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La coéducation : une question de mots
Dans ce sketchnote animé, le sociologue Pierre Périer - professeur en sciences de l’éducation à l’université Rennes 2 - donne une définition de la coéducation. Il s’appuie pour cela sur les résultats de deux enquêtes menées courant 2021. L’une s’appuie sur des groupes de parole de parents dits éloignés de l’école dans deux quartiers prioritaires, et l’autre sur une enquête par questionnaires auprès de 1 000 parents et 2 000 enseignants. S’il en ressort une pluralité d’attentes, de sens et parfois des malentendus, Pierre Périer nous explique qu’il est possible d’agir ensemble pour une coéducation réussie.
Intervenants
Pierre Périer
La transcription
Le premier chiffre marquant quand on pose la question aux parents : « Pour vous, à quoi correspond la notion de coéducation ? » C’est que 64 % d’entre eux ne donnent pas spontanément de réponse.
Donc, deux tiers des parents disent : « Coéducation, moi, je ne vois pas.
» Après relance, les réponses, très diversifiées, portent en premier lieu sur : « ensemble, éducation, aider ».
On voit donc que c’est assez large, qu’il y a l’idée de faire ensemble, d’être associés, d’être soutenus, soi-même ou son enfant face à l’enjeu de la scolarité.
Quand on creuse cette notion de coéducation avec les parents, on voit qu’ils mettent en avant l’enjeu de l’instruction scolaire.
L’instruction scolaire, qui prime devant l’éducation des enfants ou l’implication des parents dans les devoirs.
Donc, retenons l’idée que la coéducation, c’est avant tout la question des apprentissages, la question éventuelle des difficultés d’apprentissage.
Du côté des enseignants, là, les choses sont plus explicites.
Très spontanément, ils disent : « communication, échange, partenariat, écoute, aide et entraide, partage ».
Sur près de 6 000 mots, 527 mots différents sont donnés par les 2 000 enseignants interrogés pour nous dire ce qu’ils mettent derrière cette notion de coéducation.
On voit donc le spectre, extrêmement large, de significations, ce halo sémantique qui entoure la notion de coéducation, qui pose, finalement, la question suivante : de quoi parle-t-on lorsqu’on parle de coéducation ? Et comment engager des actions rationnelles, concertées, si, finalement, chacun met un sens différent, voire plusieurs significations dans la notion de coéducation ? Quand on essaie de préciser la notion, 55 % des enseignants disent que ce qui prime, c’est la responsabilité partagée entre parents et enseignants de l’éducation des enfants.
On a donc, d’un côté, des parents qui disent : « instruction, apprentissage » éventuellement « difficultés, aides », et de l’autre, des enseignants qui disent plutôt : « éducation des enfants ».
Sous-entendu que l’éducation des enfants, cela veut dire aussi mettre l’enfant dans les meilleures dispositions pour qu’il puisse être un sujet apprenant qui réussit en situation scolaire.
Et cela, c’est de la compétence des parents.
Bien sûr, l’instruction est également présente de même que la question du respect, par les parents, du travail des enseignants.
Cela nous fait penser aux parents intrusifs qui demandent à l’enseignant non seulement de rendre compte mais aussi, parfois, de rendre des comptes sur son action.
Il y a, de ce fait, un certain nombre d’enseignants sur la défensive, qui demandent à être davantage respectés et considérés.
C’est toute la question, délicate, de la bonne distance à trouver dans la coéducation.
Comment on règle le curseur entre distance et proximité, dans le respect mutuel et la réciprocité ? De façon synthétique, on pourrait dire qu’il y a là au moins trois familles de sens rattachées à la notion de coéducation.
Il y a le sens scolaire des apprentissages, le sens éducatif des dispositions qu’a un enfant pour ses apprentissages, et, enfin, le sens relationnel de pouvoir communiquer, échanger, faire ensemble.
Qu’est-ce qu’il y aurait de spécifique donc à utiliser le terme de coéducation ? Alors je risque une définition.
On pourrait dire que la coéducation, c’est l’action réciproque, concertée, dans l’éducation et les apprentissages au bénéfice de l’enfant.
De mon point de vue, deux choses sont très importantes : la réciprocité concertée, c’est-à-dire faire ensemble, avec l’idée que l’action de l’un renforce l’action de l’autre, et qu’il y a une concertation préalable à cette réciprocité d’actions.
Et deuxième enjeu capital, la réciprocité partagée mais dans l’intérêt de l’enfant.
Les relations parents/école doivent fondamentalement servir les apprentissages et l’intérêt scolaire de l’enfant.
Donc se demander en quoi la coéducation est-elle utile au renforcement des chances de ceux qui en ont le moins ? En quoi est-elle utile à surmonter les difficultés et les épreuves scolaires ? En quoi peut-elle aider à ce que, dans une classe, un ensemble d’élèves profite d’un climat scolaire plus favorable aux apprentissages, à la mobilisation dans les activités, à la coopération ? On voit donc que cette notion n’est pas un concept, ce n’est pas clairement une catégorie d’actions puisqu’on peut y rattacher une multiplicité d’actions.
C’est une catégorie du discours, définie par l’usage que chacun va en faire et ce qu’il va investir dans cette notion.
Il y a, par conséquent, une diversité de contenus, une pluralité d’attentes, et on peut penser que cette polysémie contribue aussi aux malentendus puisqu’on risque de ne pas y investir la même chose, avec les mêmes attentes.
En conclusion, le premier résultat qu’on peut en tirer, c’est : soyons plus explicites sur la coéducation.
Quels sont ses contenus ? Quelles sont les attentes réciproques ? Comment chacun peut-il s’inscrire dans cette réciprocité d’attentes et d’actions pour une coéducation réussie ?