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Cités éducatives : la solution aux problèmes de l’école n’est pas hors de l’école (un nouveau billet de Marc Bablet)

9 mai 2019

Cités éducatives : la solution aux problèmes de l’école n’est pas hors de l’école
7 MAI 2019 PAR MARC BABLET BLOG : LE BLOG DE MARC BABLET

Les ministres de la ville et de l’éducation nationale ont communiqué le jeudi 2 mai sur les cités éducatives. On propose une lecture des documents de communication qui ont émaillé le développement du « concept » puis on discute le sens de cette mesure au regard des besoins des réseaux d’éducation prioritaire pour la réussite de tous.

Mon billet de fin octobre sur les cités éducatives qui étaient alors annoncées sans trop de précisions faisait état de quelques inquiétudes. Avec le dernier dossier de presse de jeudi 2 mai 2019 on ne peut pas dire que l’on soit vraiment rassurés.

Pourtant le fait qu’il semble y avoir une certaine convergence de points de vue de Olivier Klein président de l’ANRU, maire de Clichy sous Bois socialiste, de madame Sylvie Charière, députée « en marche » de Seine Saint-Denis, présidente du comité d’orientation et d’évaluation des cités éducatives et ancienne principale de collège, de monsieur Philippe Rio, maire communiste de Grigny où « un grand projet éducatif préfigure la cité éducative », devrait porter à penser que l’on est bien face à un projet où l’intérêt général pourrait l’emporter sur l’opération politique.

On va malheureusement montrer que la communication, l’idéologie libérale et le calcul politique l’emportent hélas encore sur l’action rationnelle pour les enfants et les jeunes des quartiers populaires. Une fois de plus on abandonne la centration sur les apprentissages scolaires au profit de mesures cosmétiques sur les alentours de l’école. C’est un retour en arrière qui me semble fort dommageable.

Rappelons la séquence de communication sur ce sujet, montrons comment les formules des discours présidentiels sont adaptées au processus de communication grand public.

- Discours du président de la République à Tourcoing en novembre 2017

Ce discours donne le ton en rappelant que seule la politique économique choisie par le gouvernement peut aider les quartiers en difficulté :

« Et puis, je voudrais aussi tordre le cou à une idée qui en ce moment fait fureur, c’est qu’il y aurait en quelque sorte une politique économique ambitieuse pour les gens qui réussissent, et puis, que quand on vient dans les quartiers en difficulté, on viendrait parler d’une politique sociale, parce que les gens des quartiers n’auraient pas droit à la politique économique. Je ne sais pas ce que ça veut dire, moi, avoir une politique pour les riches, je sais simplement que quand il n’y a pas une économie qui tire tout le pays en avant, quand il n’y a pas des entrepreneurs qui réussissent, quand il n’y a pas des gens qui réinvestissent dans l’économie, les quartiers les plus en difficulté ne se portent pas bien. »

Mais bien sûr pour le dossier de presse d’aujourd’hui ce n’est pas cette citation qui est retenue mais la suivante :

« L’éducation est le premier terrain de cette bataille pour la mobilité géographique et sociale (…). Nous mettrons en place des grands projets éducatifs s’adressant à tous les niveaux scolaires de la maternelle à la terminale pour lutter contre le décrochage scolaire. Nous fédèrerons autour de ces projets les institutions, les acteurs culturels et sportifs et les familles et nous les doterons de moyens renforcés. »

Or il est curieux de voir que cette citation ne figure pas dans ce discours tel qu’il est retranscrit par l’Élysée sur le site indiqué ci dessus. Il s’agit d’un montage nouveau pour l’occasion du dossier de presse sur les cités éducatives à partir d’éléments de discours tronqués et repris et déjà utilisés dans d’autres communications. La parole du président est adaptée par les communicants.

- Rapport Borloo du 2 mai 2018

C’est ce rapport qui donne dans son programme 4 l’idée des « cités éducatives » en mettant le collège du réseau au cœur de la cité.

- Discours du président de la République du 22 mai 2018 qui enterre au moins partiellement le rapport Borloo mais maintient l’idée de grands projets éducatifs dans certains territoires prioritaires et liste les mesures et dispositifs en cours de mise en œuvre.

