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L’école des Lumières brille toujours. Les grands défis de l’école de demain. par Eirick Prairat, Esf, 2022 (entretien avec le Café)

10 octobre 2022

Eirick Prairat : L’école des Lumières brille toujours
En pleine privatisation à marche forcée de l’Ecole, il faut de l’optimisme, du courage et de l’intelligence pour plaider la cause d’une autre Ecole. Eirick Prairat a tout cela. Mais on lui sait gré surtout de rappeler infatigablement, dans un nouveau livre (L’école des Lumières brille toujours, ESF Sciences humaines) la dimension humaine du rapport pédagogique. Avant d’être "efficace" ou pas, avant d’être "républicaine" ou pas, l’Ecole est l’endroit d’une relation d’adulte à enfant ou adolescent. Tout cela ne l’empêche pas de réfléchir aux enjeux très actuels de l’Ecole comme le défi environnemental ou celui de la post-vérité. Ils s’en explique dans cet entretien.

Votre nouvel ouvrage fait référence à "l’école des Lumières". Si cette période a été très riche pour la culture française, n’est-ce pas une référence datée ? Les Lumières ont beaucoup écrit sur l’Ecole mais ont échoué à la réaliser…

Cette référence n’est pas datée, elle est toujours la nôtre. Je précise que les Lumières ont beaucoup parlé d’éducation, un peu moins d’école. Il faut attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle. Et si nous parlons école, c’est de Condorcet qu’il faut parler. Nous trouvons dans son œuvre tous les grands principes qui dessinent et portent le projet actuel de notre école.

Le principe d’hospitalité c’est-à-dire une école ouverte à toutes et à tous, filles et garçons, pour y suivre le même enseignement. Les principes d’éducabilité, de gratuité, de mixité. Oui de mixité, principe absolument inaudible pendant de longues décennies. Il suffit pour s’en convaincre de relire ce que l’on pouvait écrire sur cette question au début du XXe siècle, soit près de 120 ans après la mort de Condorcet.

Enfin le principe de justice. Mieux, nous trouvons dans l’œuvre de Condorcet les trois principes de justice : le principe d’égalité (offrir des équipes professorales d’égale compétence sur l’ensemble du territoire), le principe d’équité (organiser des modalités d’aide pour les plus démunis) et le principe d’émancipation collective (garantir un socle commun de connaissances). Condorcet est le père de cette idée proprement révolutionnaire.

Le problème, c’est nous, nous n’avons pas été à la hauteur de ce défi d’une école ouverte à toutes et à tous et démocratisant l’accès aux savoirs. Nous n’avons pas su honorer cette promesse

Le problème numéro un de notre école c’est sa démocratisation ratée. Vous préférez revendiquer pour l’école "l’hospitalité". Quelles différences entre ces deux concepts ?

« Démocratisation ratée », vous avez raison. Il faut rendre notre école plus juste car elle est l’une des plus inégalitaires des pays de l’OCDE. Il faut aussi la rendre plus efficace. Les évaluations internationales ne plaident pas en notre faveur, c’est le moins que l’on puisse dire.

Ce que j’essaie d’expliquer dans mon livre, c’est qu’il faut lier ces deux défis, comme l’a bien vu Vincent Peillon. Une école peut être efficace sans être juste, elle peut être juste sans être efficace. Je fais sur ce défi justice/efficacité toute une série de propositions : comment faire du collège une école intermédiaire, en finir avec les évaluations classantes dans le cadre de l’école du socle, poursuivre le dédoublement des classes en REP et REP+, proposer une véritable formation continue centrée sur les modes d’apprentissage.…

La question de l’hospitalité est une question sensiblement différente. Je défends l’idée que l’école doit devenir un lieu d’étude et de … vie. C’est peut-être le premier défi à dire vrai. Je fais, là encore, une série de propositions. Par exemple, les élèves doivent pouvoir prendre part à la mise en œuvre de dispositifs au sein de leur école, car habiter un lieu c’est se l’approprier. Un élève doit pouvoir dire en son for intérieur : « cette école, c’est la mienne ».

Vous posez la question de la post-vérité et de son rapport avec l’Ecole. Notre école qui reste basée sur l’autorité du maître est-elle bien armée pour y faire face ?

Le défi de la post-vérité est redoutable : en effet, il menace l’école dans sa tâche même de transmission. L’école doit aujourd’hui faire face au flot des propos ineptes, des délires conspirationnistes et autres divagations négationnistes. L’ignorance est toujours là mais elle n’est plus toute seule. Je fais trois propositions.

