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(Observatoire des zones prioritaires -
www.ozp.fr)
n° 45 - janvier 2004
Compte rendu de la réunion publique du 14 janvier 2004
L’irruption récente dans le débat public du thème de la discrimination positive, dont l’éducation prioritaire est l’exemple le plus fréquemment cité, a amené l’OZP à improviser, le 14 janvier 2004, une Rencontre sur cette question.. Cette séance est conçue comme une introduction à une suite de débats qui seront menés par l’OZP sous différentes formes (réunions publiques, forum sur le site internet de l’association, éventuellement texte particulier discuté en Conseil d’administration).
Cette question est au cœur de la réflexion de l’OZP depuis sa création, dans ses statuts constitutifs, dans son « socle » (ce sur quoi se sont mis d’accord les adhérents de l’association en 1997), dans ses prises de positions successives depuis 1990 (*). Le site internet de l’OZP témoigne de cet intérêt, à travers sa revue de presse quotidienne, les textes présentés et les forums de discussions.
S’appuyant sur le rapport du Conseil d’État intitulé « Sur le principe d’égalité » (La Documentation Française, 1996), qui analyse les fondements juridiques de la discrimination positive au regard de la légitimité républicaine, Alain Bourgarel, secrétaire adjoint de l’association [NDLR : précision apportée pour les lecteurs qui ne connaissent pas encore très bien l’OZP], tente de clarifier les concepts utilisés dans ce débat.
Le rapport du Conseil d’État sur le principe d’égalité
Le principe d’égalité, inscrit dans la devise de la République française, est aussi ancien que permanent. Il a pourtant considérablement évolué et continue à prendre de nouvelles formes selon les changements constitutionnels et législatifs mais aussi selon le regard que la société porte sur ce principe. Ainsi, les premiers acteurs de ZEP en 1981 et 1982 se souviennent de l’argument de poids opposé au nouveau dispositif décidé par Alain Savary : « Vous bafouez l’égalité républicaine en rompant l’unité de l’Éducation nationale ». Lancé souvent de bonne foi, ce cri ne trouvera de réponse que longtemps après, lorsque la preuve aura été apportée par les faits que l’inégalité ainsi créée permettait justement de diminuer (un peu) les inégalités et de renforcer l’unité du service public.
L’histoire de l’évolution du principe d’égalité est décrite dans le rapport du Conseil d’État : on s’y reportera, d’autant plus que sa lecture n’est en rien austère. Dès la constitution de la Déclaration des Droits de l’Homme étaient établis à la fois l’égalité absolue entre les individus, en tant qu’êtres universels, mais aussi les différences de traitement nécessaires entre les individus qui ne sont pas tous dans la même situation économique et sociale. « Le droit contemporain, en France comme au niveau communautaire, a prolongé les prémisses de cette distinction pour préciser les modalités d’application du principe d’égalité. Il a notamment défini les différences de traitement qui doivent être interdites en toutes circonstances, celles qui sont acceptables au regard de différences de situation concrètes et celles qui sont justifiées par des motifs d’intérêt général » (p.39).
Ces distinctions aident à lire des événements tels que la création des ZEP ou celle des conventions « ZEP - Sciences-Po » ou encore, dans un autre domaine, la loi sur les personnes porteuses de handicap.
Principe d’égalité et inégalité de traitement : l’adaptation du principe d’égalité, si elle n’est pas interdite (comme ce fut le cas pour la reconnaissance du « peuple corse », par exemple, en 1991), peut conduire à une inégalité de traitement à condition d’être justifiée en droit soit par des « différences de situation appréciables », soit par la présence d’une « nécessité d’intérêt général ».
Les différences de situation : dans un état de droit, la différence de traitement doit répondre à une différence de situation objective et rationnelle, donc être hors de l’arbitraire ; elle sera suffisamment nette pour être justifiée, proportionnelle et en rapport avec l’objet de la loi. L’exemple des personnes porteuses de handicap relève, aujourd’hui, de l’évidence, mais bien d’autres situations sont prises en compte dans l’application de la loi.