- Dossier de presse du 18 juillet 2018 établi par le ministère de la ville

Lors de son discours du 14 novembre le président déclare : « Au total, vous l’avez compris, ce que je crois de la politique de la ville, ce que je suis venu aujourd’hui vous dire, vous ayant entendu, c’est que c’est une mobilisation de toute la nation qui seule peut répondre au défi immense que je viens d’évoquer, cette mobilisation nationale pour les villes et pour les quartiers, elle doit être celle du gouvernement, des collectivités territoriales, des associations, des entreprises, des intellectuels, c’est celle-ci que je veux aujourd’hui, avec vous, déclencher, avec un plan de bataille clair, avec une mobilisation pleine et entière. »

On lui fait dire comme prétendue « citation » pour la communication : « La politique de la ville doit mobiliser l’ensemble du Gouvernement. Et au-delà l’ensemble de la Nation. J’appelle à une grande mobilisation nationale pour les habitants des quartiers, une mobilisation qui concerne chacun d’entre nous. Je veux que le visage de nos quartiers ait changé d’ici la fin du quinquennat. » .

En réalité le processus de communication amène à tronquer et simplifier les messages. C’est particulièrement visible sur la dernière phrase retenue pour la communication : le prononcé du discours du 14 novembre est en fait : « Je veux que le visage de nos quartiers ait changé à la fin de ce quinquennat non pas parce qu’on aura atteint tel ou tel chiffre, parce qu’on aura changé la méthode collective, parce qu’on aura redonné de l’énergie à des femmes et des hommes que vous êtes, qui se battent depuis des décennies sur le terrain, parce qu’on aura réussi pas seulement la rénovation urbaine en quelque sorte mais la rénovation morale, parce que le cœur du défi de civilisation qui est le nôtre, le cœur de la bataille que nous conduisons pour notre République se joue là, dans les quartiers, dans les villes. »

Il est vrai que les concepts de « rénovation morale » et de « défi de civilisation » peuvent amener à bien des discussions et qu’il vaut mieux sans doute ne pas insister… car si d’aventure on devait révéler les valeurs qui soutiennent ce type de discours… Chacun appréciera.

Instruction du 13 février 2019 sur les cités éducatives qui change les orientations initialement proposées puisqu’elle ouvre la possibilité de retenir des quartiers peu difficiles et insiste sur l’engagement des élus locaux.

Dossier de presse du 2 mai 2019 sur les cités éducatives

Il présente la dernière version de l’idéologie qui préside aux orientations des cités éducatives et donne la liste qui est révélatrice d’un certain renoncement à une politique résolue pour les quartiers les plus difficiles.

Comment le concept de la « cité éducative » se vide progressivement du cœur de sa conception initiale qui voulait mettre l’environnement de l’école au service de l’école dans les territoires les plus en difficulté sociale.

Territoires les plus en difficulté sociale ?

Alors qu’au départ les cités éducatives pouvaient apparaître comme des renforcements de l’action de L’État dans les territoires les plus en difficulté sociale, présentant les indicateurs les plus préoccupants, la démarche proposée par l’instruction citée ci-dessus , qui laisse la main au local, débouche clairement sur la possibilité ouverte de prendre en compte des quartiers peu difficiles dans une optique plus politique que pour répondre véritablement aux besoins des territoires les plus concernés par la difficulté sociale.

On n’échappe pas au fait que les politiques peinent à véritablement définir des priorités sans en passer par des pesées locales et par une sorte d’égalitarisme dans le souci de donner des réponses inégalitaires dans tous les territoires.

Nous n’avons pas échappé à cela en ce qui concerne les REP+ comme l’a remarqué la cour des comptes dans son rapport d’octobre 2018. Il y a eu au moins un REP+ par académie alors que les indicateurs de certains collèges le justifiaient moins dans certaines académies notamment dans les académies de l’ouest de la France.

