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Université d’automne du SNUipp. Laurence De Cock : Pour une école de l’émancipation (Le Café)

29 octobre 2021

UDA : Laurence De Cock : Pour une école de l’émancipation
Grand témoin de l’Université d’Automne du SNUipp-FSU, Laurence De Cock s’est acquittée de la mission avec brio. Reprenant les différentes interventions de chercheurs et chercheuses, elle a rappelé, le 24 octobre, les enjeux de l’école mais aussi les attaques qu’elle subit depuis quatre ans. « L’école Blanquer est une école du tri social avec ceci de pervers qu’elle vise à convaincre les élèves triés qu’en réalité, ils ne pourraient pas être ailleurs. Une école de l’assignation à résidence sociale, qui, même en élevant le niveau, vise à faire en sorte que chacun soit bien à place, c’est ce que l’on appelle une école de l’ordre. Une école du maintien de l’ordre social dominant. On ne me fera pas croire que Malika rêvait de passer un CAP sanitaire et social ». Pour contrer la logique de « libéralisation de l’école » qui est à l’œuvre, l’historienne rappelle les fondements d’une école émancipatrice et propose cinq piliers sur lesquels elle doit reposer.

"Contre démocratisation scolaire"

Pour Laurence De Cock, Blanquer a inauguré ce qu’elle qualifie de « contre démocratisation scolaire ». « Jusque-là la démocratisation restait une boussole, même si cela ne fonctionnait pas toujours correctement s. Aujourd’hui, on n’est plus du tout dans cette optique. Selon la chercheuse, la démocratisation scolaire, c’est permettre à tous les enfants d’accomplir la trajectoire scolaire de leur choix. « Et cette question du choix sous-entend un autre modèle d’école.

Aujourd’hui on fait croire aux élèves qu’ils accomplissent la trajectoire de leur choix mais personne ne peut nous faire croire que la petite Malika a toujours rêvé de faire un CAP sanitaire et sociale. Je parle d’un choix véritable ou l’école accompagnerait les élèves vers ce qui est susceptible de les épanouir et les émanciper. Loin de l’école du maintien de l’ordre social dominant de Blanquer ». Laurence De Cock illustre son propos par l’exemple de ParcourSup. « Comment ne pas imaginer que ParcourSup, mais aussi la réforme du bac, sont des éléments de ce tri social ? On dit aux jeunes qu’ils ne peuvent faire les études de leur choix. C’est une rupture de société majeure, une rupture d’avec l’idéal d’accueil universel. Même s’il est vrai que cela dysfonctionnait, on accueillait tous les élèves. L’organisation même de ParcourSup, avec lettre de motivation et CV est par excellence un instrument de maltraitance de la jeunesse et de sélection sociale. Les enfants à haut capital culturel ont été aidés par leurs parents dans les CV et lettre de motivation ».

Pour autant, la sélection ne commence pas au lycée, c’est bien en amont qu’elle s’opère. « Cela remonte à plus tôt, dès la maternelle. Les injonctions qui entravent la liberté pédagogique des enseignants dès la maternelle les assignent à un rôle d’accompagnateur du tri. Mais, comme l’a démontré Bernard Lahire, les conditions de vie des enfants sont aussi des outils de tri social. Le fossé qui sépare les conditions de vie des enfants est abyssale, le véritable séparatisme, c’est celui-ci. Le moment de socialisation dans les familles est majeur, et si la maternelle devient le premier maillon du tri plutôt que le maillon de compensation, alors nous sommes en très grande difficulté ».

D’autres signaux indiquent la contre-démocratisation, avec la casse de l’éducation prioritaire, les internats d’excellence ou encore l’extension de l’éducation prioritaire (EP) à l’école privé que Laurence De Cock qualifie de « particulièrement délétère à l’EP ». Elle évoque aussi la « neurobéatitude », sorte d’apologie des sciences cognitives qui « maquillent et légitime les décisions de Blanquer ». « Lorsque l’on entend parler de neurosciences, notre premier réflexe est de nous dire : c’est la science, alors c’est vrai… Ce qui permet de flouer l’opinion publique ». Et cela a des effets, dont l’un des premiers est la médicalisation de l’échec scolaire. « Si scientifiquement on sait comment on doit apprendre à lire et si on n’y arrive pas, c’est que le cerveau a un problème… ». Second effet, la négation de tous les effets des facteurs sociaux dans le parcours scolaire. « Tout cela a été mis à jour par la crise sanitaire, elle a été révélatrice de tout ce qui dysfonctionnait, comme l’exemple du fétichisme autour du numérique. « Le réel était à l’opposé du discours officiel, on est prêts » Les conditions de vies, d’usage et de possession du numérique étaient socialement marqués et ont mené à des décrochages monstres dans les milieux populaires. « Le livre de Blanquer, « Ecole ouverte » est un roman de science fiction, face à ce que l’on a vécu, nous enseignants et enseignantes, sur le terrain ».

