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Les ZEP : des Zones d’Excellence Pédagogique ?, par Gérard Chauveau (Bulletin OZP n°3, mai 1993)

20 mai 1993

Bulletin de l’association OZP, n° 3, mai 1993

LES ZEP : des Zones d’Excellence Pédagogiques ?

Gérard CHAUVEAU

Chargé de Recherche

CRESAS-INRP

Plus de dix ans après le lancement de la politique ZEP, certains semblent plus soucieux d’éviter « les incendies » et de « limiter la casse » (violences, délinquance, toxicomanie...) dans les banlieues dites difficiles que de promouvoir un enseignement de qualité dans les quartiers populaires. D’autres continuent à parler d’innovations « territoriales » dans les mêmes termes qu’en 1981 : ils veulent que l’école bouge, s’ouvre, communique, se déverrouille... Ces deux conceptions de la politique ZEP - qu’on rencontre aussi bien dans les cabinets ministériels que sur le terrain - me semblent aujourd’hui largement insuffisantes, sinon dangereuses.
En effet, le paysage social et scolaire s’est profondément modifié durant la décennie 1980. C’est à partir de cette nouvelle donne - les mutations récentes de la société française - qu’il convient de (re)définir le sens de la politique ZEP : quelle finalité ? quels objectifs précis ? quelles orientations ? quelles stratégies retenir ?

L’ère de I’intelligence

La première transformation considérable des années 1980 est la « révolution de l’intelligence »

Partout, on entend dire que la matière grise est la principale matière première, que les compétences, les ressources humaines, la formation et la qualification sont les moteurs du développement. Une étude de I’INSEE a même calculé que la productivité d’un salarié ayant fait des études jusque vers 23 ans est, en moyenne, le double de celle d’un salarié qui a quitté l’école avant 15 ans. Au sein des entreprises, on parle d’O.S. intelligents, d’ouvriers bacheliers, de jeunes diplômés mais aussi de l’ensemble des savoir-faire organisationnels et cognitifs.
Entrepreneurs, économistes, sociologues, hommes politiques se rejoignent pour dire qu’il faut « mobiliser l’intelligence, l’imagination, et la capacité créative du nombre le plus large de personnes » (Michel Crozier).

Cette révolution traverse aussi la ville. La qualité des établissements pédagogiques et des organismes de formation, le niveau de connaissance et de qualification de la population, le nombre de diplômes figurent maintenant parmi les critères de dynamisme d’une ville. Tout le monde se souvient de « Montpellier la surdouée », mais on pourrait citer « Amiens ville étudiante », « Rennes vivre en intelligence » : l’image d’une ville se fait à présent sur ses atouts intellectuels.

Une véritable course aux universités, aux parcs scientifiques, aux technopoles, aux centres culturels s’est engagée entre des dizaines et des dizaines de villes. Le développement urbain repose de plus en plus sur le « développement intellectuel de la population et sur la création de pôles d’intelligence : il s’agit non plus de faire des villes mais des « villes intelligentes ».

Cette aspiration est largement partagée par les habitants et les citoyens. Par exemple, la demande d’école et de réussite scolaire s’exprime maintenant avec force dans toutes les catégories sociales : depuis 1984, la fréquentation des groupes d’aide aux devoirs a triplé dans les quartiers populaires ; en sept ans, le taux d’accès en terminale a progressé de 10 % chez les enfants de cadres moyens comme chez les enfants d‘ouvriers non qualifiés ; en 1991, 100 % des cadres et 75 % des ouvriers souhaitent que leurs enfants deviennent bacheliers.
L’échec scolaire, notion inconnue en 1960, alors que 25 % des élèves redoublaient le cours préparatoire et qu’à peine 50 % des enfants accédaient au collège, inquiète aujourd’hui toutes les familles. La qualité de l’enseignement, l’efficacité des établissements scolaires sont maintenant des soucis partagés par l’ensemble des utilisateurs.