L’intérêt général : dans certains cas, celui-ci peut mettre en échec le principe d’égalité au nom de considérations supérieures. L’administration de l’État doit en effet agir selon l’intérêt général, notion fort délicate mais riche d’une réflexion et d’une jurisprudence constantes. « Une application du principe d’égalité qui serait intemporelle et fermée aux autres objectifs de la collectivité risquerait en effet de conduire à un blocage de la société » (p.44).
Ainsi, le Conseil d’État a donné raison à la ville de Gennevilliers contre le préfet des Hauts-de-Seine quand celui-ci, refusant l’application du « quotient familial » aux tarifs de l’école municipale des beaux-arts et du conservatoire de musique, avançait que, contrairement aux cantines scolaires où s’appliquait déjà ce système, la pratique « accessoire » des arts plastiques et de la musique devait entraîner la même dépense pour les parents, quelles que soient leurs ressources.
Sur cette base juridique, deux nouveaux problèmes apparaissent : l’égalité des droits et l’égalité des chances.
Le problème de l’égalité des droits est posé en de nombreuses occasions : expérimentations législatives, dérogations, accès à des filières ou des biens rares, à des soins très onéreux... Il est également posé par la revendication de reconnaissance de groupes ethniques, culturels ou autres : l’égalité telle que la définit la République française s’y oppose, ce qui ne signifie pas qu’elle en ignore l’existence. En revanche, les autres pays d’Europe reconnaissent juridiquement des groupes ou communautés et, éventuellement, leur assure un traitement différencié. En France, la loi sur la parité hommes / femmes déroge à l’égalité devant la possibilité de se présenter au suffrage universel.
De son côté, la politique d’affirmative action aux États-Unis sort de l’égalité des droits pour aboutir à une égalité de résultats. Le motif est là de « réparer un préjudice historique » par une discrimination positive transitoire. La possibilité de sortir d’une situation d’infériorité est donc accrue, mais des effets de stigmatisation limitent l’avantage de cette action et des revendications collectives, paradoxales, pour obtenir le statut de minorité défavorisée apparaissent. Favorable au milieu des années 1960 à cette formule, la Cour suprême des États-Unis en a, depuis 1995, nuancé l’application, sans l’abolir. On notera qu’il s’agit là d’une mesure différentielle concernant des groupes sociaux à base raciale, ce qui n’a rien à voir avec les ZEP françaises différenciant des territoires.
Cette non-reconnaissance de minorités ou de communautés par le droit français résulte du souci de protéger chaque individu contre les risques de son appartenance à sa propre communauté. Mais cette limitation du droit de constituer des minorités imposée par le principe d’égalité donne à l’application de celui-ci une responsabilité immense. « Si l’homme n’est que citoyen, il n’y a plus de limite infranchissable pour le pouvoir d’État, et, s’il n’est défini que par son appartenance communautaire, il n’est pas susceptible davantage de résister à la tyrannie », dit Alain Touraine. Le principe d’égalité doit donc tenir compte des réalités sociales aussi dans leurs aspects identitaires ou communautaires. Plusieurs exemples sont donnés dans le rapport du Conseil d’État.
L’égalité des chances, formule floue qu’on pourrait remplacer utilement par l’exigence d’équité, pose un problème déjà analysé par Aristote ! Depuis quelques années, il est au cœur de la réflexion sur la justice sociale en France. Il n’oppose pas égalité formelle à égalité réelle mais cherche à dépasser la première, en s’appuyant sur elle, pour atteindre la seconde. Ainsi se sont construites, depuis 1789, des discriminations justifiées dont l’objectif est l’utilité commune. La discrimination positive en est l’une des formes et, contrairement à l’idée reçue, est fréquente dans le droit français (la progressivité de l’impôt en est le meilleur exemple).
Cependant, on constate que toutes les mesures législatives de redistribution financière ne parviennent pas à faire obstacle aux mécanismes de développement des inégalités sociales.