Or, pour les cités éducatives on va beaucoup plus loin encore dans la recherche d’équilibres politiques aux dépends de la réelle difficulté des territoires. Ainsi le gouvernement abandonne-t-il une politique résolue de prise en compte des quartiers les plus difficiles. Tout un chacun peut vérifier avec les données du SIG de la ville la situation des indicateurs des quartiers retenus

Il faut reconnaître que beaucoup des réseaux retenus sont pleinement justifiés comme à Marseille ou dans le Rhône. Le fait que la Seine Saint-Denis et le Nord soient bien représentés sont satisfaisants même si on aurait sans doute pu aller plus loin. On peut toutefois ouvrir la discussion sur d’autres territoires avec les données de revenu médian mensuel disponible et avec les taux de pauvreté : Comment comprendre que seulement une commune de Mayotte ou de la Réunion soit concernée et aucune en Guyane alors que les indicateurs (indisponibles en Guyane et à Mayotte) mais qui sont disponibles à la Réunion amènent à pencher pour une cité éducative par ville concernée par l’éducation prioritaire. Si l’on prend l’exemple de Saint-Benoit rive droite (866 euros de revenu médian disponible mensuellement et 63.2% de taux de pauvreté) ou de Saint Pierre (867 euros et 63.6%), on voit bien que dans une politique volontariste cela serait justifié. En regard un certain nombre de quartiers retenus semblent nettement moins concernés comme à Paris où le revenu median dépasse 1200 euros et les taux de pauvreté sont inférieurs à 35%, comme à Allonnes (1156 euros et 37.6%) ou à Nantes (1152 euros et 37.8%). S’agissant de la métropole chacun pourra regarder de près sa situation, il me semble que l’on peut, par exemple, discuter l’absence de Laon (quartier champagne moulin roux avec 912 euros et 59.8% de pauvreté) et ou de Béziers (centre ville avec 946 euros et 56.1% de taux de pauvreté).

L’environnement au service de l’école ?

Quand on regarde la manière dont les objectifs de la politique des cités éducatives est présenté dans le dernier dossier de presse, on peut d’abord trouver que depuis les premiers textes on n’a guère progressé laissant à mon billet d’octobre sa valeur pour l’essentiel. Mais on peut davantage s’inquiéter du fait que l’école semble ne plus être au centre comme elle l’était dans la présentation du rapport Borloo.

Il suffit de regarder ce que l’on appelle les représentations graphiques ( ou les visuels) dont les communicants sont friands pour voir qu’il y a eu de la négligence de ceux qui sont chargés de s’assurer qu’ils sont conformes à la politique portée ou qu’il y a eu une inflexion politique sérieuse. Ou les deux. Il en est de même pour les textes qui décrivent les cités éducatives.

La présentation graphique de la page 9 du dossier de presse est très révélatrice : D’abord par son titre ronflant « la grande alliance éducative » qui pose comme un allant de soi magique qu’il faut et suffit que tous travaillent ensemble pour que les élèves apprennent mieux (soit dit en passant cela n’a jamais été conforté par des recherches sérieuses alors que le fait que les enseignants fassent leur métier avec des pratiques adaptées permet des améliorations des apprentissages en milieu populaire). Ensuite par le « visuel » où c’est le « concept » de cité éducative qui est au centre et l’école est dans le premier cercle des différents partenaires au même rang que les « équipements sportifs », que la « maison » , que les « services » ou « l’espace social ». Cette présentation ne serait pas acceptable si l’on voulait rappeler que ce qui est au centre c’est l’enfant/élève et ses apprentissages. Soit le ministère de l’éducation nationale a lâché le sujet, soit il est complice d’une politique qui vise à réduire l’école comme un partenaire parmi d’autres. Cela peut avoir des conséquences malheureusement fort dommageables pour l’école et ses élèves.

Quand on regarde les textes des pages 7 et 8 on voit aussi que l’école n’est plus positionnée au centre des projets et qu’elle apparaît comme une occasion de communication politique ronflante et creuse : « Les Cités éducatives consistent en une meilleure coordination des dispositifs afin de parvenir à des « Territoires à haute qualité éducative ». » Dans cette présentation, l’école n’apparaît que comme un dispositif parmi d’autres. Rien n’est dit du rôle essentiel de l’enseignant pour assurer une véritable continuité pédagogique pour l’élève, rien n’est dit de l’importance de la formation professionnelle. Il suffit de voir comment est conçu le fait de « conforter le rôle de l’école », « promouvoir la continuité éducative », « Ouvrir le champ des possibles » pour comprendre qu’il est fort peu question de l’école et de ses pratiques professionnelles efficaces mais que l’ambition est que ce que l’école doit faire soit en fait le plus possible réalisé par d’autres en dehors de l’école…

