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Application du principe d’égalité et discrimination positive dans l’Etat français, avec Jean-Michel Belorgey (Rencontre OZP)

octobre 1997

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

Observatoire des zones prioritaires
www.ozp.fr

n° 4 - octobre 1997

L’application du principe d’égalité dans l’Etat français

Compte rendu de la réunion publique du 15 octobre 1997

(*) Le titre originel de ce compte rendu était « L’application du principe d’égalité dans l’Etat français en 1997 ».

Le système de zones d’éducation prioritaires est un exemple de dispositif inégalitaire légal.
Peut-on parfois enfreindre le principe d’égalité des citoyens pour corriger les inégalités résultant des disparités économiques, sociales ou culturelles entre les individus ou les groupes ?
Le rapport public du Conseil d’Etat de 1996, présenté dans cette réunion publique de l’OZP par Jean-Michel Belorgey, est consacré à une synthèse de l’évolution du principe d’égalité sur le plan juridique, à travers l’expérience juridictionnelle et consultative des conseillers d’Etat et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
De ce fait, il ne contient pas de réflexion de nature sociologique ou politique.
Le rapporteur a souhaité faire ressortir l’idée qu’au bout de quelques siècles le principe d’égalité, à la fois un des trois piliers de la République et un des trois principes de référence du service public, avait produit de nombreux fruits, permis de lutter contre l’arbitraire, mais que, face à l’intensité des problèmes sociaux actuels, ce principe était à redéfinir.
Il ne suffit plus, désormais, de lutter contre le traitement discriminatoire pénalisant.
L’ensemble du rapport vise à faire ressortir les possibilités d’atténuation du principe d’égalité permettant de traiter différemment des situations hétérogènes. Cette question fait encore difficulté mais la jurisprudence a clairement pris position sur la possibilité d’exceptions justifiées au principe d’égalité et sur les limites dans lesquelles il faut enfermer ces exceptions.
En revanche, une autre compréhension du principe d’égalité reste à admettre.

Les exceptions possibles au principe d’égalité et leurs limites

Le rapport du Conseil d’Etat est articulé autour de l’idée suivante : la non-discrimination négative et l’égalité des droits ne suffisent pas à répondre aux problèmes de gens qui sont dans des situations différentes, certains étant spécialement handicapés sur le plan des ressources, des moyens culturels, de l’enclavement territorial. Dans ce cas, le principe d’égalité ne doit-il pas être éclairé par le souci de l’équité, de l’égalité des chances, ou au moins de la recherche d’une limite à l’inégalité des conditions ?
Mais, si l’on admet la possibilité d’un traitement inégal pour concrétiser l’ambition d’égalité, jusqu’à quel point et dans quelles limites est-ce envisageable ?
La question d’admettre une possibilité de discrimination positive est globalement résolue.

La fiscalité a été le premier domaine dans lequel cette possibilité a été abondamment utilisée.
La jurisprudence est claire : pour tenir compte de situations différentes, il faut que la nature de la situation et l’étendue de la différence de traitement soient clairement définies.
Il reste cependant dans cette problématique quelques questions, particulièrement complexes, à résoudre. Ainsi, les tarifications différentielles des services publics innovants comme le TGV, sans être complètement arbitraires, posent problème...
La question de l’accès à un équipement municipal tel qu’une piscine pour les habitants de communes voisines reste également incertaine. Même si les contribuables de la ville, et eux seulement, ont financé l’équipement, il n’est pas possible d’en interdire l’accès aux autres. Une tarification trop discriminatoire n’est pas non plus compatible avec le principe d’égalité. Seules des modulations de tarifs très limitées semblent pouvoir être tolérées.
Les discriminations en matière de territoires, notamment les DOM, demeurent elles aussi épineuses.
Une dernière interrogation reste entière en raison de nos traditions républicaines : une administration du territoire différenciée parce que plus adaptée à des réalités différentes pourrait-elle être considérée comme une discrimination positive ?

Vers une nouvelle conception de l’égalité ?

Le principe d’égalité souffre des exceptions limitées mais il est sans cesse réaffirmé.
Si la jurisprudence a admis depuis plusieurs décennies la possibilité de traitements différenciés, l’obligation d’une différenciation n’existe pas.
Il n’existe que quelques minuscules exceptions dans lesquelles des situations différentes obligeraient à faire quelque chose de différent.

