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Témoignages d’enseignants REP+ à Corbeil-Essonnes et REP à Villiers-le-Bel qui tentent d’amener leurs collégiens à s’affranchir de l’identité collective du quartier (Libération)

16 novembre 2005

Extrait de « Libération » du 15.11.05 : A l’école de la cité, faire passer les élèves du pluriel au singulier

A Corbeil-Essonnes et à Villiers-le-Bel, rencontres avec des enseignants de ZEP qui tentent d’amener leurs collégiens à s’affranchir de l’identité collective du quartier

Lundi 3 octobre, le volume sonore frôle les limites du supportable à la MJC de Corbeil-Essonnes. Des élèves des collèges Léopold-Sédar-Senghor et Louise-Michel hurlent de joie. Leurs copains de classe viennent de donner une représentation du Bourgeois gentilhomme. Au milieu de leurs élèves hilares, Géraldine Obédia et Séverine Woimant, professeures de français, la trentaine. Les années précédentes, elles ont monté Les Précieuses ridicules et Douze Hommes en colère. Comme à chaque fois, quelques petits durs de la cité des Tarterêts sont sur scène. Au cours d’un an de préparation, ils se sont emparés de la langue de Molière avec délectation. Abandonnant leur carapace habituelle, l’uniforme de la cité, ils se sont glissés dans leurs costumes de scène, défiant les ricanements de leurs copains en survêtement. « Le théâtre leur permet de se confronter autrement les uns aux autres, soulignent les enseignantes. Samedi, ils ont joué devant un public d’adultes et cette reconnaissance-là est inestimable. »

Lundi 14 novembre, des élèves du collège Léon-Blum de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) présentent au Centre mondial de la paix, à Verdun (Meuse), le récit d’un poilu natif de Villiers-le-Bel qu’ils ont eux-mêmes écrit et illustré. Depuis trois ans, Alain Degenne, professeur de français, et Renaud Farella, professeur d’histoire-géographie, animent un atelier d’écriture qui mêle histoire locale et grande histoire. Trois récits des élèves (sur la Première guerre mondiale, la déportation et la guerre d’Algérie) ont été publiés chez L’Harmattan. Les adolescents en tirent un sentiment de fierté qui leur est peu familier. « Ils se sont approprié ce qui fait l’histoire commune, malgré leurs origines culturelles diverses, expliquent les deux enseignants. Ils sont reconnus en tant qu’auteurs. Une image d’eux-mêmes bien différente de celles qui circulent ces jours-ci sur les jeunes de cités. »

« Sortir les élèves de leur cage d’escalier »

Dans les collèges classés en ZEP et zone de prévention violence, de nombreux enseignants s’investissent pour donner confiance en eux à des élèves trop souvent dévalorisés. Pour y parvenir, ils ressentent le besoin d’« accorder leurs violons », de travailler ensemble, souvent par affinité. Les ateliers mis en place à Corbeil, Villiers-le-Bel et ailleurs sont une façon de prolonger ce qui se joue dans les salles de classe.

En dehors des moments d’euphorie, il y a les doutes. Les élèves grandissent dans une cité. De la maternelle au lycée, leur ligne d’horizon ne varie quasiment pas. « Dans leur scolarité, le cordon n’est jamais coupé avec la cité », résume Géraldine Obédia. Beaucoup n’échapperont pas à leur destin, ces enseignants le savent. Au quotidien, les tentatives pour imposer les règles de la cité à l’intérieur du collège sont un défi lancé aux profs. Dans ces classes, être un bon élève, c’est s’attirer les foudres des autres. Certains font l’objet d’un chantage : si tu ne mets pas la merde dans le cours aujourd’hui, t’es mort.

« Il faut sortir les élèves de leur groupe d’âge, de leur cage d’escalier », avance Renaud Farella. Pour Alain Degenne, « en vivant dans le même quartier, les élèves connaissent le même échec. Or, être tous en échec, ce n’est plus un échec. Il faut casser cette logique pour leur permettre de construire quelque chose d’individuel ». Sa méthode à lui consiste, durant les deux premiers mois de l’année, à « sortir les jeunes de leur identité collective ». Et, aussi, d’une forme de passivité. « Ils sont malades du savoir et le savent. Je ne veux pas qu’ils attendent leur tour comme chez le médecin. Je veux qu’ils prennent la parole, qu’ils trouvent leur place. » Certains ont deux, trois ans de retard. Ils seront quasiment en âge de voter en sortant du collège. « Quels citoyens seront-ils alors ? »
« Ils ont droit à l’excellence »

