"Confiance en soi, confiance dans les autres. Un témoignage d’enseignants du REP+ Anne-Frank de Saint-Dizier (archives EP de Canopé, rubrique Mutualiser)

2 février 2023

Archives du site EP de Canopé
rubrique MUTUTALISER
sous-rubrique Faire vivre un réseau apprenant

Confiance en soi, confiance dans les autres
Un témoignage d’enseignants du REP+ Anne-Frank de Saint-Dizier.
Publié le 04/12/2019

Ces récits de pratiques professionnelles sont le fruit d’un projet partenarial de formation/action réunissant la DGESCO, l’académie de Nancy-Metz et Réseau Canopé.
Leurs auteurs, des collectifs d’enseignants exerçant en REP ou REP+, livrent et partagent leurs essais, tâtonnements, réussites et erreurs, au plus près de la réalité du quotidien des classes.

Introduction
Enseignants du cycle 1 au cycle 4 en REP+, nous avons choisi de faire vivre notre « réseau apprenant » pour la réussite de tous en nous appuyant sur le référentiel « Pour l’éducation prioritaire ».

Parmi les nombreux facteurs qui participent à la réussite scolaire de tous les élèves, le consensus retenu par notre groupe était de réfléchir aux gestes professionnels qui développeraient la confiance en soi des apprenants.

Si la maîtrise du Socle commun reste une priorité, nous nous retrouvons confrontés au quotidien à des obstacles difficiles à appréhender car ils ne sont pas simplement d’ordre cognitif. L’investissement des élèves est freiné : ils ne sont pas conscients de leur valeur, ne s’autorisent pas à réussir… Ces attitudes nous ont confortés dans la nécessité de les accompagner, avec bienveillance, pour transformer leurs faiblesses en atouts.

Le contexte
Dans le REP+ Anne-Frank, les élèves sont d’origines populaires, issus majoritairement de familles immigrées (nés en France de deux parents nés à l’étranger) et autochtones d’origines mixtes (nés en France dont un parent est né à l’étranger).

Les caractéristiques du terrain : paupérisation, PCS défavorisées (chômage, sans emploi), difficultés sociales, situations familiales instables, vie communautaire, barrière de la langue, représentation erronée de l’école : c’est à l’école, en qui les parents ont grande confiance, de prendre en charge l’éducation de l’enfant pour qui ils veulent le meilleur.

Ces conditions ont des incidences fortes sur la réussite scolaire des élèves qui sont en insécurité affective, n’osent pas s’engager, ont un relationnel compliqué, manquent d’autonomie, n’expriment pas leurs ressentis…

Ces attitudes attentistes font émerger des émotions négatives, un mal-être, des angoisses, une peur de s’impliquer qui génèrent une impossibilité d’apprendre.

Notre recherche sur l’amélioration du bien-être de l’élève à l’école vise à l’impliquer non plus en tant qu’objet, mais comme sujet acteur de ses apprentissages : oser apprendre, oser s’exprimer, savoir se positionner, s’adapter à son environnement, s’ouvrir aux autres, être écouté, avoir confiance en ses pairs et en l’adulte.

La genèse de la problématique
« Le listing » : la nécessité de réfléchir à ses gestes professionnels
La mise en place d’un cadre de travail
Lors du premier regroupement académique, les membres du groupe ont échangé autour de la thématique de la confiance afin de créer une carte mentale. Cette dernière a permis de mettre en évidence les éléments clés relatifs à la confiance, et de formuler la problématique suivante : Quels gestes professionnels partagés développeraient la confiance en soi des apprenants ?

Nous avons débuté notre première réunion en explicitant ce que nous avions compris lors du premier regroupement académique. L’échange entre les membres du groupe a mis en évidence nos incertitudes quant à la finalité du projet, ainsi que la nécessité de se fixer des objectifs. Afin de commencer notre réflexion, nous avons décidé de lister nos différents gestes professionnels.

Le listing : une concrétisation importante pour notre problématique
Parmi les gestes professionnels évoqués, nous pouvons citer l’utilisation d’un langage bienveillant, l’explicitation des apprentissages, la verbalisation des émotions, la mise en place de différents espaces dans l’établissement et dans la classe, les différentes pratiques pédagogiques sécurisantes et ritualisées comme la relaxation ou la lecture.