Le système scolaire s’est bien sûr trouvé au premier rang de cette « révolution de l’intelligence ».

Avec la Loi d’orientation sur l’éducation de 1989, tout élève a maintenant droit à 100 % d’atteindre le niveau CAP-BEP et à 80 % d’accéder au niveau bac. Depuis Jules Ferry, l’Ecole était régie par le droit et l’enseignement pour tous ; avec l’objectif 100 % de réussite, elle repose à présent sur le droit à la réussite pour tous. Les polémiques autour de la formule « 80 % au niveau bac » ont peut-être empêché de voir qu’il s’agit là d’un véritable changement de nature du système de formation initiale. D’ores et déjà, celui-ci est probablement en train de vivre sa plus grande mue depuis un siècle.

En une quinzaine d’années, le nombre de jeunes « sans qualification » a été réduit de plus de moitié (200 000 en 1976, 92 000 en 1992) ; dans le même temps, le taux de bacheliers a doublé (25 % en 1976, 50 % en 1992). En dix ans, la possibilité d’accéder au niveau bac est passée de 34 % à 60 %. Le pourcentage de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur a crû de 19 % à 31 %, et le nombre de diplômés professionnels (du BEP au BTS ou DUT) a plus que doublé (378 000 en 1990 contre 178 000 en 1980).

Pour apprécier ces chiffres et ces changements, il faut se souvenir qu’en 1976-77, les pouvoirs publics et les organisations patronales estimaient que la France comptait trop de bacheliers et trop d’étudiants. Il faut aussi se rappeler qu’à la même date, 56 % des actifs n’avaient aucun diplôme scolaire.

On peut certes se féliciter de constater que « le niveau monte », mais on peut également remarquer que le niveau des exigences sociales monte encore plus. Pour beaucoup, le bac - et plus précisément le bac d’enseignement général - est devenu la norme. Les orientations vers les 4e technologiques, les filières BEP, les bacs F ou G, sont de plus en plus perçues comme des échecs. Les jeunes qui n‘atteindront pas le niveau bac - « les 20 % restants » - sont souvent présentés comme des « ratés » ou des « laissés pour compte », même s’ils sont titulaires d’un CAP ou d’un BEP.

Un phénomène voisin s’observe à propos de l’emploi

Dans une période caractérisée par la fréquence du chômage (trois millions de chômeurs dont 30 % de jeunes) et par sa durée (près de 9 % des jeunes de moins de 25 ans sont chômeurs de longue durée), le poids du diplôme est de plus en plus lourd dans les procédures d’embauche.
L’arrivée sur le marché du travail d’un nombre croissant de diplômés accentue le décalage entre niveau d’emploi et niveau de formation, et précarise davantage la situation des jeunes « non qualifiés ». Le taux de chômage des jeunes non diplômés est supérieur de 13 et 14 points à celui des jeunes diplômés : il était d’ peine 10 points il y a dix ans et de seulement 1,4 point voici vingt ans.

Actuellement, près d’un jeune non diplômé sur deux connaît une durée de chômage supérieure à un an au cours de ses trois premières années de vie active ; moins d’un jeune sur quatre est dans cette situation quand il est titulaire d’un BTS tertiaire. 40 % des jeunes possédant ce diplôme trouvent directement un emploi stable ; ils ne sont que 10 % chez les non diplômés. (1)

L’ère de l’exclusion

Le second changement de fond de la décennie 1980 est la montée des exclusions : nous sommes entrés dans « la société de la ségrégation » (Alain Touraine). D’après de nombreux sociologues, celle-ci aurait remplacé la société de classes des « trente glorieuses » (1945 - 1975).

