Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
De nouveaux signaux d’alerte sur l’enseignement de la lecture en CP
Note d’alerte n° 1 du Csen
La lecture est l’un des apprentissages fondamentaux sur lesquels s’appuie toute la scolarité. C’est aussi un des domaines dans lesquelles les données scientifiques sont les plus solides. Dès sa création, le Conseil scientifique de l’éducation nationale a fait de la formation des enseignants à la science de la lecture une priorité absolue. Il a notamment assuré la rédaction, par un groupe de travail composé de scientifiques, d’inspecteurs et d’enseignants, du document ci-dessous « Pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ? ». Ce texte de 30 pages rassemble tables au regard des connaissances scientifiques actuelles (voir exemple dans l’encadre page 2). le minimum de faits qui nous paraissent devoir être connus de tous les enseignants de CP. A l’époque de sa parution (2019), de nombreux efforts ont été faits pour le faire connaître dans les académies, avec notamment la diffusion d’un « guide orange » sur le même sujet.
Trois ans plus tard, nous voulons vous alerter sur la nécessité de poursuivre la formation et l’information sur ce sujet crucial. En effet : • En 2022, bon nombre d’enseignants continuent d’utiliser des manuels peu efficaces : Une enquête en cours, menée par le sociologue Jérôme Deauvieau, de l’École normale supérieure, avec la Depp, auprès d’un échantillon représentatif de 16 149 enseignants montre que
1. Sans surprise, les stratégies pédagogiques à dominance phonique, fondées sur l’apprentissage rapide et systématique des correspondances graphèmephonème, l’assemblage progressif des lettres en syllabes et en mots, et l’absence de mots outils, conduisent aux meilleures per formances des élèves.
2. En Janvier 2021, ces manuels et méthodes efficaces continuent d’être parmi les moins utilisés1.
• En l’absence de formation, certains enseignants adoptent des pédagogies à départ global totalement inacceptables. Nous continuons ainsi d’observer, en début de CP en septembre 2022, des classes où l’enseignement de la lecture commence par une approche globale. C’est le cas de la méthode mentionnée dans l’exemple ci-dessous, l’une des plus aberrantes qu’il nous ait été donné de voir, qui présente des textes de plusieurs dizaines de lignes, parfois rendues volontairement illisibles (pourquoi ?). Quoique indéchiffrables par les élèves, ces textes sont accompagnés d’instructions telles que « Repérage des mots découverts la veille », « Recherche dans le texte d’une phrase ou d’un groupe de phrases lu par l’enseignant », « Souligne les petits mots que tu connais », ou encore « Regarde maintenant les lettres qui composent les autres mots et essaie de les déchiffrer. » L’inefficacité pédagogique de ces instructions a été maintes fois démontrée. Que pourrait en apprendre l’élève, si ce n’est que lire, c’est deviner ; et qu’il doit être bien stupide, puisqu’il en est incapable ?
Le texte du CSEN liste certains gestes à éviter – et que cette méthode cumule. Citons notamment le fait de (1) donner à « lire » aux élèves débutants des mots, parfois très irréguliers, dont les correspondances graphème-phonème n’ont pas encore été enseignées ; (2) compliquer l’apprentissage en consacrant beaucoup de temps à des informations inutiles (devinettes, contour des mots, nom des personnages du manuel, etc.) ; et (3) introduire l’alphabet phonétique international aux élèves, en sorte que le son « u » se voit représenté par la lettre « y » en 2e semaine de CP (exemple ci-contre).
Il est inquiétant de voir perdurer cette approche alors que le texte du CSEN et le « guide orange », qui datent de plus de trois ans, en mentionnent explicitement le caractère contre-productif.
2 Interrogés, les enseignants expliquent n’avoir pas reçu de formation préalable à l’entrée en CP, ignorer donc l’existence de ces documents, et avoir choisi cette méthode en raison de sa gratuité sur internet… Il semble donc indispensable de mieux accompagner les enseignants pour éviter que de telles erreurs portent préjudice aux apprentissages de leurs élèves.
Nous proposons que :
→ Chaque enseignant de CP dispose d’un budget pour acheter, si sa classe n’en est pas déjà équipée, des manuels conformes aux connaissances actuelles.
→ Aucun enseignant ne puisse débuter en CP sans avoir reçu le texte du CSEN et le guide orange.
