Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Amélioration vaut mieux qu’innovation
Le blog de Marc Bablet
On continue d’explorer les pistes pour la méthode nécessaire en vue d’une alternance à la politique actuellement conduite pour le système éducatif. Face aux mauvaises manières actuelles, il s’agit de proposer une éthique de l’amélioration de l’école respectueuse de ses élèves, de leurs parents et des professionnels pour une école de la réussite de tous.
Ne rien changer ou tout changer… deux rhétoriques négatives
Face aux difficultés du système éducatif français à assurer une plus grande égalité de résultats entre les enfants des milieux populaires et les autres, on trouve un premier point de vue qui dit qu’il ne faut rien changer tant la responsabilité de la réussite est individuelle et tant la cause des difficultés du système est extérieure au système (le système éducatif n’y serait pour rien, ce seraient plutôt les familles qui seraient à la source des difficultés). Il suffit de voir le paragraphe concernant les parents qu’il s’agit de « responsabiliser » dans le dernier texte produit par le ministère.
Il faut surtout conserver la manière ancienne de faire, aider les élèves méritants et soutenir la parentalité en faisant changer ces parents producteurs d’échec scolaire…). Les internats d’excellence, que le ministre relance malgré les critiques dont ils ont été l’objet notamment par la cour des comptes (on verra mon billet ici) s’inscrivent dans cette perspective en visant à permettre aux méritants des milieux populaires, qui réussiraient malgré le système éducatif actuel, de quitter leurs familles pour réussir encore mieux. Or promouvoir la réussite de quelques uns ne saurait tenir lieu de politique éducative pour la réussite de tous. On peut même dire que c’est tout le contraire. La conception de l’orientation des élèves qui ressort de ce point de vue est également très marquée idéologiquement : c’est une conception du tri sélectif qui oriente les uns vers les voies valorisées socialement et les autres vers les voies dévalorisées sans état d’âme. Ce dont joue dernièrement une publicité de la caisse d’épargne en s’inscrivant en faux face à cela mais bien sûr c’est pour vendre davantage de prêts.
Un autre point de vue, issu des mêmes couches politiques et idéologiques, dit que, pour résoudre le problème, il faut complètement changer le système éducatif car il est beaucoup trop rigide, inadapté à la diversité des élèves, aux besoins d’évolution des pratiques enseignantes. Il faudrait, est-il souvent dit, que le système éducatif soit mieux adapté à la diversité des élèves, sache mieux individualiser puisque le postulat est encore une fois que le problème est d’abord dans l’individu-élève. Ces deux perspectives sont deux facettes d’une même conception idéologique qui ne peut que maintenir l’écart de réussite des plus favorisés et faire valoir la déréglementation du système éducatif. En effet on ne voit pas en quoi l’une de ces deux perspectives pourrait contribuer à améliorer la qualité de l’école pour les élèves des milieux populaires.
Nombreux sont les tenants de la seconde perspective qui prétendent trouver la solution dans des innovations, parfois inspirées par le privé (le ministre répète souvent que le privé doit apprendre quelque chose au public mais pas l’inverse), parfois inspirées par des expériences anciennes (comme les écoles Montessori, très en vogue, mais dont rien ne dit qu’elles aient jamais contribué à réduire les inégalités puisqu’elles sont essentiellement fréquentées par des enfants de milieux favorisés et qu’aucune étude sérieuse ne porte sur leur efficacité comparée pour les enfants des milieux populaires). On comprend que parmi les pédagogies dites nouvelles encore aujourd’hui par un abus de langage (elles étaient nouvelles entre les deux guerres), les membres d’un gouvernement de droite préfèrent Montessori à Freinet, la première prônant plutôt le développement individuel, l’épanouissement, thématique chère aux parents les plus favorisés…. Nombreux sont aussi ceux qui croient à de nouveaux Graal comme les neurosciences ou l’usage pédagogique du numérique. Il faudrait absolument innover, c’est-à-dire changer radicalement les pratiques pour obtenir de meilleurs résultats. En réalité il s’agit juste de soumettre l’école aux diktats d’une société marchande qui veut y promouvoir ses produits.
Face à cet activisme des tenants de l’innovation, de nombreux travaux universitaires montrent qu’il n’est évidemment pas simple de faire évoluer les pratiques enseignantes ou administratives car le changement demande du temps et a des conditions. Je ne peux que renvoyer à l’excellente note de l’ IFE sur le thème « Le changement, c’est comment ? ».