C’est là qu’apparaissent les ZEP : à l’égalité formelle, procédurale, qui considère les écoles et établissements scolaires égaux, sera substituée (tout au moins engagée en certains lieux) une égalité réelle, équitable, qui vise à l’égalité des chances. On voit tout de suite qu’il s’agit d’une « visée », d’une nouvelle manière d’appréhender la réalité, et non pas d’aboutir à un résultat. Mais ce dernier est imaginé : c’est toute la différence avec la situation précédente où, l’égalité formelle étant respectée, les résultats restaient le fruit du seul fatalisme social. On verra plus loin que le caractère territorial des ZEP a mis en œuvre de façon particulière cette égalité des chances.
Le droit français a admis la disposition prise par Alain Savary en raison de la finalité qui relève de l’intérêt général. Il a, au cours des années suivantes, admis pour les mêmes raisons diverses mesures dont la CSG est un exemple connu de tous.
Mais les ZEP posent aussi un autre problème, celui de l’égalité entre les territoires. Ici aussi, le principe général est l’égalité entre les différentes portions du territoire français, mais, ici aussi, la prise en compte des réalités a nécessité des traitements inégalitaires, la constitution de la Ve République l’ayant elle-même prévu. Non seulement on distinguera, par exemple, les zones de montagne ou du littoral, mais encore on admettra que le montant de l’allocation pour personnes âgées dépendantes soit déterminé par chacun des conseils généraux, rompant ainsi l’égalité des droits entre citoyens selon leur lieu d’habitation.
La Loi d’Orientation pour la Ville a mis en œuvre ce principe pour les zones urbaines sensibles en 1991, mesure renforcée depuis par les différents gouvernements de droite ou de gauche et, ce mois-ci (janvier 2004), le ministre de l’Intérieur a parlé à plusieurs reprises de « compenser les handicaps territoriaux ». Cependant, il existe une limite (définie par le juge administratif ou constitutionnel), l’égalité imposant une proportionnalité nécessaire à ces mesures d’équité.
« Le couple égalité - altérité est un enjeu central de la société d’aujourd’hui et de demain », conclut le Conseil d’État. Notre tradition politique et juridique met en avant le principe d’égalité comme fondement de notre société. Elle souhaite que les inégalités les plus choquantes soient réduites et aspire aussi à ce que les initiatives de chacun puissent se développer librement en toute égalité. La réalisation conjointe de ces deux exigences est nécessaire. En insistant sur la première, l’OZP n’oublie pas la seconde. En défendant l’équité territoriale dans une visée d’égalité des chances, il s’inscrit dans une tradition juridique française bien plus ancienne qu’on ne l’imagine généralement.
Une bonne partie du débat a été consacrée à une analyse critique d’appellations et formules couramment utilisées, certains participants cependant ne souhaitant pas trop s’attarder sur cette question de terminologie.
Le poids des mots : la « discrimination positive »
Le terme de discrimination positive ne trouve pas beaucoup de défenseurs - même s’il a été, spontanément, constamment employé au cours du débat - car il associe, de manière un peu provocante, deux mots dont l’un est connoté très négativement. Un article récent de Sylvie Kauffmann dans Le Monde du 6.1.04 (cf la revue de presse du site OZP) supposait même que les Français, en traduisant ainsi l’expression Affirmative action, avaient voulu inconsciemment lui donner d’emblée une connotation négative car contraire à l’égalité.
Didier Bargas (IGEAN) estime quant à lui qu’on aurait dû plutôt parler de « Action volontariste de rétablissement de l’égalité ».
Alain Bourgarel pense que ce débat sur les termes ne vaut pas pour les vraies ZEP, les zones les plus en difficulté, qui, elles, sont au-delà de la stigmatisation. Tout le monde là-bas connaît cette situation depuis des générations et les termes importent peu.
Par contre, dans les « fausses » ZEP, celles créées par cette extension absurde de 1999, ces qualificatifs créent des phénomènes de stigmatisation et des discours contre l’éducation prioritaire.
Une proposition recueille un consensus : la dénonciation de la terminologie actuelle - en l’occurrence la discrimination positive - aurait beaucoup plus de poids si dans le même temps on avançait une formulation plus satisfaisante qui puisse remplacer la précédente.