L’opposition dedans/dehors tend à se substituer à la dualité haut/bas ; les tensions et les ruptures « horizontales » concurrencent et supplantent fréquemment les discordances et les luttes « verticales ». Ainsi, l’antagonisme classique entre salariés (le bas) et pouvoir politique ou patronat (le haut) cède la place au clivage entre ceux qui sont dans la production (les inclus, en particulier ceux qui ont la sécurité de l’emploi et des statuts solides) et ceux qui sont en dehors (les précaires et exclus du travail).
La société duale, longtemps considérée et dénoncée comme une menace, est devenue réalité : dans de nombreux domaines, les plus riches se sont enrichis et les plus pauvres se sont appauvris. Deux groupes sociaux se sont considérablement développés depuis dix ans : d’un côté celui des « privilégiés », de l’autre celui des « sans » (sans travail, sans formation, sans logement, sans statut, sans protection, sans revenu...).

D’une façon générale, les écarts se creusent, les inégalités augmentent, les changements (économiques, technologiques, culturels, urbains) se font au détriment des publics en situation de précarité, des populations les moins favorisées. Il y a bien développement (au moins jusqu’au printemps 1993), mais celui-ci est de plus en plus inégal et inégalitaire.

C’est ce qui arrive, par exemple, dans de nombreuses villes : pendant que le centre (le cœur) est en pleine croissance, des quartiers populaires (ou la périphérie) sont entraînés dans le mal-développement ou le sous-développement. Un véritable « apartheid » de fait" (B. Picon) existe : des quartiers se trouvent en « zones » et en « ghettos » où sont concentrés travailleurs immigrés, déclassés, catégories populaires en voie de sous-prolétarisation, tandis que d’autres sont de plus en plus dynamiques et attractifs.

Cette « machine à fabriquer de l’exclu » n’a évidemment pas épargné l’Ecole.

Jusque vers 1980, la « sélection » s’opérait principalement à l’intérieur des collèges où coexistaient les filières « nobles » conduisant à l’enseignement long et les filières « de relégation » (transition, pratique, cycle allégé, CPPN). La division sociale-scolaire est maintenant de plus en plus spatiale (ou socio-géographique) ; on a d’un côté les établissements « top niveau » des beaux quartiers et de l’autre les équipements « repoussoirs » réservés aux pauvres et aux immigrés ; ici des collèges et des lycées de plus en plus performants, là des écoles au rabais ou à petite vitesse.

La progression de la réussite scolaire s’effectue en accroissant parfois les disparités sociales et territoriales. En vingt ans, le nombre de diplômés CAP ou BEP a doublé, de même que celui des bacheliers et des étudiants, mais l’écart entre les catégories favorisées (55,3 % de bacheliers vers 1970, 74,1 % vers 1988) et les ouvriers (12,3 % de bacheliers vers 1970, 25,3% vers 1988) a augmenté : il est passé de 43 à 48,8 points.

Dans la décennie 1980, le taux d’accès en terminale a progressé moins vite chez les ouvriers (9,6 %) que chez les employés (12,9 %). En résumé, « l’élite scolaire s’étoffe numériquement, maintient son niveau et se détache plus nettement du peloton » (C. Baudelot et R. Establet), tandis que « les petits diplômés », qui appartiennent massivement aux milieux modestes, sont à présent marginalisés.

Les différences régionales sont, elles aussi, importantes.

Entre 1988 et 1989, le taux d’auxiliaires dans l’enseignement secondaire est passé de 9 % à 14 % dans les régions Picardie et Nord - Pas-de-Calais, alors qu’il n’était que de 5 à 6 % en Aquitaine. Le taux de « sorties sans qualifications » frôle les 18 % en Champagne - Ardennes contre 4,5 % en Bretagne. Si l’on considère la part de la population ayant le BEP ou le bac, l’écart entre l’Ile de France et la Basse-Normandie est passé de 11,7 points en 1982 à 13,4 points en 1990.