En fait un certain nombre des orientations des cités éducatives sont des reprises d’orientations très générales comme la « maîtrise de la langue et la lutte contre l’illettrisme » ou « l’ouverture culturelle », comme « promouvoir les valeurs collectives » ou des reprises d’orientations partenariales portées de longue date dans le cadre de la politique de la ville comme la « recherche de la mixité scolaire » ou la « relation avec les parents », comme la « promotion de l’éducation artistique et culturelle » ou « le développement de la pratique sportive » ou les « formations communes entre les acteurs », « le renforcement du PRE ». Tout cela me semble de bon aloi. C’était d’ailleurs mieux décrit et argumenté dans l’instruction de novembre 2014 dont il suffirait d’assurer la pérennité.

Ce qui est particulier aux orientations de ce dossier de presse est marqué par l’idéologie éducative de droite

Ce qui est original dans ce texte est clairement porteur de visées idéologiques bien posées par ce gouvernement « suivi et accompagnement personnalisé » (plutôt que processus de socialisation dans le groupe classe) , « développement des crèches » (plutôt que l’école à deux ans qui, elle, est gratuite pour les parents) , santé hygiène avec « les petits déjeuners » (parce que chacun sait qu’il n’y a que chez les pauvres que l’on mange mal le matin), l’émancipation par la « mobilité » (quitter le quartier au lieu de donner ce qu’il faut dans le quartier comme dans les quartiers les plus riches), le développement de « fablabs » car l’on sait que la société numérique résout les problèmes sociaux…

Il est symptomatique que le coordonnateur national de la politique en question soit du côté du CGET et non à l’éducation nationale. Il est symptomatique que l’on dise d’un côté une priorité au premier degré et que l’on envisage de confier la responsabilité de la « cité » à un principal de collège en ce qui concerne les rectorats. Il est symptomatique aussi que l’on ne reconnaisse pas la dimension des réseaux existants et de leurs pilotes et coordonnateurs auxquels aucun rôle n’est donné dans les orientations proposées à ce stade (mais on peut être rassurés car ce sont eux qui feront le travail en dernière instance avec les équipes enseignantes).

Mais le plus inquiétant avec cette conception des cités éducatives, c’est que l’on ne voit plus la place de l’enseignant dans sa classe, le rôle central de l’enseignement pour les apprentissages des élèves. On invite l’école à chercher hors d’elle-même la solution à ses problèmes. C’est un très mauvais message quand on connaît ce que disent les recherches qui portent sur les réussites scolaires en milieu défavorisé qui dépendent d’abord du travail d’enseignement qui favorise le travail d’apprentissage des élèves. C’est un terrible retour en arrière, avant même le rapport Moisan Simon de 1997 qui avait rappelé l’importance de l’enseignement apprentissage pour la réussite de tous en éducation prioritaire.

En, outre la conception qui va toujours de pair avec cette perspective consiste à réorienter l’action vers les comportements plus que vers les apprentissages scolaires. On avait déjà connu cette réorientation de l’éducation prioritaire avec le dispositif ÉCLAIR en 2010 qui avait pour ambition de lutter contre la violence et non d’améliorer la réussite scolaire des plus défavorisés.

Beaucoup va dépendre des acteurs de terrain et de la manière dont les corps intermédiaires, notamment les inspecteurs d’académie et les préfets vont animer ces nouveaux dispositifs. Beaucoup dépendra des pilotes locaux sur lesquels ils s’appuieront. On trouvera en conséquence, comme souvent dans l’éducation, le pire et le meilleur en fonction de leur capacité ou non à s’entendre, de leur respect de l’existant, de leurs représentations a priori, de leur capacité à mettre en mouvement une communauté éducative qui suppose un management adapté. Espérons qu’ils s’inspireront de la réflexion importante sur ce sujet du pilotage que l’on trouve dans le très intéressant dossier de veille de l’ IFE établi par Olivier Rey sur « Pilotes et pilotage dans l’éducation ».

Extrait de mediapart.fr/marc-bablet du 07.05.19

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