Ce listing a permis de dégager trois axes en lien avec le développement de la confiance en en soi :
 La prise en compte de l’individualité ;
 La mise en place de projets valorisants ;
 L’importance d’un cadre sécurisant.

Les points forts et les limites de la concrétisation de nos gestes professionnels
La liste de ces différents gestes professionnels a mis en évidence des pratiques similaires, mais qui peuvent être limitées une fois l’entrée au collège : le lien avec les familles est différent et les élèves deviennent des adolescents qui n’ont plus le même rapport au corps.

Si la concrétisation est un élément important pour bien fixer notre problématique, elle a aussi permis d’en faire émerger de nouvelles : que faire des gestes professionnels que l’on fait automatiquement ? Il s’agit là de s’interroger sur le rapport qu’on a soi-même à l’enfant, sur nos réactions instinctives, sur notre adaptabilité en fonction des élèves ou encore sur nos attentes par rapport aux apprentissages sociaux. Comment prendre en compte la variabilité des classes et des enseignants ?

Conclusion
Cette réflexion autour de nos gestes professionnels a confirmé que les membres du groupe partageaient les mêmes valeurs, tout en permettant de dégager trois axes essentiels à notre problématique. Néanmoins, un certain nombre de contingents demeurent difficiles à théoriser (problème essence/expérience = qu’est-ce qui nous permet d’établir un lien de confiance ?).

Les échanges autour de nos expériences professionnelles ont également souligné deux éléments importants : la confiance est un élément clé qui peut empêcher l’enfant d’entrer dans les apprentissages ; aussi, enseigner la confiance nécessite d’avoir d’abord confiance en soi.
Le choix d’un thème
Un large choix
Le listing
Quels gestes professionnels partagés pour développer la confiance en soi des apprenants ?

Le travail en « réseau apprenant » : un dispositif qui a permis d’affiner le thème du projet
Au début de cette aventure (car il s’agit d’une véritable aventure, dans tous les sens du terme : inconnu, prises de risques, partages, doutes, essais), nous avons essayé de répondre au plus près à la formulation du projet initial impulsé par les pilotes, à savoir : « Développer la confiance en soi de l’élève dans le cadre de la construction d’un parcours individualisé ».

La composition de notre groupe de travail, constitué de personnalités d’horizons différents (enseignants de maternelle, élémentaire, collège, coordonnatrice REP+) a immédiatement représenté un atout pour le projet.

Durant les premiers mois, nous avons surtout échangé sur nos expériences de classe en nous limitant aux domaines d’apprentissages et aux compétences transversales générales. Nous pensions alors qu’une offre très large de propositions à soumettre serait un atout pour notre projet.

Le choix se précise
Lors du deuxième regroupement académique, la rencontre avec l’équipe de recherche de Saint-Dié et les échanges avec les FAEP (formateurs académiques Éducation prioritaire) ont recentré notre attention sur quelques domaines, car il s’est avéré que la problématique retenue, « Confiance en soi, en l’autre », était un sujet très vaste qui englobait de nombreux axes de travail, de la maternelle au collège.

Chacun de nous a choisi un aspect à expérimenter et développer au sein de sa classe :
 Célia, professeure de français : le théâtre ;
 Catherine, professeure des écoles en petite section : la relaxation ;
 Muriel, professeure des écoles en CP : le statut de l’erreur et l’autonomie ;
 Véronique, coordonnatrice : la gestion du stress.

Des vidéos ont été réalisées et ont servi de supports. Leur analyse a marqué le deuxième tournant de l’évolution de notre travail.

Au moment de leur visualisation, les mots « disponibilité », « empathie », « concentration », « investissement » sont ressortis.

Les échanges sur le profil de certains élèves dont les attitudes étaient remarquables sur les films ont fait écho chez la collègue du collège. Elle a verbalisé qu’elle ne percevait pas tous ces aspects chez ses élèves. À l’école primaire, l’élève est plus perçu dans sa globalité d’enfant et les rapports sont plus proches avec les familles, alors qu’au collège, l’enseignante a dit se focaliser plus sur les compétences attendues dans sa matière.

Cet échange lui a fait voir ses élèves d’un œil nouveau et comprendre que l’origine du manque de réussite de certains n’était pas uniquement cognitive.

