche pour les collégiens : ils ont mené une interview du réalisateur tels de vrais professionnels (voir ci-dessous) puis ont reçu les commentaires et conseils du cinéaste sur un des courts-métrages qu’ils ont réalisé. Une leçon de cinéma que ces jeunes ne sont pas près d’oublier.
Réfléchir, créer, analyser : de la photographie...
Pas de temps mort, donc, pour ces élèves qui apprennent en action et en groupes de quatre ou cinq pour le tournage, puis de deux pour le montage. Ce souci de construire les apprentissages en faisant et en se confrontant aux difficultés qui émergent inévitablement fonde la pédagogie adoptée par les professeurs. Voici, par exemple, la série progressive d’exercices proposés en début de cinquième pour appréhender les enjeux du cadrage et des plans.
Dans le premier exercice, les élèves observent une photographie qui joue avec une illusion d’optique. Ils ont pour mission d’en réaliser une à leur tour. Il ne s’agit pas d’utiliser des trucages numériques, mais bien de jouer avec des angles de vue et des cadrages qui donnent une impression étrange ou amusante. Dans un second exercice, un scénario est donné à chaque groupe : les élèves doivent le mettre en images en six photos. Un travail qui nécessite de réinvestir les apprentissages du premier exercice, mais exige aussi une réflexion sur la mise en scène.
Un bilan collectif est effectué. Premier indice de réussite : les autres élèves comprennent-ils bien le scénario donné ? Sinon, quel découpage aurait été plus judicieux ? On affine le regard et la réflexion technique. À la fin, le professeur distribue une fiche récapitulative de l’échelle des plans.
... au film
Dans le troisième exercice, le professeur montre aux élèves une séquence mettant en scène un court scénario fictif qui se déroule dans une classe avec un professeur. Les élèves vont refaire le film en le découpant en cinq plans et avec des contraintes : ils doivent utiliser un plan d’ensemble, un plan moyen ou rapproché et trois gros plans. Les groupes préparent leur découpage puis filment. C’est alors l’occasion d’apprendre et d’utiliser le vocabulaire professionnel du tournage ("moteur, ça tourne, coupez...") et l’utilisation du clap. Il faut ensuite monter la séquence en intégrant un générique de début et de fin.
À l’issue du travail, la classe visionne les films, on émet des critiques constructives, puis on décerne les palmes. La classe revoit ainsi les notions de cadrage, d’échelle des plans, de découpage. Enfin, le professeur distribue une fiche-bilan sur le montage. Chaque exercice permet de donner aux groupes de plus en plus de liberté, mais exige par ailleurs de réinvestir les notions déjà abordées. Le quatrième et dernier exercice avant la mise en œuvre du projet annuel est de créer un scénario librement, de le découper en quinze plans maximum, de prévoir les angles de caméra, de filmer et de monter le film.
Apprendre en collaborant
Les enseignants du dispositif suivent un complément de formation spécifique aux professeurs ; ils participent par exemple aux ateliers d’analyse filmique proposés par le dispositif Collège au cinéma. Mais la formation de terrain qui s’opère lors des projets grâce à la collaboration avec des professionnels est aussi essentielle.
Ce qui est intéressant, c’est que, dans ce cadre et à certains moments, professeurs et élèves peuvent apprendre en même temps. Alors peut-être le regard des élèves sur la notion d’apprentissage peut-il aussi évoluer en prenant conscience qu’il faut travailler pour maîtriser des compétences, que le savoir n’est jamais définitif, qu’il y a toujours à apprendre, à se perfectionner. Dans cette formation, la démarche par projets de groupes, nécessitant la répartition des tâches et des compétences, est fondatrice. Elle porte ses fruits puisqu’elle aboutit à une réalisation finale. Cependant, elle va à l’encontre de la représentation que les élèves ont du travail scolaire. En fait, chacun change de posture : le professeur, qui enseigne, participe et apprend aussi, les élèves, habitués à travailler seuls, doivent s’appuyer sur les atouts de chacun afin de mener des réalisations à terme. On est dans la construction, la confrontation aux problèmes rencontrés et leur résolution. Mais tous sont en situation active d’apprentissage.