• La première concerne le principe de progressivité de l’impôt sur le revenu, qui est intangible et ne supporte que de faibles atténuations. Elle est déduite a contrario d’une décision du Conseil constitutionnel.

• La seconde concerne un article de loi qui abrogeait l’interdiction pour les collectivités locales de subventionner les établissements privés (ce qui revenait à autoriser ces subventions). Le Conseil constitutionnel a déclaré ce texte inconstitutionnel, en raison du risque de traiter de la même façon des gens qui n’ont pas des obligations identiques. Le conseil affirme donc que, dans certains cas, il faut une discrimination positive.
Mais ces percées sont pour l’instant trop isolées pour fonder un nouveau principe, qu’il soit de différenciation ou d’équité. Tolérer de nouvelles exceptions, voire les institutionnaliser, ne revient pas à affirmer un nouveau principe.

Pour voir émerger un principe réellement redéfini, il faudrait notamment pouvoir répondre à la question suivante : comment combiner le principe d’égalité et ceux de neutralité et de laïcité, qui sont tantôt regardés comme des principes complémentaires des trois principes de base du service public et nommés comme tels dans les décisions juridictionnelles qui les utilisent, tantôt rapprochés du principe d’égalité ?
Si l’on dit que le principe d’égalité dans son acception actuelle tolère qu’on puisse répondre de façon différente à des individus différents, cela signifie que les identités culturelles régionales et les cultures étrangères peuvent être prises en compte. Jusqu’à quel point et dans quelles limites la laïcité fournit-elle des réponses convergentes avec celles du principe d’égalité ?
D’un côté, le principe d’égalité évolue légèrement par des avancées jurisprudentielles, de l’autre la laïcité peut se comprendre de deux façons, l’une très extensive, l’autre plus fermée, ce qui rend la problématique inextricable.

Le principe d’égalité des chances et d’inégalité limitée des conditions aboutit à la question de la parité hommes-femmes et du quota racial... Il ne s’agit plus ici de poser le principe de l’égalité des chances mais celui de l’égalité des aboutissements.
A-t-on le droit de dire que les chances individuelles, qui doivent être appréciées indépendamment de toute autre considération, peuvent être niées par la qualification d’appartenance à un groupe englobant déterminé ?
La France n’a pas ratifié la Convention européenne sur les minorités (bien que les rédacteurs, dont certains étaient Français, aient pris garde de ne pas mentionner l’idée de droits collectifs d’un groupe).
Notre société s’appuie sur un système de droits individuels et non de responsabilité collective. Il n’est donc pas possible que les individus d’une génération paient pour compenser des siècles d’inégalités. Il peut néanmoins être envisageable de faire des pas dans le sens de la parité.

Le problème de la discrimination positive est que celle-ci peut provoquer aussi bien des réticences que des excès, d’où l’intérêt du raisonnement du Conseil d’Etat qui s’appuie sur la proportionnalité. Il s’agit d’un concept qui existe depuis plus de cinquante ans en droit public français et qui a été repris par les juridictions européennes.
Le concept d’équité, en revanche, bien que brandi par certains, reste étranger à notre droit administratif.

Quels dangers, quels garde-fous ?

On n’est actuellement à l’abri ni d’un reflux, par rapport aux avancées d’une discrimination positive intelligente et mesurée, ni d’un emballement de la thématique de la discrimination positive, que la juridiction administrative pourra contenir en tant que juridiction mais que seul le Conseil constitutionnel (qui n’est pas nécessairement saisi) sera en état de maintenir au plan législatif.
II faut que le législateur garde le sens de la mesure ou que les systèmes de contrepoids juridictionnels jouent.

Un certain nombre de principes directeurs ou de garde-fous peuvent être mis en lumière.
Il est important, en premier lieu, de regarder si la façon dont on assure l’égalité des droits est fondée sur de bons indicateurs.
La direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Education nationale a montré, dans ses rapports sur la géographie de l’école, la disparité entre les académies, tant du point de vue des problèmes auxquelles elles sont confrontées que des moyens qui leur sont attribués. Il serait possible que le ministère, partant de ces constats fondés sur des indicateurs fiables, puisse distribuer des moyens de manière inégale et privilégier ainsi les académies les plus défavorisées (Lille, Créteil, Amiens... ).