Actuellement les travaux d’Anthony Bryk qui vont dans le même sens sont discutés.
Il me semble que les travaux conduits par Bernadette Fleury et Michel Fabre (et restitués dans leur ouvrage « PEUT-ON ENSEIGNER AUTREMENT ? Une expérience de formation d’enseignants, Harmattan, 2017), sont particulièrement intéressants pour bien poser le problème essentiel des conditions d’une amélioration raisonnable de l’école au travers des processus de formation.
Il est en effet bien clair que l’innovation radicale obtenue dans des délais brefs est une illusion et qu’il est donc absurde de le demander aux enseignants quelle que soit la manière de procéder (du haut vers le bas en imposant une innovation ou du bas vers le haut en clamant « soyez libre, innovez »). Quand on y procède on les met soit en situation de mal mettre en œuvre des orientations qu’ils n’ont pas le temps de s’approprier vraiment soit de partir sur des fausses pistes qui ne permettent pas d’aller vers ce qui est connu comme souhaitable pour les élèves des milieux populaires. Dans ma pratique j’ai par exemple été confronté à des établissements qui trouvaient pertinent de faire des classes de niveau (de manière nouvelle pour eux et ils demandaient à ce titre à être reconnus comme innovants) pour résoudre les difficultés de la diversité des niveaux dans les classes. Or de nombreux travaux de recherche disent qu’aucune étude ne prouve l’avantage des classes de niveau et que celle-ci sont même à effet négatif pour les élèves les plus en difficulté. On trouvera une très bonne synthèse de la Revue française de pédagogie.
Améliorer l’école en s’appuyant sur ceux qui la connaissent
Redisons d’abord que l’école doit évoluer pour mieux prendre en compte les besoins de ces élèves des milieux populaires qui, en moyenne, y réussissent moins bien que les enfants d’enseignants ou de cadres. Mais elle doit évoluer en fonction d’une analyse sérieuse de ce qui fait cet écart. Or de cela ni les neurosciences, ni l’appel au numérique, ni les pédagogies miraculeuses ne disent rien. A cela l’innovation tant vantée, ne répond rien. Il faut se tourner vers les résultats de recherches des chercheurs qui se sont intéressés à l’école entrain de se faire en milieu populaire. De tels chercheurs existent de longue date et il m’a été donné de travailler avec certains d’entre eux. Redisons l’importance de la recherche publique à cet égard car beaucoup de ces travaux ont trouvé une source sérieuse dans l’ INRP (Institut national de la recherche pédagogique) dés les années 1970 (devenu depuis l’ IFE, Institut français de l’éducation) qui fut et reste un institut public consacré à l’éducation. C’est en particulier le CRESAS (Centre de recherche de l’éducation spécialisée et de l’adaptation scolaire) qui au sein de cet organisme a contribué à accompagner l’éducation prioritaire et le travail sur la question des apprentissages scolaires des élèves de milieu populaire. Disons aussi l’importance de certaines équipes universitaires qui sont au contact de l’école de milieu populaire et qui accompagnent des équipes au travail (on peut en particulier citer l’équipe ESCOL). Rappelons à cet égard l’importance du centre Alain Savary qui continue un travail approfondi pour faire connaître ces pédagogies et didactiques pertinentes en milieu populaire.
C’est en s’appuyant sur de tels travaux de recherche que l’on peut espérer améliorer l’école pour les élèves des milieux populaires. Mais on sait qu’il ne saurait s’agir de donner aux professionnels des solutions toutes faites à appliquer : d’abord parce que de telles recettes n’existent pas, d’autre part parce que cette démarche ne produit rien de bon comme c’est rappelé dans les travaux concernant le changement en éducation cités plus haut.
Pour une éthique partagée de l’amélioration et un fort pilotage de l’État
On doit donc proposer que l’ensemble du système éducatif du haut en bas et du bas en haut se dote d’une véritable éthique de l’amélioration. Il faut se concentrer sur ce qui améliore les apprentissages scolaires des élèves des milieux populaires en développant la démarche rationnelle et démocratique d’enquête proposée dans un billet précédent.
Pour être possible l’amélioration doit respecter un certain nombre de conditions rappelées par les recherches citées plus haut :
- Tenir compte de la complexité du monde éducatif et du monde plus large qui influe sur ce monde car aucun changement ne peut raisonnablement se conduire si on ne tient pas compte de l’ensemble du contexte (notamment social, économique et politique).