Ces mécanismes d’exclusion-ségrégation touchent de plein fouet de nombreux sites ZEP-DSQ. Ici et là, on parle de « ZEP de luxe » pour caractériser un quartier populaire « normal » ou des écoles qui « tournent bien » ; on dit « la ZEP de la ZEP » pour distinguer le morceau de territoire ou l’établissement scolaire « à problèmes ». La façon de penser la fonction des ZEP s’est elle-même dégradée. Il y a dix ans, on voyait dans les actions qui y étaient menées « autant d’innovations, d’expérimentations et d’acquis qui serviront à la rénovation de l’ensemble du système éducatif » (Groupe de pilotage pour la politique des ZEP, Ministère de l’Education nationale, 1983) (2).

Aujourd’hui, on en fait une sorte de « filière bis » du système scolaire en donnant de facto la priorité à la prévention sociale : sécurité, santé et sport (circulaire ministérielle du 7 décembre 1992).

En 1983, de nombreux observateurs présentaient les ZEP comme des « laboratoires » ou des « locomotives » du changement dans l’institution scolaire. En 1993, ils les classent « établissements sensibles » et « zones dangereuses ».

Cette inversion des discours traduit la double dimension de la ségrégation-exclusion. D’une part, des évolutions urbaines et économiques (dans le logement, l’emploi, la mobilité des populations...) renforcent les inégalités entre quartiers d’habitat social et au sein de chacun d’entre eux.
Dans une même ZUP, dans la même catégorie socio-culturelle d’habitants (par exemple, les travailleurs immigrés maghrébins), le fossé s’élargit entre ceux qui ont une trajectoire d’ascension sociale (intégration culturelle, emploi stable, réussite scolaire des enfants...) et ceux qui s’enfoncent, qui sont hors jeu et qui partent à la dérive. D’anciens quartiers ouvriers se paupérisent et se ghettoïsent, tandis que d’autres sont des lieux où « il fait bon vivre ».

D’autre part, les idéologies de l‘exclusion, de plus en plus diverses et dominantes, aggravent considérablement le phénomène.

L’idéologie du rejet voit dans chaque ensemble HLM « une cité barbare » et dans chaque ZEP un « lieu de chômage, de drogue, de violence, bref de misère ». L’idéologie du ghetto (ou de l’apartheid) pousse à faire des ZEP-DSQ des « chasses gardées » pour les spécialistes de la misère et les adeptes des cultures minoritaires (cultures dites d’origine, rap, tag...). L’idéologie de l’accompagnement social vante les mérites des initiatives locales, sans voir s’il s’agit souvent de saupoudrage ou d’activisme superficiel, sans remarquer que la concentration de structures et de mesures spécifiques « bas de gamme » est un facteur de stigmatisation et de sous-développement, une forme de gestion douce de la relégation.
Enfin, la rhétorique de l’indignation qui dénonce avec force le sort des exclus ressemble fort à un acte d’accusation de ces derniers. « Sous la générosité le stigmate » (B. Lahire) : les appels vigoureux à lutter contre le mal-vivre dans les banlieues sont d’abord, le plus souvent, une mise en cause de « ceux qui n’ont pas de savoir-vivre » et une mise à l’index des « endroits invivables ».

La finalité des politiques ZEP - DSQ

Comment les politiques publiques - celle du développement social urbain et celle des zones d’éducation prioritaires notamment - ont-elles affronté ces deux lames de fond qui secouent la société française et l’entraînent à la fois vers « plus d’intelligence » et « plus d’exclusion » ?

Nombre d’observateurs estiment en 1993 que « la politique de la ville n’a enrayé ni le dualisme ni l’exclusion sociale » (J.-M. Belorgey) ou que les opérations ZEP « n’ont pas toujours eu les effets attendus » (Commissariat général au Plan).
Un seul exemple : en 1991, un enfant d’ouvrier et de cadre a en moyenne de moins bons résultats aux évaluations CE2 et 6e dans une école ZEP que dans une école hors ZEP (3). Cela veut dire que certaines ZEP (ou qu’une partie des établissements scolaires ZEP) ont des effets plutôt négatifs sur la réussite scolaire. Cela incite à penser qu’une fraction des dispositifs et des programmes ZEP ou DSQ se limite à l’accompagnement social de l’échec scolaire et du sous-développement des quartiers (4).

