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Cnesco : Pourquoi une conférence internationale sur la gouvernance des politiques éducatives ? (Entretiens avec Le Café)

15 novembre 2021

Cnesco : Pourquoi une conférence internationale sur la gouvernance des politiques éducatives ?
"Tous nos travaux antérieurs nous ont montré qu’il était désormais nécessaire de regarder autrement les politiques éducatives non plus au travers de l’interrogation « que faut-il faire ? » que nous commençons à bien connaitre mais en se posant la question du « comment faut-il faire ? »". Le Cnesco ouvre aujourd’hui une nouvelle Conférence de comparaisons internationales sur le gouvernance des politiques éducatives. Nathalie Mons, responsable du CNESCO, Barbara Fouquet-Chauprade (Université de Genève), Claude Lessard (Université de Montréal) et Christian Maroy (Universités de Montréal et de Louvain) co-président cet événement. Il couvrira toute la semaine du 15 au 18 novembre et le Café pédagogique en rendra compte. Ils expliquent pourquoi c’est l’angle de l’accompagnement qui y est privilégié et en présentent les principaux enjeux.

Pour qui le Cnesco organise t-il cette conférence sur la gouvernance des politiques éducatives ? Pour les experts ? Les acteurs ? Que peuvent en attendre chacun ?

Nathalie Mons : Après 8 ans d’existence, le Cnesco aborde là un thème de conférence original et inédit. Nous avions jusque là traité au travers de nos conférences de comparaisons internationales des thématiques de politiques éducatives dites sectorielles, par exemple l’enseignement professionnel, l’école inclusive et le handicap, le décrochage ou encore en 2020 la formation continue des professionnels de l’éducation.

Tous nos travaux antérieurs nous ont montré qu’il était désormais nécessaire de regarder autrement les politiques éducatives non plus au travers de l’interrogation « que faut-il faire ? » que nous commençons à bien connaitre mais en se posant la question du « comment faut-il faire ? ». Il s’agit moins de réaliser un diagnostic sur le cas français sur une question très ouverte que de s’interroger sur le processus de la mise en œuvre des politiques éducatives, en France comme à l’international. L’ensemble de nos conférences précédentes ont montré qu’en France comme à l’étranger, à toutes les époques, c’est une phase critique des politiques éducatives. Au moins cinq décennies de recherches, peu connues malheureusement, nous montrent aussi que ce phénomène se retrouve dans tous les secteurs d’action publique. Il existe toujours dans toutes les périodes et dans tous les pays des décalages entre les intentions initiales et les mises en œuvre de politiques publiques qui de plus se retrouvent plurielles car les politiques s’adaptent à leurs contextes locaux. C’est cet ensemble de résultats des chercheurs de nombreuses disciplines (sociologie de l’action publique, science politique, science de gestion, psychologie, droit…) que nous voulions aussi partager avec le public de cette conférence. Cette recherche internationale s’incarne dans les trois co-présidents de notre conférence qui viennent de Suisse, Belgique et du Canada.

Par ailleurs, la fabrique des politiques éducatives est devenue un métier très complexe, percuté de façon croissante, en France comme à l’étranger, par la décentralisation, l’autonomie des établissements, l’importance accrue des parents, des médias, les interventions des scientifiques, les « conseils » des organisations internationales… La conférence montrera comment les métiers nombreux de la fabrique des politiques éducatives ont changé et se sont complexifiés. Nombreux sont les membres de la communauté éducative qui, chacun à leur niveau territorial (national, local, établissement scolaire ou dans de nouveaux rôles (parents dans un CA d’établissement scolaire…) participe aux politiques éducatives. La conférence est un lieu de réflexion pour tous les membres de la communauté éducative au sens large. D’ailleurs les participants de cette conférence inédite sont nombreux et présentent des profils très variés.

Claude Lessard : Cette conférence de comparaison internationale est l’occasion de mettre en jeu un ensemble de savoirs experts issus d’études de la mise en œuvre de politiques éducatives appartenant à divers contextes nationaux (Belgique, Suisse, Australie, Chili, République tchèque...), et d’en confronter les « leçons » aux savoirs d’expérience des acteurs français participant à la conférence. Les échanges devraient permettre aux participants de mieux comprendre leur propre réalité et d’accroître leur réflexivité, voire leur prise, sur des processus de mise en œuvre complexes et multidimensionnels.

Dans des systèmes scolaires de plus en plus fragmentés et privatisés peut-on encore parler de gouvernance de politique éducative, et même de politique éducative ? N’est ce pas là une des raisons de cette conférence ?

Nathalie Mons : Le choix pour le titre de cette conférence du terme « Gouvernance » des politiques éducatives plutôt que « gouvernement » n’est pas anodin. Il sert à montrer que la période est marquée, comme je l’ai dit précédent, par la participation de nombreux acteurs aux politiques éducatives (collectivités territoriales, organisations internationales qui donnent des « conseils » lors de la publication de leurs enquêtes, autres ministères car les projets sont désormais très souvent trans-sectoriels…). Le rôle de l’Etat, à tous les niveaux territoriaux, change ainsi que sa fabrique des politiques éducatives. Sa tâche devient ardue, notamment dans des activités de coordination lourdes mais la participation de nouveaux acteurs insuffle aussi une nouvelle démocratie aux systèmes éducatifs. Bref on ne peut pas voir cette période en noir ou en blanc… c’est toujours le cas quand on convoque la recherche…

Je relève dans la présentation de la conférence des mots intéressants : légitimité, appropriation, accompagnement. En quoi la question de la légitimité est-elle liée à l’efficacité des politiques éducatives ?