Cette proposition a rencontré, par le fait du hasard, un écho médiatique trois jours après la réunion de l’OZP avec l’annonce (Le Monde daté du samedi 17 janvier) de la publication d’un rapport, rédigé par un chef d’entreprise issu de l’immigration dans le cadre de l’institut Montaigne (institutmontaigne.com), qui employait le terme de « politique d’action positive » pour désigner la discrimination positive. Le site de l’OZP (toujours lui !) enregistrait aussitôt le démarrage d’un forum de discussion sur cette nouvelle dénomination. On remarquait d’ailleurs au même moment dans la presse la floraison de termes de substitution : « mobilisation positive », « politique préférentielle volontariste », « action temporaire de rattrapage »...
La formule « Donner plus à ceux qui ont le moins »
Mais c’est la formule Donner plus à ceux qui ont le moins, lancée par le cabinet d’Alain Savary - ou peut-être par le ministre lui-même - quelque temps après la création du dispositif ZEP qui est la plus discutée.
Quatre positions s’expriment dans ce débat, récurrent à
l’OZP :
1. La première position met en avant que Donner est un acte moral et pas une action de l’État relevant d’une décision législative. Nous sommes là dans le registre de la charité et non dans celui de l’accès au droit. Par ailleurs à ceux qui ont le moins définit de façon négative les personnes à qui l’on donne. Pour des pédagogues, cette formulation est mauvaise puisque définir une population de manière négative équivaut à projeter sur elle des impossibilités d’éducabilité.
Une participante enchérit en disant que, pour les gens des quartiers concernés, ces appellations disqualifiantes signifient symboliquement vraiment quelque chose. Mais surtout ceux qui ont le moins s’applique à des populations ou à des individus, nécessairement définis par leurs carences, et non pas à des territoires où le service public (et non des individus) est défaillant.
2. La seconde position reconnaît que cette formule - qui est apparue, souligne-t-on, dans un contexte éducatif et non fiscal ou économique et continue régulièrement à être employée (et encore récemment à plusieurs reprises dans Le Monde) - a incontestablement une connotation chrétienne-démocrate-sociale (étonnante de la part d’Alain Savary). Mais sans vouloir la défendre ni sous-estimer le bien fondé de ces problèmes de terminologie, elle estime que l’essentiel est dans les objectifs et dans les modalités de mise en œuvre de ces actions de rétablissement de l’égalité.
Une coordonnatrice insiste sur l’idée que - quelque soit le terme choisi - les gens des quartiers savent très bien ce qu’il en est pour eux, et que ce n’est pas en changeant les appellations qu’on luttera contre la fuite des gens qui vont ailleurs ni contre la situation de ceux qui restent en ZEP parce qu’ils y sont obligés. A Paris, tout le monde sait bien où il faut éviter d’acheter un appartement. En d’autres termes, ce ne sont pas les mots qui créent la stigmatisation mais les réalités.
3. La troisième position n’est pas vraiment choquée par la formule Donner plus à ceux qui ont le moins. Ce qui a fait le succès de cette expression depuis déjà plus de vingt ans, ce n’est pas, estime-t-elle, le donner (simple équivalent en langue banale de « attribuer » ou « accorder », courants en langue juridique), c’est la force et la simplicité de l’opposition stylistique des termes plus et moins, opposition qui évoque pour l’opinion une mesure de justice et non de paternalisme, avec en arrière-plan symbolique une balance aux plateaux déséquilibrés plutôt qu’une main charitable.
Quant à la formule ceux qui ont le moins, jugée disqualifiante, d’autres expressions, que nous utilisons tous couramment parce qu’il faut bien nommer les réalités, telles que publics en difficulté ou défavorisés ou élèves en échec, ne le sont-elles pas tout autant ? Certes, ceux qui ont le moins a le défaut de ne faire aucune référence à la notion de territoire, mais la stigmatisation d’un territoire ne finit-elle pas elle-même très vite par rejaillir sur les populations qui y résident ? Si vraiment la formule choque, ne serait-il pas là aussi préférable de lui trouver une forme de substitution adaptée à une communication grand public ? La formulation Accorder plus aux territoires qui ont le moins pourrait-elle mieux convenir ?