Une réflexion commune s’est alors amorcée sur ce qui aide l’élève à se recentrer, à avoir confiance en lui, à être attentif aux autres, à prendre conscience de sa valeur. Quels gestes professionnels pouvons-nous mettre en place dans notre quotidien de classe, dans un souci de bienveillance ?

Le troisième moment clé dans notre évolution est lié au changement d’année scolaire : l’arrivée d’un nouveau membre dans le groupe (Corentin, professeur d’EPS) et un profil d’élèves de CP très inhibés sont venus « perturber » notre réflexion.

La participation de Christine et Laëtitia, FAEP, en ce début de deuxième année d’élaboration du projet a été primordiale. Par leurs questionnements judicieux et efficaces, elles nous ont permis de prendre de la distance par rapport au vécu de classe.

Il nous est paru évident qu’une des constantes de la difficulté d’apprentissage chez les élèves en REP+, du C1 au C4, était l’impossibilité de se recentrer en raison de parasites divers (problèmes personnels, relationnels entre élèves…).

Nous avons émis le postulat qu’en nous intéressant à l’enfant et à l’adolescent, on l’aiderait à s’affirmer en tant qu’élève.

Pour adopter une approche qui tienne compte de leur bien-être cognitif, affectif, social et physique, nous avons choisi d’expérimenter en classe la mise en place d’activités liées à la maîtrise du corps. Ces expérimentations diverses et variées visent toutes à aider l’enfant ou l’adolescent à devenir élève : mieux maîtriser son corps et ses émotions, favoriser la connaissance de soi, faire partie d’un groupe, développer l’entraide, donc la confiance en soi et en l’autre.

Nous avons été confortés dans cette idée par des références bibliographiques et pédagogiques apportées par les FAEP, Réseau Canopé et la pédagogue Mme Héber-Suffrin.

Dès lors que le thème a été affiné et le fil rouge trouvé, la cohésion du groupe s’est accentuée : la mutualisation est devenue plus aisée, le partage d’expériences a été facilité, leur analyse plus efficiente car plus ciblée.

Récits des expérimentations
Muriel, CP
« Pratiques corporelles de bien-être et travail réflexif sur l’éducation émotionnelle »

Un choix d’expérimentation difficile
Les élèves que j’accueille au CP en REP+ ont globalement un gros manque de confiance en eux et dans les autres (qu’ils soient adultes ou enfants), en raison d’un vécu scolaire décevant ou inexistant.

Ils ont de grandes difficultés à mettre des mots sur qui ils sont, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils savent faire et ce qu’ils désirent. Ils ont du mal à faire des choix et à avoir un avis propre sur ce qui les entoure.

C’est compliqué pour eux de travailler en groupe (ils font passer leur intérêt personnel en priorité), ils manquent d’autonomie (matérielle et intellectuelle), ont du mal à se mettre à la tâche car ils craignent l’échec ; toutes ces attitudes étant accentuées par la pression de l’apprentissage de la lecture au CP.

Suite à ce constat récurrent à chaque rentrée, après en avoir débattu en groupe-projet, j’ai estimé nécessaire de travailler sur des pratiques corporelles de bien-être, parallèlement à ce qu’on appelle « l’éducation émotionnelle » (qui développe la relation à soi-même, à l’autre et à l’environnement), afin d’aider ces enfants à dépasser leurs craintes, leur faire prendre conscience de leurs capacités mais aussi de leurs difficultés.

En mettant à leur disposition une batterie de ressources comme la relaxation, la perception de leurs émotions, l’entraide, l’empathie, etc., encouragée par mes collègues, j’ai fait le postulat qu’ils gagneraient en confiance et appréhenderaient ainsi plus facilement le milieu scolaire, les apprentissages qu’ils estiment complexes et se construiraient plus aisément en tant qu’individus propres et uniques.

L’expérimentation
Ce qui m’a le plus déroutée dans cette expérimentation a été le fait de ne pas pouvoir anticiper. Je ne savais pas à l’avance si les élèves allaient adhérer au projet, se l’approprier et finalement, se dévoiler.

Eux qui n’avaient pas l’habitude d’exprimer leurs émotions, qui sont toujours dans le « faire », sur le qui-vive, allaient devoir se recentrer sur leur propre personne, leur corps et leurs pensées… Prendre du recul n’est pas simple pour un enfant de 6 ans.