Pour parler de leurs élèves d’origine étrangère, ces enseignants refusent le misérabilisme. Le collège est un repère important pour les élèves. La plupart acceptent de laisser les problèmes au-dehors. « Nos élèves doivent s’adapter aux règles de l’école. En contrepartie, à nous de sortir de notre rôle de petit prof », estime Renaud Farella. Ils se considèrent avant tout comme des éducateurs. Une leçon de grammaire n’arrive jamais sans raison. Séverine Woimant : « On donne un sens à chaque cours, on refait tout à notre sauce, on crée en permanence. » Alain Degenne ajoute : « On ne peut pas se contenter de méthodes classiques. » Ils réfléchissent sans cesse à la « courroie de transmission ».

« Quand j’ai commencé ce métier, confie Alain Degenne, la quarantaine, je croyais qu’il fallait adapter le contenu aux élèves en grande difficulté. Je sais maintenant qu’au contraire, il ne faut pas hésiter à faire des choses complexes : ils ont droit à l’excellence. Il faut leur ouvrir des portes d’ordinaire fermées. » En voiture, ce prof de français note les mots compliqués entendus à la radio : « aviaire », « pandémie », « roboratif », « synergie »... Après avoir disséqué ce vocabulaire en classe, il demande aux élèves d’écrire un texte réutilisant ces mots dans un dialogue quotidien. La lecture, qui demande isolement et concentration, n’est pas pour eux une activité aisée. Pour étudier des textes fantastiques, Géraldine Obédia et Séverine Woimant bandent parfois les yeux de leurs élèves, enclenchent un CD de musique choisie, créant une atmosphère inquiétante : « Il faut leur faire vivre l’expérience de la lecture pour leur en donner le goût. »

« Etre un nul, un zéro, ça veut tout dire »

Il y a ceux qui résistent catégoriquement, à tout enseignement. Face à une situation particulièrement bloquée, Alain Degenne cherche à nouer le contact avec l’élève difficile en dehors de la salle de classe. Il se met à sa hauteur dans les escaliers, lui parle de tout et de rien. « Dans ces moments-là, il n’y pas de prof, pas de note, juste deux personnes qui discutent. Plus tard, en classe, on sait tous les deux qu’on a partagé ça. » Au collège Léon-Blum, chaque élève dispose d’un « tuteur » : un adulte de l’établissement, pas forcément enseignant. Le tuteur et l’élève se rencontrent régulièrement : « Ça aide à repérer les gros problèmes. » Ces moments sont officialisés, les parents prévenus.

Les portes du collège restent ouvertes à d’anciens élèves ou des adultes rencontrés à l’occasion d’un projet. « Les enseignants ne détiennent pas tous les savoirs, insiste Renaud Farella. Des choses fabuleuses se passent entre des gens âgés et nos élèves. Ouvrir le collège à toutes les générations est aussi un moyen d’enseigner. »

« Il faut dissocier l’élève de sa note »

« Des classes peuvent devenir particulièrement dures dès que la première note est tombée », racontent les deux professeures de français. Aux yeux des élèves, la note, « pourtant simple évaluation technique » devient « un jugement moral, source de comportements agressifs ». Alain Degenne : « Il faut dissocier l’élève de sa note. Etre un nul, un zéro, ça veut tout dire. » Mais une rédaction truffée de fautes d’orthographe ne peut pas valoir une bonne note. Dans le commentaire, l’enseignant souligne la valeur du contenu, multipliant les métaphores : « ton tir était magnifique, mais à côté de la barre ». Ou alors « très beau saut en longueur, mais t’as mordu ». La règle : stimuler l’effort.

« On essaye de les rendre plus forts »

« Le silence n’est jamais une situation naturelle pour eux. On le voit pendant les contrôles, ils écoutent le silence avec des mines stupéfaites », souligne Alain Degenne. En classe, le calme absolu n’est pas un impératif. Il y a d’ailleurs toujours du brouhaha. Pour installer leur autorité, ces enseignants misent sur « la justice, l’équité, la confiance ». Et aussi sur la « crédibilité » : pas de promesses intenables, ils avancent « pas à pas ». Pas non plus de discours tout fait sur l’école qui décerne un diplôme assurant la réussite professionnelle : les élèves savent que la mécanique est en panne. « On tente de faire ce qu’on peut, reconnaissent ces enseignants. On essaie de les rendre plus forts, plus confiants, pour qu’ils sachent se débrouiller dans un monde adulte. C’est avant tout cela, l’éducation. »

Marie-Joëlle Gros

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