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Extrait de « 20 minutes » du 07.02.05 : « Ecole, terrain miné »
Que signifie le titre de votre livre ?
Ce qui m’apparaît aujourd’hui, c’est que de nombreux élèves parmi ceux que j’ai en face de moi utilisent les cours pour se préparer aux examens, mais n’assimilent plus le savoir qu’on leur propose. Il y a en eux une réelle résistance aux concepts qu’on essaye de leur faire partager, une résistance qui s’appuie sur des valeurs transmises en dehors du lycée. Je pensais que les profs - de philo notamment - avaient pour mission de « former » les esprits. Or, cela devient particulièrement difficile lorsque les élèves se défendent contre le contenu même du savoir qu’on tente de leur transmettre.
Derrière ce phénomène, vous pointez les religions...
Pas tant les religions que leur utilisation. Ces trois ou quatre dernières années ont vu un fort repli sur les valeurs religieuses et le communautarisme. Ce que je crains, c’est qu’à partir de ces valeurs religieuses, il y ait une contestation plus ou moins politique, la contestation d’une conception du monde. Dans le livre, je cite l’exemple d’un élève qui prétend rester indifférent à la mort parce qu’il est persuadé de trouver, à son arrivée sur « l’autre rive », « soixante-dix jeunes filles vierges aux grands yeux » ! Avec ce genre d’assertion, c’est en même temps la rationalité et toute la problématique philosophique qui se vident de leur contenu. C’est l’idée même de s’interroger qui est définitivement ruinée.
C’est plus vrai dans les ZEP qu’ailleurs ?
Je ne peux parler que de mon expérience, mais là où je travaille - et d’autres enseignants que moi le disent, ce qui m’autorise à l’écrire -, on observe un retour du théologique à l’école et une utilisation politique du théologique.
Autre casquette, depuis quatre ans, vous êtes aussi chargée de coordonner la convention d’éducation des élèves de ZEP à Sciences-Po Paris. Quel bilan peut-on tirer de cette expérience ?
Ils sont un petit peu plus de 130 à avoir suivi ce chemin depuis quatre ans. Et apparemment, les pourcentages d’échec ne sont pas plus élevés pour ces élèves intégrés via la convention éducation prioritaire que pour ceux entrés par le concours classique. Ces élèves issus des ZEP fondent même des associations destinées à soutenir les élèves qui viennent du reste de la France. C’est dire si leur intégration s’est bien passée.
Tous les élèves des ZEP qui essaient d’intégrer Sciences-Po n’y parviennent pas, bien sûr. Mais vous soutenez que tous les « recalés » en tirent bénéfice. C’est-à-dire ?
Ils travaillent pendant l’année de manière tellement différente de ce qu’ils avaient l’habitude de faire que, depuis quatre ans, ils obtiennent quasi systématiquement le bac. Donc, parmi ceux qui étaient peut-être en perdition, certains sont récupérés grâce à l’espoir qu’on leur donne d’entrer dans un établissement d’excellence !
Depuis 2004, d’autres grandes écoles se sont dites prêtes à ouvrir leurs portes aux élèves de ZEP...
Effectivement. Lors de la dernière rentrée, le président de la conférence des grandes écoles - une instance qui regroupe plus de 200 grandes écoles françaises - a décidé de suivre les pas de Sciences-Po Paris. A l’heure actuelle, une cinquantaine de grandes écoles se sont engagées à mettre en place des classes préparatoires destinées aux élèves des lycées de zones sensibles ou à leur ouvrir leurs portes dès la classe de seconde pour susciter leur motivation et les inciter à se mettre au niveau. C’est définitivement un mouvement de fond.
Recueilli par Luc Brunet
A savoir : Chargée depuis quatre ans de coordonner la convention d’éducation qui permet aux élèves de ZEP (Zones d’éducation prioritaire) d’intégrer l’Institut d’études politiques de Paris, Carole Diamant est par ailleurs professeure de philosophie au lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen, en région parisienne (93). Enseignante en ZEP par vocation, elle vient de publier « Ecole, terrain miné » (Editions Liana Levi).