→ Tous les enseignants de CP reçoivent, avant la rentrée, une formation dédiée aux pédagogies pour l’enseignement de la lecture dans les écoles académiques de formation, puis un suivi par les IEN et les conseillers pédagogiques.
→ Les évaluations nationales de milieu de CP aident à identifier les élèves en difficulté afin que leurs enseignants reçoivent un soutien supplémentaire. Dans son discours aux recteurs du 25 août 2022, introduisant le nouveau Fonds d’innovation pédagogique doté de 500 millions d’euros, le président de la République incitait les enseignants à plus d’initiative et de dynamisme, quitte à leur reconnaitre un « droit à l’erreur ». Cependant, en tant que scientifiques, nous ne pouvons pas accepter que soient répétées les erreurs du passé, surtout lorsqu’elles affectent la scolarité de milliers d’élèves. Le Conseil scientifique se tient à disposition de l’ensemble de la communauté éducative pour aider à diffuser les découvertes scientifiques sur la lecture et d’autres domaines telles que les mathématiques ou le bien-être des élèves et des enseignants, notamment par le biais de son site internet.
1 Travaux de Paul Gioia sous la direction de Jérôme Deauvieau, qui feront l’objet d’une future note du CSEN
Exemple de textes présentés à des élèves de REP d’Ile-de-France trois semaines après la rentrée de 20222.
Extrait de réseau-canopé.fr d’octobre 2022
Apprendre à lire : du décodage à la compréhension.
Synthèse de la recherche et recommandations
Csen, octobre 2022, 20 p.
Ce texte a été rédigé par Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler avec les contributions de Stanislas Dehaene et Joëlle Prousta.
Résumé
Apprendre à lire est l’une des étapes clés qui conditionne toute la scolarité. Cette synthèse de la recherche répond à huit questions sur cet apprentissage :
1. Quelles compétences expliquent le niveau de compréhension en lecture ?
2. Pourquoi maitriser le décodage est essentiel pour apprendre à lire dans une écriture alphabétique ?
3. Comment enseigner efficacement le décodage à des apprenti-lecteurs ?
4. Quelles sont les particularités du français dans ce domaine, et quelle progression les enseignants doivent-ils suivre ?
5. Quels processus sont à la base de la compréhension, qu’elle soit écrite ou orale ?
6. Quels moyens permettent de l’améliorer ? 7. Quelles sont les principales différences entre écrit et oral ?
8. Quelle incidence a le niveau de langage oral en fin de maternelle sur le futur niveau de lecture ?
Rédigé par Liliane Sprenger-Charolles, linguiste et psycholinguiste, directrice de recherche émérite au CN
Extrait de reseau-canope.fr d’octobre 2022
Lecture : “Tenter d’apprendre des mots écrits par cœur, sans apprendre le principe du décodage, serait comme essayer d’apprendre un annuaire téléphonique !“ (CSEN)
“Tenter d’apprendre des mots écrits par cœur, sans apprendre le principe du décodage, serait comme essayer d’apprendre un annuaire téléphonique !“ estime le CSEN dans la synthèse sur l’apprentissage de la lecture parue en ce mois d’octobre.
Alors qu’entre 2000 et 2018, le pourcentage des élèves les plus faibles en lecture est passé de 15,2 à 20,9 % en France, le Conseil supérieur de l’Education nationale choisit de passer en revue les connaissances scientifiques (du moins celles qu’il a sélectionnées, ndlr), trois ans après sa synthèse “Pédagogies et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ?“.
Il indique que les difficultés relevées en compréhension de la langue écrite peuvent notamment “provenir de problèmes de compréhension de la langue orale ou d’une mauvaise maitrise du décodage“ et que dans ces deux domaines, “les interventions ciblées au sein de l’école sont possibles et efficaces“.
Si la compréhension écrite dépend du niveau de compréhension de la langue orale et de décodage, mis ensemble “dans une relation qui est multiplicative“, pour le CSEN maîtriser le décodage est “essentiel pour apprendre à lire“, et “commencer par le décodage est crucial“, explique-t-il.
Cet apprentissage “est un peu plus difficile, poursuit-il, et un peu plus long, quand le nombre de correspondances à apprendre est plus élevé, comme en français et, surtout, en anglais. Mais il n’y a pas d’alternative – il faut apprendre le code ! Le décodage est un mécanisme puissant et efficace pour rentrer dans la phase initiale de la lecture“.