Il faut tout d’abord réfléchir aux contenus d’enseignement car, avant d’être une école juste, l’école doit être une bonne école, c’est-à-dire une institution qui enseigne ce qui mérite d’être enseigné pour permettre aux êtres humains de comprendre le monde et leur rapport au monde. La post-vérité nous invite aussi à revisiter l’art d’enseigner. Pas d’enseignement sans un apport sur les règles et protocoles épistémiques qui prévalent dans la discipline que l’on enseigne. On ne peut pas enseigner l’histoire sans montrer comment l’histoire se fait, de manière générale on ne peut pas enseigner la science sans expliquer comment la science se fait. La science n’est pas une opinion parmi d’autres.

Il faut aussi apprendre aux élèves à être attentifs aux processus mentaux qu’ils mettent en œuvre quand ils apprennent. Depuis plusieurs années déjà, des psychologues cognitivistes américains font pression pour que les écoles adoptent des programmes de « pensée critique ». Apprendre aux élèves à examiner un même problème de différentes manières, à étayer leurs affirmations par des preuves, à repérer les biais cognitifs toujours possibles quand on argumente (biais de confirmation, d’intentionnalité, de cadrage, effet de halo…). Pas d’esprit critique sans travail métacognitif.

Vous posez l’urgence à relever dans l’école le défi environnemental. Comment faire ?

S’il y a des réalités que l’on ne plus ignorer, ce sont bien les désastres climatiques et écologiques. Relever ce défi passe par la valorisation de deux enseignements : l’enseignement moral et civique et l’éducation artistique. Ironie de l’histoire, quand les parents pauvres de l’école deviennent les ambassadeurs de la révolution culturelle qui s’annonce.

L’enseignement moral et civique doit s’ouvrir à de nouvelles interrogations. Quelles fins civilisationnelles assigner à la technique ? Peut-on penser une croissance sans fin ? Quelles responsabilités avons-nous à l’égard des générations futures ? Des autres cultures ? Quel rapport devons-nous entretenir avec les animaux et, plus largement, avec le règne du vivant ? L’heure est à l’éco-citoyenneté. Cet enseignement doit privilégier le débat argumenté.

Il faut aussi promouvoir l’éducation artistique et culturelle qui est une éducation à l’art et par l’art. L’éducation à l’art vise à faire acquérir une culture artistique. L’éducation par l’art vise à développer la sensibilité, la créativité. Elle est sans doute la meilleure école pour nous aider à repenser notre rapport à l’altérité, à tout ce qui est autre que nous et dont nous dépendons pour vivre.

L’éducation artistique nous invite à cultiver l’écoute, l’attention, la disponibilité. Apprendre à être en résonnance dirait le philosophe Hartmut Rosa. L’homme n’est pas seulement un être qui analyse et fabrique, il est aussi un sujet qui ressent et reçoit. Il faut aussi penser l’éducation comme l’acquisition de postures qui modifient notre présence au monde.

Tous vos livres défendent l’idée d’un système éducatif plus humain et même plus délicat dans les relations humaines. Serait-ce le point faible de l’éducation nationale ?

Sans doute. Vous savez, je deviens universitaire en 1993, je quitte le lycée pour rejoindre l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Lorraine. La grande querelle dans les instituts de formation à l’époque était de savoir comment distinguer le « pédagogique » du « didactique », nous ne parlions point d’éthique. Quand on l’évoquait, elle était au mieux un « supplément d’âme ». Je pense précisément le contraire, l’éthique est au cœur du professionnalisme enseignant parce qu’elle participe au développement psychologique et intellectuel de l’élève. L’éthique professorale est une éthique de la présence.

La présence, c’est un art d’être présent, à soi, aux élèves, d’un mot : être attentif. La présence, c’est aussi un art d’être au présent, être là dans l’immédiate actualité de ce qui se déploie, être disponible en somme. La présence, c’est enfin un art du présent, au sens du cadeau, de ce que l’on donne : ses connaissances, ses savoir-faire, son expérience. La présence, c’est une manière d’être, une manière d’habiter la classe. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le grand philosophe Emmanuel Levinas lorsqu’il écrit que « le premier enseignement de l’enseignant, c’est sa présence même d’enseignant ».

Propos recueillis par François Jarraud

Eirick Prairat, L’école des Lumières brille toujours. Les grands défis de l’école de demain. ESF Sciences humaines, ISBN 978-2-7101-4598-1, 15€90.

Sommaire et extrait

Extrait de cafepedagogique.net du07.10.22

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