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L’enquête Formalect (ENS-Depp) sur les méthodes de lecture et la labellisation des manuels (ToutEduc)

21 février

Méthodes de lecture : l’enquête Formalect permet-elle de clôre le débat ?

La "méthode syllabique" doit-elle s’imposer, via la labellisation des manuels, à l’ensemble des classes de CP en France ? La question a été posée très clairement par le président du Conseil scientifique de l’Education nationale, Stanislas Dehaene, lorsqu’il a demandé à Jérôme Deauvieau et Paul Gioia de présenter au Collège de France les résultats de l’enquête Formalect. Ceux-ci apporteraient la preuve que la méthode "phonique synthétique" stricte (dite aussi syllabique) est plus efficace que la méthode "phonique analytique" et que les méthode "mixtes". Sont dites "mixtes" les méthodes qui demandent aux élèves de mémoriser et de reconnaître des mots pour lesquels ils n’ont pas préalablement appris toutes les correspondances graphèmes - phonèmes, contrairement aux méthodes syllabiques strictes, qui ne donnent à lire que des mots dont toutes les lettres sont connues.

Sous la direction de J. Deauvieau, P. Gioia a interrogé des enseignant.e.s de CP et a mis en relation leurs réponses, combien de mots "non décodables" leurs élèves avaient appris, donc s’ils utilisaient une méthode strictement syllabique (aucun mot non déchiffable), ou mixte (plusieurs mots appris "globalement), mixte + ou mixte ++ (selon le nombre de mots non déchiffrables), et leurs résultats aux évaluations nationales de milieu de CP et de début de CE1 ("le niveau à l’entrée en CE1 est un bon proxy du niveau acquis en fin d’année de CP", estime l’auteur). Les résultats des élèves à deux items, fluence et compréhension, sont systématiquement meilleurs quand les enfants n’ont eu à lire que des mots "déchiffrables" (voir ToutEduc ici).

L’article scientifique correspondant à la présentation faite au Collège de France est actuellement soumis à l’approbation des pairs pour publication, et la thèse de P. Gioia devrait être prochainement publiée. ToutEduc a eu accès aux deux documents.

P. Gioia rappelle les résultats de la méta-analyse réalisée aux USA par le NRP (National reading panel) : "L’enseignement précoce et systématique du code des correspondances graphèmes-phonèmes (la "méthode syllabique", ndlr) produit de meilleurs résultats pour l’ensemble des élèves", mais "les différentes méta-analyses réalisées ces vingt dernières années peinent à trancher de manière assurée la question" de savoir si la méthode synthétique (ajouter des lettres puis des syllabes les unes aux autres pour composer des mots, ndlr) était supérieure à la méthode analytique (décomposer les mots en syllabes et en lettres, ndlr). Il penche pourtant plutôt pour la "synthétique".

Pour lui, les résultats s’imposent, comme le montrent quatre lignes de ce tableau extraits de sa thèse, les résultats des élèves utilisant une méthode syllabique stricte font référence, et les résultats des élèves utilisant des méthodes mixtes figurent en-dessous.

[tableau]

A mi CP, à l’épreuve de fluence, les élèves utilisant des méthodes comptant des mots "non déchiffrables" (méthodes mixtes affectées d’un signe + ou ++ selon le nombre de mots non déchiffrables qu’elles comportent) ont des résultats inférieurs de 7 % à 12 % d’écart-type du nombre de mots lus en une minute, de 7 à 9 % en fin de CP, de 8 à 12 % et de 6 à 7 % en compréhension.

L’auteur note (comme ToutEduc l’avait remarqué lors de la présentation de ses résultats au Collège de France) que ces résultats "ne dessinent pas un continuum qui verrait les performances des élèves en lecture diminuer à mesure (...) qu’augmente le nombre de mots à reconnaitre globalement et l’indécodabilité des textes (...). Les méthodes mixte, mixte+ et mixte++ sont également inefficaces face à la méthode synthétique stricte."

Interrogé sur cette absence de gradation, Jérôme Deauvieau fait ce même constat sans expliquer dans un premier temps pourquoi les résultats sont meilleurs (ou moins mauvais) en fluence pour les élèves dont les enseignants utilisent des méthodes "mixtes ++" (plus de 40 mots non déchiffrables selon la présentation au Collège de France) que des méthodes "mixtes" (moins de 10 mots non déchiffrables). Pour lui, ces méthodes amènent les élèves à user simultanément de plusieurs stratégies, à décoder certains mots, à en reconnaître d’autres de manière idéo-visuelle ou à les deviner en fonction du contexte. "C’est le fait d’être exposé quotidiennement (...) à plusieurs stratégies de lecture aux incitations contradictoires, qui constitue le dénominateur commun des méthodes mixtes" et qui suffirait à expliquer la dichotomie entre non-mixtes et mixtes sans distinction d’efficacité selon leur degré de non-mixité.

Nous l’avons également interrogé sur "le fait que les différences entre méthodes phoniques strictes et mixtes se réduisent (mais sont toujours visibles) en début de CE1". Pour Jérôme Deauvieau, "il faut bien comprendre que les familles consacrent beaucoup de temps au soutien à l’apprentissage de la lecture", surtout si les résultats de l’élève sont faibles. Dans sa thèse, P. Gioia estime que "ce paradigme explicatif, développé par P. Bourdieu il y a plus de cinquante ans, reste la ’clé de voûte’ de la compréhension des inégalités scolaires". A noter toutefois que les écarts selon les méthodes employées tendent à se réduire en début de CE1, ce qui semble indiquer que les effets du soutien familial sont indépendants de la méthode employée à l’école.

L’article en "preprint" ici

Extrait de touteduc.fr du 19.02.25

 

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