Il est nécessaire de corriger, par des efforts de pédagogie en direction de l’opinion, les conséquences, qui peuvent être négatives, de l’addition des deux logiques superposées d’égalité. L’égalité des droits dépend de la batterie d’indicateurs ; l’égalité des chances ne doit pas opposer les catégories de citoyens.

Les cartographies auxquelles on aboutit (c’est un des reproches que l’on adresse souvent aux ZEP) ne doivent pas être trop complexes, ni trop contrastées, ni couper par des effets de marquage, ou de rivalité dans la consommation des deniers publics, des zones se trouvant à proximité immédiate les unes des autres.
Les établissements scolaires, parfois en grande difficulté, qui sont géographiquement proches d’une ZEP sans en faire partie vivent généralement très mal cette situation.

Les risques de stigmatisation sont importants. Les problèmes de fonctionnement du FAS en sont une illustration flagrante.
De même, dans le plan de relance des ZEP, il est prévu que la question des ELCO (enseignants de langues et de cultures d’origine) soit réexaminée.
De nombreuses voix s’élèvent même pour demander leur suppression. L’existence des ELCO ne pose pourtant pas de problème de légalité.
Le problème se pose en termes de qualité de l’enseignement fourni, de concurrence avec les enseignements généraux, et de stigmatisation.

Il est dommage que l’alternative d’enseignements portant sur les langues et cultures d’origine qui regrouperait à la fois les jeunes d’origine étrangère et française intéressés ait été condamnée.
Il s’agit d’un bel exemple de l’effet pervers et des excès de certaines politiques différentielles.

Sans se rallier à la thématique anglo-saxonne des minorités, ce que nous disons dans d’autres termes correspond parfois à cette thématique. La République interdit de faire des différences de sexe, de race et de religion et interdit de nommer les faits de race et de religion. La seule manière de ne pas faire de différence subreptice entre ces faits, c’est pourtant de les nommer.
Il existe probablement un compromis à trouver entre le communautarisme, qui est exclu en France, et l’obligation d’intégration individuelle (on peut s’intégrer en s’appuyant sur des affinités collectives).

Conclusion

Comment naviguer dans les ZEP entre les principes, les risques d’excès, les garde-fous et les lacunes qui ont été décrits ?
Il faut essayer de tenir compte d’un panachage de préoccupations.

La première pourrait être l’égalité des droits pour des élèves "norme moyenne", en équilibrant les problèmes liés à la vétusté des équipements, ceux liés à la pyramide des âges du corps enseignant. Il est possible d’imaginer toutes sortes de ratios qui promeuvent l’égalité des droits.

Ensuite, on pourrait affirmer qu’au delà de l’égalité des droits il y a des zones singulièrement pauvres dont on veut éviter l’effondrement et pour lesquelles on doit tenir le même raisonnement qu’en matière d’aide à l’implantation industrielle ou d’urbanisme.
Cette idée dépasse l’égalité des droits et se place dans une perspective d’égalité des chances et d’inégalité limitée des conditions, notamment dans le passage d’un cycle à un autre ou au baccalauréat.

Mais il ne faut pas opposer les intérêts de ceux qui demandent un minimum de réponses adaptées à leurs besoins à la demande de ceux qui sont en situation moyenne et qui ne veulent pas qu’on en fasse moins pour eux parce qu’on va en donner davantage à d’autres.
On ne souhaite plus seulement donner un accès égal ni fournir des services égaux mais des services d’efficience égale pour des publics plus ou moins réceptifs, ce qui implique de prévoir une pluralité de réponses. Il est même possible d’envisager une inégalité de critères : on pourrait ne pas utiliser les mêmes critères de définition dans toutes les zones.

L’un des grands problèmes de l’éthique collective actuelle est l’application aux différentes couches de la population d’une échelle de valeurs de besoins.
Il s’agit surtout concrètement d’associer l’idée d’un critère de limites tolérables pour l’opinion (et non plus seulement de légalité) avec la nécessité absolue de ne pas faire semblant de prêter une attention spéciale à des groupes. Des mesures symboliques créant des jalousies et ayant des effets de marquage sans avoir d’effet réel pour les personnes qui en bénéficient sont à proscrire.
Il importe donc de réfléchir en termes de combinaison entre la tolérabilité, l’efficience et la vérité de la démarche.

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