Des interactions nouvelles
De ce fonctionnement, différent des cours disciplinaires en classe entière, peut naître un nouveau regard sur les élèves de la part des professeurs, et réciproquement. D’ailleurs, la relation des enseignants de l’option avec la classe est forcément particulière. David Lesauvage explique que, très rapidement, il repère des élèves doués pour le cadrage, d’autres pour la comédie... Certains élèves en difficulté sont valorisés sur des aspects techniques. "Mon regard a changé sur certains élèves qui se sont vraiment révélés", explique-t-il.
Et les élèves, comment vivent-ils cette expérience ? Comme l’enseignement du cinéma a été ouvert sur les deux premiers niveaux du collège dès la première année, certains élèves de cinquième avaient choisi la classe par défaut (leur souhait initial était d’intégrer la classe sport). Pourtant, personne n’a regretté d’être dans ce groupe. Au contraire, "Ils sont assez fiers de faire partie de l’aventure", souligne le professeur. "Ce qui leur plaît le plus est de tourner, même si les temps d’attente sont nombreux. Je pense que le montage plaît particulièrement à certains, car ils construisent concrètement un film, c’est un peu magique, pour eux".
Du point de vue des résultats scolaires et du comportement, quelques élèves ont vu leurs résultats évoluer positivement. Le comportement en vie scolaire est aussi plus serein. Il se crée en tout cas des interactions nouvelles et durables entre les élèves de la classe, entre les élèves et leurs professeurs. L’objectif du dispositif est aussi de donner aux élèves de l’ambition en souhaitant que la dynamique de travail en cinéma - un travail différent - s’étende aux autres disciplines. "Nous n’avons pas la prétention de transformer tout le monde, mais si quelques-uns en profitent, alors nous serons heureux", conclut l’enseignant.
L’avenir : un travail en réseau
Grâce au dispositif, un élan cinéma est incontestablement né dans l’établissement qui pourrait bientôt être rebaptisé collège Costa-Gavras. Avec d’autres professeurs, les élèves de la classe cinéma étudient aussi des films (Pirates des caraïbes en français, Forrest Gump en anglais, par exemple). Le regard lié au champ disciplinaire est différent, mais complémentaire. Les membres du foyer socio-éducatif (FSE) envisagent de créer un ciné-club. Le travail amorcé en est encore à ses prémices.
Dans un second temps, d’ici un ou deux ans, l’équipe tentera d’harmoniser les pratiques de chacun afin de les intégrer dans la cohérence globale du projet. Le travail en réseau pédagogique reste aussi à mener.
À la rentrée 2013, la première cohorte d’élèves de troisième aura à se prononcer sur son orientation. Un partenariat avec le lycée Bellevue, lycée du Mans qui propose l’option cinéma audiovisuel au baccalauréat, est envisagé. Une procédure adaptée pour le recrutement des élèves issus de la classe cinéma du collège pourrait par exemple être mise en place.
Une fois le dispositif rôdé, David Lesauvage envisage également de travailler avec les écoles du réseau : la sensibilisation au langage et à la pratique du cinéma pourrait commencer dès l’école élémentaire dans la lignée de la classe "Arts visuels et cinéma" accessible au collège. La rentrée 2013, avec la première classe de troisième, permettra d’évaluer le chemin parcouru à l’issue des deux années de formation. "Nous aurons réussi si, lors de l’oral d’histoire des arts, les élèves sont capables de parler artistiquement du court-métrage qu’ils auront construit tout au long de l’année". Aujourd’hui, l’équipe souhaite que le dispositif actuel prenne bientôt la forme d’une classe à horaires aménagés, dispositif jusque-là inexistant dans le domaine du cinéma ; un défi innovant et motivant. C’est en tout cas une belle aventure qui a commencé.
Extrait du site de l’académie de Nantes du 05.12.2013 : L’aventure, c’est l’aventure