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« Traiter l’éducation prioritaire sous le seul prisme de la carte serait une erreur »
Education prioritaire : "Depuis 40 ans, nous sommes dans un phénomène de zapping permanent"
Alors que Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, a annoncé le 9 décembre vouloir réviser la carte de l’enseignement prioritaire en 2023, Marc Douaire, président de l’observatoire des zones prioritaires (OZP), ne cache pas ses inquiétudes sur la politique menée actuellement par le gouvernement. Entretien.
Pourquoi est-il nécessaire de revoir la carte de l’enseignement prioritaire comme l’a annoncé Pap Ndiaye le 9 décembre dernier ?
Il était de toute façon convenu dans la circulaire ministérielle de 2014, de revoir la carte tous les quatre ans. Sa révision devait donc déjà se faire en 2019… Nous avons vu, avec la publication des Indices de position sociale (IPS), que beaucoup de quartiers ont évolué et qu’il convient de revoir régulièrement cette carte. Mais pour l’OZP, traiter l’éducation prioritaire sous le seul prisme de la carte serait une erreur. Nous allons être reçus début janvier au ministère de l’Éducation nationale, et c’est ce que nous allons dire au ministre.
L’éducation prioritaire, c’est toute une politique : des projets de réseau, un travail sur le référentiel, l’accompagnement des équipes… Mais il y a aussi les questions de la préscolarisation des enfants de moins de 3 ans, de l’articulation école/collège mais aussi avec les cités éducatives. Une clarification des chantiers engagées me semble nécessaire.
Quel bilan faites-vous de l’évolution des politiques d’éducation prioritaire depuis 40 ans ?
Dès 1981, cette politique s’affiche en rupture pour marquer la lutte contre les inégalités scolaires et sociales. Mais cela implique du temps, et des moyens avant d’évaluer les résultats. Or tous les 3 ans, cette politique est modifiée sans évaluation. En 2014, on espérait un point, un bilan, une évaluation publique. Ça n’a pas été fait. Depuis 40 ans, nous sommes dans un phénomène de zapping permanent. Or ce sont des questions trop lourdes pour être traitées de cette façon.
Le gouvernement a tout de même dédoublé toutes les classes de REP et REP+ depuis 2017.
Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle politique ?
Porter une attention à l’école, en accentuant l’effort sur les premiers apprentissages peut produire des effets car nous consacrons moins de moyens au premier degré par rapport aux autres pays européens. Mais cela doit se faire à certaines conditions. On a dédié beaucoup de moyens à cette mesure, en s’attachant à un dédoublement toute la journée. C’est un gâchis ! On aurait pu laisser la main aux professionnels de terrain pour décider de la manière d’allouer ces moyens à certains moments de la journée. Cela aurait permis d’accorder des moyens à l’entrée à l’école maternelle, une période encore plus cruciale que le CP en éducation prioritaire, pour des enfants qui n’ont pas la maîtrise du français et de la langue orale dès 3 ou 4 ans. Mais aussi d’en faire profiter à certains moments les élèves en cycle 3.
Le dédoublement des classes en REP et REP+ est présentée comme le fleuron de la politique sociale de M. Macron. Mais les évaluations nationales ne montrent pas un bénéfice très marqué par rapport à ce qui se pratiquait précédemment. Or on ne sait pas pourquoi. Quel bilan tirer du dédoublement en fonction des choix pédagogiques qui ont été impulsés ? Il faut que le ministère fasse son travail sur cette question. On ne peut pas simplement dire « on continue tel quel et peut-être qu’un jour cela produira des effets ! »
Vous considérez que la logique des contrats locaux d’accompagnement (CLA) ne peut pas être celle de l’Éducation prioritaire. Pourquoi ?
Quand les CLA ont été engagés, sur la base du rapport Azema Mathiot, il s’agissait de remplacer ipso facto les REP ! Même si Nathalie Élimas a essayé de pondérer ensuite les choses. Nous avons alors dénoncé publiquement un escamotage de l’éducation prioritaire ! Car elle ne se réduit pas à un établissement. Il s’agit d’un réseau, qui va de l’entrée en maternelle, jusqu’à la fin de la scolarisation obligatoire. Ensuite, l’éducation prioritaire vise particulièrement les quartiers ségrégués. Avec les CLA, la liberté d’initiative est donnée aux chefs d’établissement qui peuvent lancer un projet et contractualiser avec l’académie. L’enseignement privé sous contrat s‘est d’ailleurs positionné, en disant qu’il pouvait bénéficier des mêmes critères, alors qu’ils accueillent un public choisi !
Enfin, l’éducation prioritaire, c’est une politique nationale doit être portée par l’État pour lutter contre les inégalités. Que les collectivités soient associées à la mise en œuvre de cette politique, c’est bien sûr nécessaire, mais l’État ne doit pas se défausser sur elle.
Dans ce cas, comme régler la question des écoles orphelines ?
Le terme est très malheureux ! Cela fait pleurer dans les chaumières, mais ces écoles, qui ne sont pas associées à un REP, reçoivent dans certains cas des moyens équivalents. Ces questions peuvent se résoudre à l’échelle de l’académie. Je le répète, entrer par la carte, n’est pas la solution, même s’il faut la corriger régulièrement.
Il faut revenir à l’orientation originelle fixée par Alain Savary en 1981 : là où le service public ordinaire ne peut plus assumer ses fonctions, il faut que l’État engage une politique d’éducation prioritaire. Certains territoires ont des spécificités. Je pense à la Guyane, au monde ultra-marin, aux écoles rurales… Ils doivent bénéficier d’une vraie politique de lutte contre les inégalités, mais elles ne sont pas de même nature que celles qui touchent les territoires fortement ségrégués de l’Éducation prioritaire. Si on mélange tout, personne ne s’y retrouve.
Extrait de lagazettedescommunes.com du 02/01/23
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