Une école émancipatrice vs une école de l’endoctrinement

Une école pour tous et toutes, une école émancipatrice, qu’est-ce que c’est ? « Une école loin du libéralisme qui la tue » dit-elle. « Il nous faut nous ré-emparer du concept d’émancipation. Le concept d’émancipation est en passe d’être récupéré par la logique néolibérale. Par exemple, lorsque l’on nous dit qu’un enfant doit devenir le plus indépendant possible, le plus autonome, c’est la valorisation de la réussite individuelle pour gagner sa place dans la classe dominante. Alors que l’émancipation, c’est abolir les rapports de domination, c’est la justice sociale, cela doit être notre boussole. Et c’est notre travail d’enseignant et d’enseignante de former nos élèves à l’esprit critique, à la capacité de raisonner et qu’il soit capable de nous interroger, de critiquer nos positions, d’avoir une lecture du monde, c’est à ce prix qu’on peut escompter un monde où il y aura une justice sociale, où les rapports de dominations seraient abolis. C’est ça l’école émancipatrice ».

L’école de l’émancipation, c’est donc transmettre des savoirs critiques, des savoirs qui sont des outils d’analyses et d’interrogation du monde et qui permettent d’élaborer des outils mobilisables au présent et à l’avenir pour comprendre, agir et éventuellement transformer le monde. « Le savoir est émancipateur, une école est un lieu où l’on travaille et l’on apprend, et l’on ne capitule pas sur la question de la connaissance car la raison est la condition de l’émancipation ».

L’école, la classe est un lieu de vie aussi, un espace d’expérimentation. « Les expérimentations de démocratie en classe se cantonnent à la classe, il faut rester modeste. Ce sont des expériences d’interactions sociales qui se limitent à la classe, c’est déjà beaucoup mais il faut accepter, et c’est là la logique de l’émancipation, que lorsque les élèves sortent de vos classes, ils ne deviennent pas forcément ce que vous auriez aimé qu’ils deviennent. Le contraire de cela, c’est l’endoctrinement. C’est cela la vraie définition de la neutralité scolaire, à l’opposé de ce que se fait autour de la laïcité aujourd’hui – où l’on dit comment les élèves doivent réagir, cela c’est de l’endoctrinement. Il ne faut exercer aucune emprise idéologique sur les élèves ».

« Subir sans rien faire est plus dangereux que d’essayer avec d’autres »

Contre les maux qui la traversent et les attaques qu’elle subit, Laurence De Cock propose des pistes. Soigner le collectif, « Il faut réfléchir ensemble, reconstruire le collectif. Mettre à l’épreuve des collectifs de transformation sociale. Il est urgent de sauver ce qui est sauvable dans le collectif. Le néolibéralisme individualise le corps enseignant, le collectif est majeur et prend plusieurs formes : syndicats, collectifs pédagogiques... des lieux où l’on retrouve de la force ensemble ». Ralentir, « contrairement à Blanquer qui est pied au plancher sur l’accélérateur de son rouleau compresseur. Il nous faut remettre la main sur le temps, ce qui nous demande des efforts car cela signifie prendre le risque d’avoir la hiérarchie sur le dos et d’avoir une carrière entravée, mais bon est-ce si grave ? Il nous faut en finir avec la frénésie de l’urgence ». Lire, « lisez de l’histoire pour comprendre le monde, des sciences sociales pour comprendre les élèves, les familles. Tisser des alliances, « avec les associations d’éducations populaires, avec les parents en les légitimant, avec tout ce qui n’est pas de l’école directement mais aussi entre nous, avec les élèves et entre les élèves ». Apaiser, « il faut apaiser les enfants au regard de la violence de tous les débats actuels, nous ne mesurons pas encore très bien la colère et la peur qu’engrangent certains enfants. Des colères et des peurs légitimes ». Oser, « oser être créatif, inventif, oser se réinventer, c’est de notre responsabilité. Ne pas avoir peur car la peur est un outil de management. Le risque d’oser, d’aller contre les injonctions du Ministre ne sont rien face aux risques de ne rien faire, qui parfois mènent à une telle détresse que des collègues en meurent, se tuent sur leur lieu de travail. Subir sans rien faire est plus dangereux que d’essayer avec d’autres ».

Cinq piliers pour préserver l’école publique

Pour la chercheuse, l’école publique doit reposer sur cinq piliers. Le premier, repolitiser la question de l’école publique, en refaire un objet politique, le « déniaiser ». Le second, tous les enfants ont le droit à l’éducation et à l’erreur. Le troisième, réussir scolairement en cherchant l’émancipation collective et non en cherchant à incorporer la classe dominante. Le quatrième, les richesses doivent être redistribuées à ceux qui en ont le plus besoin. Le cinquième, l’école publique doit être refondée à partir « de notre boussole que sont les enfants de milieux populaires ».

Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 29.10.21

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