J’ai donc dû moi aussi me recentrer sur moi-même en réfléchissant à ce qui, personnellement, altérait ma confiance en moi et dans les autres.

À partir de là, j’ai essayé de trouver des entrées attrayantes et ludiques à ce que j’allais leur proposer afin de leur permettre de s’épanouir. Mes lectures, et les formations auxquelles j’ai pu assister, m’ont aussi guidée dans ma pratique.

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Ensemble, nous avons donc pratiqué de façon régulière des exercices de relaxation, de yoga, des jeux de confiance et des massages.

Je prends conscience de mon corps.

En complément, se sont mis en place des rituels et des pratiques d’écriture, produits d’une réflexion explicite sur les émotions et la connaissance de soi, recueillie dans ce que les élèves appellent leur cahier de bien-être.

À la fin de chaque semaine, je faisais le point sur ce qui avait fonctionné ou pas, ce qui méritait d’être encore travaillé pour réajuster ma progression et compléter par d’autres activités si besoin.

Des bénéfices chez les élèves ?
Tous les élèves n’ont pas adhéré immédiatement aux activités proposées : certains se réfugiaient derrière des rires de défense, d’autres restaient à l’écart, n’osaient pas se laisser toucher ou toucher les autres pendant les massages… Il a fallu respecter ces premières réticences. Petit à petit, une sorte de rituel s’est installé ; tous les enfants ont participé et se sont de plus en plus investis.

Les bénéfices de ces pratiques se situent à plusieurs niveaux : personnel, relationnel et dans les apprentissages.ur le plan personnel, les élèves perçoivent mieux leur individualité.

Ils perçoivent mieux leurs émotions et leurs répercussions sur leur corps.

Ils s’expriment en « je » plutôt qu’en « on », donnent leur avis, commencent à émettre une opinion propre qui se différencie de l’opinion collective, à critiquer, exprimer leurs besoins, leurs choix et les justifier.

Ils savent que l’adulte est présent si besoin, qu’ils ont de la valeur à ses yeux, et qu’il aura un regard bienveillant sur leur personne.

Le travail mené sur la confiance a débloqué plusieurs élèves au niveau langagier : ils réussissent à mettre des mots sur leurs émotions.

Ils verbalisent leurs ressentis, peuvent exprimer leurs réussites et leurs difficultés plus facilement.

Ils prennent la parole plus aisément dans le groupe.

J’exprime mon ressenti.

Ils gèrent mieux leur stress et réussissent plus facilement à réguler leur anxiété en utilisant seuls les techniques de relaxation quand c’est nécessaire (respiration, coin zen, massages…). Ils sont en mesure maintenant de gérer plus facilement leurs émotions et d’accueillir celles des autres.

Au plan relationnel, tout le travail mené sur le corps et les jeux de confiance a eu des effets très positifs : chacun sait qu’il a sa place dans le groupe, qu’il peut compter sur les autres en cas de besoin.

J’ai une place dans le groupe.

Une certaine intimité s’est peu à peu développée.

Des liens se créent.

L’entraide se manifeste au quotidien, une certaine connivence apparaît, des relations plus saines se sont mises en place.

Le climat de classe est plus serein car les élèves s’écoutent, se respectent plus, font preuve d’empathie. Même si des conflits naissent encore parfois, les élèves réussissent maintenant à passer par les mots pour les résoudre.

Au niveau des apprentissages, les progrès sont très perceptibles.

Le fait que le climat de classe soit apaisé et que les élèves soient détendus améliore leur concentration et leur attention.

Comme ils sont aussi plus conscients de leurs capacités et de leurs difficultés, ils ne sont plus dans « l’attentisme » face aux activités proposées.

Ils entrent dans la tâche spontanément, vont chercher de l’aide auprès de leurs camarades ou de l’enseignante.

Un esprit de coopération s’est mis en place. Les élèves travaillent en binômes, ou par groupes plus conséquents, dans une ambiance de confiance et d’entraide. Chacun est reconnu pour ses compétences et ses difficultés, qui ne sont plus taboues. Une sorte de tutorat spontané peut se mettre en place selon les activités proposées.

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