4. La quatrième position récuse le donner plus dans la mesure où il ne connaît que les moyens et occulte le projet et la mobilisation. Donner plus pour diminuer les effectifs de deux élèves par classe ne change rien. La formule aborde la question, comme presque toujours à propos des ZEP, sous le seul angle quantitatif et financier du dispositif et oublie l’idée de projet.
Dans la discrimination positive, au départ, il y avait l’idée de rupture par rapport à une certaine uniformité, et pas seulement dans les barèmes de distribution des moyens. Ainsi, la Direction des écoles avait lancé l’idée que, pour poser sa candidature comme directeur d’école ou enseignant dans une ZEP, il fallait d’abord prendre contact avec cette école pour prendre connaissance du projet de la ZEP.
Le même principe avait été retenu au départ pour les collèges sensibles. Cela soulève à nouveau la question d’une affectation en ZEP reposant sur le volontariat.
La catégorisation et ses risques de dérive
Un participant évoque une certaine réticence idéologique à catégoriser, qui peut pousser au politiquement correct : par exemple à l’intérieur de l’INED il y a quelques années, lors d’une vaste enquête sur le processus d’intégration sur plusieurs générations, des démographes ont reproché vivement à d’autres démographes de distinguer des Français d’origine (ou de souche) et des Français issus de l’immigration, comme si cette distinction méthodologique - indispensable semble-t-il pour traiter la question - équivalait à nier la qualité de citoyen de ces derniers.
Aux États-Unis, précise un autre, on n’hésite pas à catégoriser et l’appartenance ethnique est indiquée sur les papiers d’identité. Mais une chose est de nommer une appartenance dans des statistiques, une autre est de l’inscrire dans le statut individuel.
Le problème s’est posé quand on a embauché des aides éducateurs ; on s’est demandé s’il fallait recruter en priorité des jeunes d’origine maghrébine, [NDLR : un rapport de Bernard Charlot était très critique à ce sujet]. Le même débat existe actuellement à propos du recrutement de policiers pour la banlieue. Récemment sur un forum, une polémique est née à propos du nombre - insuffisant ou pas - de professeurs des écoles issus de l’immigration dans les IUFM.
Aux États-Unis, la catégorisation peut en effet, dans certains cas, aller très loin et les personnes concernées ne bénéficient plus des garanties élémentaires de protection de leur vie privée à partir du moment où elles sont officiellement déclarées comme défavorisées. Ainsi, dans la banlieue de Chicago, où la population est homogène et très défavorisée, les parents au moment de l’inscription de leur enfant dans une école maternelle doivent accepter six visites d’un enseignant chez eux par année. En échange, la scolarité est gratuite et ils touchent vingt-cinq dollars s’ils amènent quelqu’un du quartier voisin avec eux, c’est affiché dans le hall de l’école. Je crains, souligne le participant, qu’on en arrive là en France si un jour on a des populations très homogènes.
Dans l’académie de Versailles, on a repéré une tentative, abandonnée par suite des réactions, d’exiger de certains élèves la signature d’un contrat de bonne conduite avant d’accepter leur entrée en classe de 6e. Le problème était que cette disposition ne touchait que certains élèves, ceux qui avaient été signalés par les instituteurs comme difficiles en CM2, comme si la disposition légale de scolarité obligatoire officielle était suspendue à la signature de ce contrat.
En France, même si l’hétérogénéité des élèves des écoles et collèges s’est accrue depuis dix ans, l’homogénéité reste forte : il y a peu de collèges très défavorisés (3,5% en 1999-2000) où il n’y ait pas une minorité d’élèves des classes moyennes et à l’inverse peu de collèges favorisés sans une minorité d’élèves des catégories populaires.
Notre problème, à la différence des pays anglo-saxons, est plutôt de gérer des publics hétérogènes, de faire en sorte que les classes moyennes ne partent pas de là où elles sont minoritaires et que les enfants de milieux défavorisés ne soient pas complètement écrasés ou ignorés quand ils sont minoritaires.
Quand on parle d’éducation prioritaire, on pense trop souvent et à tort à des situations homogènes et défavorisées (il y a aussi des populations scolaires homogènes et favorisées, rappelle ironiquement un autre participant).
