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Extrait de « Fenêtres sur cours » du 09.12.04 : Marie Duru-Bellat parle des ZEP
« L’Expresso » du 15 décembre attire l’attention de ses visiteurs sur le n° 264 de « Fenêtres sur cours », revue du SNUipp du 9 décembre : on y trouve cet entretien avec Marie Duru-Bellat.
Marie Duru Bellat, est professeur en sciences de l’éducation à l’université de Dijon et chercheur à l’IREDU : « Il est important que l’école s’intéresse aux inégalités précoces »
L’échec scolaire précoce est marqué socialement. L’école peut-elle corriger ces inégalités de départ ; est-ce sa mission ?
Dans une société moderne qui veut préserver un certain niveau de solidarité, il n’est pas anormal que l’Etat s’occupe de l’éducation au sens large : instruction et éducation. C’est une mission de service public. Il est important que l’école s’intéresse aux inégalités précoces pour s’y attaquer même si elle doit être mieux adaptée aux tout-petits enfants. Evidemment ce serait plus facile, s’ils étaient moins inégaux au départ.
Bien sûr l’école ne peut pas tout. Dans les zones où il y a concentration d’élèves en difficulté, il faut mener parallèlement une politique de la ville, de l’habitat, de l’emploi, concentrer les moyens. Mais je pense que l’école peut quelque chose, sinon ce n’est pas la peine qu’on y mette tant d’argent public et que nombre d’enseignants se donnent tant de mal pour le faire.
Comment expliquer que les inégalités continuent de se creuser à l’école ?
Les enfants sont inégaux dès leur entrée à l’école maternelle. Ce n’est pas étonnant, puisque qu’ils se développent dans un environnement social où les ressources matérielles et culturelles sont inégales. L’école n’arrive pas à combler cet écart parce qu’il y a des enfants qui profitent plus de ce qu’elle propose que d’autres. Le drame est que tout ça est cumulatif. Les inégalités de réussite se creusent année après année, peu dans le primaire et surtout à partir du secondaire du fait des stratégies des familles, que ce soit par le choix de l’établissement, le choix des options, les groupements par classe.
Vous évoquez la discrimination positive. Quel bilan tirez vous des ZEP ?
Dans notre pays, on accepte l’idée que pour être juste il faut traiter les élèves inégalement puisqu’ils sont inégaux de fait. C’est un principe qu’il faut garder. Mais en France, à l’inverse de nos pays voisins, les politiques de discrimination positive ne sont pas assumées. Les écarts de moyens entre les écoles de ZEP et celles non ZEP sont très faibles. On n’ose pas cibler, on étend sans arrêt les ZEP, ce qui accentue le saupoudrage. Sauf à doubler le budget de l’éducation, si on met plus quelque part, on va mettre moins ailleurs. Dans des périodes comme aujourd’hui où les moyens ne sont pas en extension, c’est encore plus difficile.
Comment rétablir la mixité sociale dans les zones de concentration de difficultés ; est-ce important ?
C’est important. Le fait d’être dans une école très populaire fera qu’un enfant progressera moins car les enseignants attendront moins, le climat des classes sera plus difficile, le contexte aussi. Il faut évidemment casser ça. Comment imposer la mixité sociale ? C’est très délicat parce que les groupes sociaux les mieux placés essaient de garder leur position. Des simulations montrent que les enfants des groupes les plus instruits souffriraient peu d’une plus grande mixité sociale, alors que les plus défavorisés y gagneraient beaucoup. Le seul argument pour les familles, c’est de rendre toutes les écoles de qualité égale. Ça suppose une concentration de moyens. De son côté, la sectorisation entérine une certaine ségrégation. Si l’on veut casser les ghettos scolaires, il faut redécouper les secteurs pour favoriser la mixité et les faire respecter par tous.
La seule mesure proposée pour les élèves en difficulté à l’école primaire dans la loi d’orientation est le contrat individuel de réussite. Qu’en pensez vous ?
Si ça correspond à l’idée que l’élève et sa famille doivent être impliqués pour la réussite, on est d’accord. De même, individualiser les pratiques pour faire que tous les élèves maîtrisent ce qu’on veut qu’ils maîtrisent, quels enseignants seraient contre ? Mais l’idée de contrat n’ajoute rien. On a l’impression qu’on instaure une symétrie entre l’élève qui s’engage à faire le maximum et l’école qui s’engage avec une obligation de résultat. Je ne suis pas contre l’idée d’obligation de résultats. On ne peut pas remettre la responsabilité de l’ensemble dans le camp de l’élève. On sait bien que selon les maîtres, les écoles, les élèves progressent différemment. L’école a une part de responsabilité dans la réussite. L’idée de contrat est à la mode mais me paraît absurde sociologiquement. Les contractants sont tellement différents et inégaux.
Propos recueillis par Gilles Sarrotte
Marie Duru-Bellat a publié récemment « Les inégalités sociales à l’école. Génèse et mythes », aux PUF.