Ainsi, “le décodage doit d’abord être enseigné de façon explicite, systématique et intensive : 2 à 3 correspondances graphèmes-phonèmes par semaine, en commençant par les plus régulières et les plus fréquentes. Tout doit être bien expliqué aux élèves : par exemple, que l’on doit commencer par la gauche du mot, tout au moins en français, et que chaque lettre ou groupe de lettres (les graphèmes) correspondent le plus souvent à un son (les phonèmes).“
Ce mécanisme “devient progressivement très rapide : c’est l’automatisation du décodage, qui donne lieu à des représentations orthographiques. Les mots du vocabulaire écrit sont alors stockés dans une mémoire spécifique : le lexique orthographique qui va de pair avec le lexique phonologique."
Avec le maitre, cet apprentissage explicite va alors “rapidement basculer vers un apprentissage implicite, sans le maitre – un auto-apprentissage qui permet à l’élève de renforcer les règles apprises et d’en inférer de nouvelles lorsqu’il rencontre de nouveaux mots ayant des correspondances graphème-phonème atypiques.“
Vient ensuite la compréhension de la langue écrite, qui “repose sur des capacités linguistiques (vocabulaire, grammaire) et non linguistiques (entre autres, l’attention et la motivation, qui est elle-même influencée par le niveau de lecture, les bons lecteurs ayant plus envie de lire que les moins bons)". Alors que “comprendre ce qui est lu, c’est établir des liens entre des mots et des phrases“, le CSEN considère toutefois que “apprendre à décoder les mots, cela peut aller vite : moins d’une année de CP“ mais que “apprendre à comprendre, cela s’étale sur des années – d’abord à l’oral, ensuite à l’écrit.“
Aussi, “pour aider les élèves il faut donc connaître, au-delà du décodage, les processus qui permettent la compréhension du langage écrit comme celle du langage oral“, ce qui semble passer par les informations “inférées“ car non-présentes dans le texte lu ou entendu.
Cependant, “dans quelques cas le lecteur ou l’auditeur se contentent d’un niveau de compréhension superficiel, qui ne tient pas totalement compte du contenu du message, mais qui est suffisamment bon.“
Tant que l’élève ne sait pas lire (en maternelle et en début de CP), les activités autour de la compréhension doivent être abordées à partir de textes lus par l’enseignant. Les récits par exemple, permettent d’interagir facilement avec les élèves, et “quand ils sont lus plusieurs fois, permettent de construire une mémoire collective et, de ce fait, une culture collective“ tout autant qu’ils familiarisent les élèves avec les spécificités du langage écrit.
En outre, la compréhension doit être également travaillée à l’oral à partir d’autres types de textes ainsi que sur des unités plus petites que les textes : les mots et les phrases. Il est en effet “crucial de travailler le vocabulaire“ car il joue un rôle clé dans la compréhension de la langue orale, il facilite l’entrée dans l’écrit (la mise en place du décodage des mots) et parce que “c’est une des compétences qui différencie fortement les enfants selon leur milieu socio-économique d’origine à l’entrée à l’école.“
Est ainsi précisé que les difficultés de lecture que rencontrent les élèves issus d’un milieu peu favorisé “ne relèvent pas, pour la majorité d’entre eux, d’un déficit langagier dans la mesure où ils peuvent soutenir une conversation quotidienne“. D’après l’analyse du CSEN, “leur moindre maitrise de l’oral provient d’un contact moins assidu avec le langage plus formel utilisé dans les textes scolaires. C’est ce qui explique pourquoi leurs difficultés se manifestent surtout avec l’entrée dans l’écrit, et qu’elles s’accentuent avec cet apprentissage, ce qui s’appelle ‘l’effet Mathieu‘ (les riches s’enrichissent ; les pauvres s’appauvrissent).“
A noter que le CSEN souligne l’ “intérêt“ des évaluations nationales de CP-CE1 qui incluent de nombreuses épreuves permettant “de prédire la réussite ou l’échec des élèves dans les principaux domaines impliqués dans l’apprentissage de la lecture.“
La synthèse “Apprendre à lire : du décodage à la compréhension“ ici (PDF)
Extrait de touteduc.fr du 28.10.22
Voir aussi sur le site OZP Tableaux de bord académiques EP 2011-2012