- S’inscrire dans la durée car il n’y a pas d’amélioration possible sans prise en compte des obstacles qui ne manquent pas de se dresser sur son chemin, au premier rang desquels les obstacles propres à nos préjugés et stéréotypes.
- S’inscrire dans un collectif de travail car on ne saurait changer tout seul.
- S’assurer de la qualité de la problématisation collective et se mettre d’accord sur des objectifs raisonnables c’est-à-dire atteignables, qui fassent sens pour les acteurs et qui soient bien pertinents par rapport à notre problème des inégalités.
- S’inscrire dans une démarche qui n’hésite pas à essayer en pratique dans la classe des idées élaborées ensemble à partir de données solides issues de la recherche ou de l’expérience (et faire retour d’expérience en collectif pour encore améliorer les propositions).
On ne peut que redire à cet égard l’importance d’une confiance réelle dans les professionnels de l’éducation pour mener à bien les améliorations nécessaires dès lors qu’on leur propose les grandes orientations, que l’on pilote le dispositif et qu’on accompagne leurs démarches en les soutenant. De ce point de vue, ce qui est entrain de se faire pour les lieux de formation des enseignants comme pour ceux de l’encadrement ne me semble pas pertinent. Pierre Merle, dans un article qui balaye divers éléments de la loi pour une école de la confiance discute notamment de façon intéressante le passage des ESPE aux INSPE et ses conséquences pour les étudiants et les futurs professeurs.
Quant à la formation de l’encadrement, je vous invite à regarder les maquettes nouvelles de cette formation pour 2019-2021. Outre le parti pris d’une conception managériale dont on connaît les effets désastreux, elles sont particulièrement indigentes sur le sujet qui concerne le plus dramatiquement le système éducatif : les mots « pauvreté » et « éducation prioritaire » n’y apparaissent qu’une fois quand il est question des fonctionnements en réseau d’acteurs. Rien n’est dit sur les inégalités. Rien n’est dit des pratiques professionnelles souhaitables pour répondre aux besoins des élèves des milieux populaires. L’ IHEEF fait donc bien la politique libérale du ministre et s’inscrit dans son tropisme anglo-saxon en proposant comme ressources pédagogiques, celles d’un site anglais, d’une fondation à capital assez largement privé (pourtant un modèle que le ministre ne semble pas valider en ce moment vu les ennuis de la « fondation pour l’école »). L’ IHEEF ne cite même pas les ressources du site EDUSCOL pour lequel mes anciens collègues de la DGESCO continuent de travailler. Et même pas les ressources de CANOPE, opérateur ministériel important. On se demande pourquoi nos collègues travaillent si l’organisme de formation des cadres ne les propose même pas comme ressources à utiliser en priorité mais cela aussi relève sans doute du nouveau monde... Est-ce pour cela que la directrice de cet institut vient d’être récompensée par un poste de recteur ?
Si je signale cela c’est que quand on veut sincèrement la réussite des élèves de milieu populaire on doit inscrire le sujet de l’amélioration du système éducatif pour ces élèves en priorité d’action de tous les personnels dans une logique d’ensemble qui porte sur toutes les composantes connues de leur réussite dans tous les contextes de leur scolarisation, qu’ils soient en éducation prioritaire où ils sont concentrés ou qu’ils soient dans d’autres écoles ou établissements où ils sont moins nombreux ce qui pose autrement les problèmes. En outre on doit privilégier les ressources d’État tant en ce qui concerne la recherche qu’en ce qui concerne la diffusion. On voit combien il y a besoin aujourd’hui d’une alternance crédible qui s’engage fortement pour une éthique de l’amélioration du système éducatif pilotée par l’État. On aura l’occasion d’ici quelques mois de redire à quel point l’État est central pour lutter contre les inégalités, ce dont des tenants du capitalisme libéral commencent à s’apercevoir comme c’est le cas pour monsieur Stiglitz prix Nobel d’économie qui indique, dans le monde du mercredi 25 septembre 2019 qu’il y a « consensus sur les maux du capitalisme » et combien le système de santé privé américain est moins performant et moins égalitaire que les systèmes français ou suédois. Si l’on peut discuter l’idée d’un « capitalisme plus progressiste », on peut néanmoins adhérer à ce qu’il dit de la nécessité d’une « fiscalité plus juste, des investissements publics renforcés dans l’éducation et les infrastructures. Cela exige de renforcer le rôle de l’État, à la fois dans le pilotage de l’État social et dans les régulations permettant de mieux encadrer la finance et les marchés ».