Christian Maroy : Toute politique éducative - qu’il s’agisse de promouvoir la pédagogie différenciée, la mixité scolaire ou l’inclusion etc. - ne peut être efficace que si elle est effective, réellement mise en oeuvre par les acteurs de terrain concernés, souvent les enseignants en cas de réforme pédagogique. Elle implique qu’ils acceptent d’adopter les changements proposés ou imposés, car dans leur métier complexe, l’autonomie de jugement et de décision est incontournable. La recherche est très convergente à ce sujet. Elle souligne dès lors à quel point il importe que la politique soit légitime à leurs yeux, sous plusieurs angles : elle doit être acceptable sur le plan moral de ses finalités et valeurs ; elle doit leur paraître crédible sur le plan de l’argumentaire du changement (fondements théoriques de la pratique proposée par ex.) ; surtout, le changement proposé doit être plausible, faisable, compte tenu des conditions concrètes, des contraintes et urgences de leurs pratiques. Cette légitimité "de terrain" est la plus difficile à rencontrer. Les décideurs politiques défendent souvent les réformes en faisant appel à des valeurs consensuelles (réussite des élèves etc.) et s’appuient sur les recherches scientifiques pour justifier leur pertinence ou leur efficacité. Cela ne suffit pas. Il faut créer les conditions pratiques favorables au changement et faire place à cet effet aux connaissances des acteurs de terrain. Ainsi, la légitimité est une condition de l’effectivité et au-delà une des conditions de l’efficacité d’une réforme.

Du coup qui doit penser la politique éducative ? Qui doit la manager ? La conférence va-t-elle montrer des modèles différents ?

Barbara Chauprade : Il est vrai que cette recherche de légitimité « de terrain » a des conséquences sur la gouvernance. La recherche montre que dorénavant le nombre d’acteurs impliqués dans les réformes est de plus en plus important et se situent à différents échelons : depuis les acteurs de terrain (enseignants, directions d’établissements), jusqu’aux acteurs intermédiaires et les décideurs politiques. Mais aussi parce que les politiques éducatives dépassent souvent leur seul secteur d’action et impliquent des acteurs aux rôles et fonctions très diverses. Cela complexifie évidemment la prise de décision. On peut retenir probablement des résultats de la recherche la nécessaire implication des acteurs tout au long du processus de réforme. On parle de co-construction des réformes. Les questions, qui seront très certainement soulevées lors de la conférence, sont de savoir comment faire pour accompagner au mieux les acteurs ; dans ces contextes complexes, qui et comment peut piloter et coordonner ces réformes. Cela nécessite de ne plus considérer les acteurs de terrain, les enseignants en particulier, comme de simples exécutants de politiques pensées sans eux mais comme de réels acteurs participants à leur élaboration et à leur mise en œuvre.

Dans la conférence une experte de l’OCDE intervient sur comment des pays s’emparent de la question de la mise en oeuvre des politiques éducatives. Quel role jouent l’OCDE et d’autres organisations internationales dans la définition des politiques éducatives et leur gouvernance ?

Nathalie Mons : oui, à travers notamment les enquêtes internationales sur les acquis des élèves, les organisations internationales proposent un agenda politique, qui n’est pas aussi libéral que ce que l’on entend souvent. L’intervention de l’OCDE dans notre conférence est autre. L’organisation s’est posée la même question que nous : pourquoi les politiques éducatives, partout dans ces pays membres, rencontrent des difficultés dans la phase de mise en œuvre et comment les pays traitent cette question centrale.

A quelles conditions peut-on réussir la gouvernance de politiques éducatives ? La conférence donnera t-elle des exemples ?

Claude Lessard : Disons le tout net, il n’y a pas de one best way à suivre pour une mise en œuvre réussie. Ni les politiques, ni les contextes nationaux et locaux ne sont identiques et susceptibles de nécessiter une mise en œuvre uniforme. Cela rend nécessaire une certaine prudence et une exigence de réflexivité tout au long du processus. Surtout à l’échelle d’un système entier, on ne connaît pas de mise en œuvre « parfaite », sans heurts et sans anicroches ; peut-être faut-il accepter en cette matière (comme en d’autres..) l’imperfection.

Soulignons néanmoins un double impératif d’adaptation aux contextes et de participation des acteurs. Même si la participation peut poser un problème (qui participe ? qui désigne qui ? qui représente qui et quoi ?), une mise en œuvre sera d’autant mieux réussie que ses principaux artisans auront eu l’occasion, tout au long de la vie de la politique, d’en discuter les fondements moraux, cognitifs et pratiques, et qu’ils auront eu l’occasion de participer à la gestion ou à la résolution des tensions normatives inhérentes à toute politique éducative. On s’assure ainsi d’une probable plus grande adhésion et on minimise les risques de résistance, de rejet ou de dilution de la politique.

Propos recueillis par François Jarraud

Nathalie Mons, Responsable du Centre national d’étude des systèmes scolaires (CNESCO) professeur du CNAM titulaire de la Chaire Evaluation des politiques éducatives

Barbara Fouquet-Chauprade, maître d’enseignement et de recherche en sociologie des politiques scolaires, Université de Genève (Suisse)

Claude Lessard, professeur émérite d’administration et des fondements de l’éducation, Université de Montréal (Canada)

Christian Maroy, professeur émérite de sociologie, Université de Montréal (Canada) et UCLouvain (Belgique)

La conférence

Extrait de cafepedagogique.net du 15.11.21

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