Les effets d’aubaine de la discrimination positive
La discrimination territoriale elle-même peut avoir des effets d’aubaine, ainsi pour les enfants de milieu favorisé inscrits en ZEP. Mais aucun système n’est parfait.
Un autre participant souligne que ces effets d’aubaine, dont ses propres enfants inscrits en ZEP ont bénéficié, n’ont rien de choquant car cela donne à ces catégories favorisées des motifs pour rester en ZEP.
Quand la ZEP des Grésillons à Gennevilliers a été créée en 1982, il y a eu quatre demandes de dérogation d’Asnières pour venir à Gennevilliers. Quand on connaît le différentiel d’image de ces deux villes des Hauts-de-Seine, on saisit tout l’effet d’impact positif que ces demandes de dérogation ont pu avoir et qui ont profité à la ZEP des Grésillons pendant des années (et encore en 2004 pour l’école maternelle).
Une pratique courante à l’Éducation nationale : Donner plus à ceux qui ont le plus.
Didier Bargas (IGAEN) estime qu’il est légitime de s’interroger sur le coût et l’efficacité de la politique d’éducation prioritaire. Le seul argument du rapport Moisan/Simon en 1998 était un argument négatif et consistait à dire « si on ne faisait pas ce qu’on fait, ce serait pire ». Cet argument ne pourra plus suffire aux yeux des politiques, par exemple dans le cadre de la loi des finances. Actuellement, on peut dire que l’efficacité de cette politique, au regard d’un coût qui n’est pas négligeable en raison de l’effet de masse, est réduite.
Mais il y a plus grave : c’est que l’Éducation nationale ne fait pas que de la discrimination positive. Elle fait, tous les jours et dans la plupart des écoles et collèges, de la discrimination négative, car elle détourne, avec la complicité d’une bonne partie des enseignants et des familles, une partie des moyens au bénéfice des enfants les plus favorisés. On pourrait en citer mille exemples. En voici un, superbe : l’aide individualisée en seconde, qu’on arrête au bout de trois mois en maths pour la réserver aux bons élèves qui prendront la 1re S. C’est une forme de privatisation du service public, un détournement d’autant plus dangereux qu’on n’en prend pas conscience. Il faut passer quelques jours à l’intérieur d’un établissement pour voir comment ça fonctionne : il suffit de regarder la liste des élèves qui vont en voyage en Angleterre ou en Allemagne. Avant de chercher à rétablir l’égalité, on devrait d’abord veiller à ne pas nous-mêmes en créer de nouvelles.
Dans le même sens, d’autres participants soulignent que les classes moyennes et favorisées savent bien en effet repérer et utiliser tous les dispositifs qui avantagent leurs enfants, notamment les dispositifs construits à l’origine pour les élèves défavorisés ; on doit donc veiller constamment à éviter les dérives possibles de ces dispositifs.
Exemple de dérive aux États-Unis : l’Affirmative Action, qui a surtout profité à la bourgeoisie noire et pas aux plus pauvres.
Les conventions ZEP/Sciences Po
Le bilan des conventions ZEP/Sciences Po signalait, en le dénonçant, un cas d’effet d’aubaine dont avait bénéficié une élève qui n’avait pas le profil sociologique type d’une habitante de ZEP. Mais le vrai problème, juridique et philosophique, est ailleurs : il est le fait que ce dispositif concerne seulement sept lycées en Ile-de-France et en Lorraine sur des centaines d’établissements présentant des caractéristiques exactement comparables dans toutes les autres académies. D’ores et déjà, l’IEP de Paris a revu l’étendue géographique de ses recrutements, l’a diversifiée et compte dès 2004 appliquer scrupuleusement la décision du Conseil d’État en proposant aux lycées ZEP, mais aussi à d’autres ayant de semblables profils sociaux, des conventions. La balle, maintenant, est dans le camp de l’Éducation nationale.
Compte rendu rédigé par Jean-Paul Tauvel
(*) Sur cette question, voir aussi dans la collection Les Rencontres de l’OZP, n° 4 : L’application du principe d’égalité dans l’État français en 1997, avec Jean-Michel Belorgey, conseiller d’État