Les questions de fond qui se posent d’urgence à la politique ZEP, au niveau national comme au niveau local, me semblent donc les suivantes :

 L’objectif des 80 % au niveau bac est déjà atteint (et dépassé) dans les catégories socio-professionnelles et les espaces urbains favorisés ; en revanche, ce seuil n’est franchi que par à peine un tiers des enfants d’ouvriers.
Comment intégrer les écoles populaires dans ce mouvement de modernisation-démocratisation du système scolaire ? Comment éviter que les jeunes de milieu ouvrier (français ou immigré) restent en marge ou à la traîne ?

 L’objectif du niveau V (CAP et BEP) n’est pas atteint par environ 20 % des adolescents des quartiers défavorisés. Comment les amener à cette formation initiale « minimum » à laquelle ils ont droit ?

 Dès la fin du cours préparatoire, près d’un tiers des enfants d’ouvriers est signalé en difficulté dans l’apprentissage de la lecture, contre 3 ou 4 % chez les enfants de cadres supérieurs.
Comment les aider à acquérir la maîtrise et la pratique de ce savoir de base ’ ?

 Le fait d’être scolarisé en ZEP (ou dans un établissement sensible) apparaît fréquemment comme stigmatisant et pénalisant.
Comment empêcher ces effets contre-productifs ?

Le premier enjeu des ZEP - et peut-être le seul - est là. Peuvent-elles être des outils de promotion collective (« l’efficacité pour tous ») et de réel développement des quartiers « fragiles » ?
Ou sont-elles destinées à n’être qu’un traitement en douceur de l’apartheid scolaire, un supplément d’âme de la marginalisation (scolaire, urbaine, économique), voire de simples mesures de maintien de l’ordre (contre la violence, la délinquance et les « explosions sociales ») ?

Des interrogations voisines peuvent s’appliquer à la politique DSQ.

Est-il pensable de résoudre « la crise des banlieues » sans s’attaquer énergiquement à l’une de ses composantes principales : la mal-formation, les « écoles ghettos » et le chômage des jeunes ?

Peut-on prétendre faire du développement social d’un quartier sans assurer le développement intellectuel et culturel de ses habitants ?

Peut-on croire réaliser une politique locale de la jeunesse sans mettre au cœur d’un tel projet la formation initiale et l’insertion professionnelle ?

Peut-on (re) qualifier un territoire sans mettre au premier plan la qualification (au double sens du mot) de ceux qui y vivent ?

Enfin, il faut souligner que ces deux « politiques nouvelles » - celle des ZEP et celle du DSQ - sont confrontées au même obstacle redoutable : le poids et la puissance de « la machine » - structurelle et idéologique - à faire de l’exclusion. Comment éviter ou enrayer tous ces effets dits pervers qui produisent le contraire de ce qu’on attend : plus de mauvaise réputation, plus de mise à l’écart, plus de difficultés scolaires ?

Des stratégies éducatives

Le premier travail est de repérer « les fausses solutions », les approches et les procédures inadéquates ou inefficaces. Je n’en citerai que trois qui me semblent particulièrement menaçantes pour l’avenir des ZEP.

 Donner « un plus » qu’on cantonne à la périphérie de l’action pédagogique (les loisirs, le sport, le soutien aux élèves les plus faibles) alors qu’on laisse se dégrader la qualité des enseignants et de l’enseignement.

Dans quelques ZEP-DSQ, il est actuellement plus facile de trouver des moyens et des subventions pour des « divertissements » variés que des enseignants formés et motivés. Ou bien certains poussent à multiplier les PAE et les innovations en même temps qu’ils laissent fuir des ZEP la population scolaire « sans problème ».

 Demander deux choses contradictoires à l’école : être plus efficace dans les disciplines de base et « s’occuper de tout ».

On place tout sur le même plan : enseignements et apprentissages mais aussi aménagement des rythmes de vie de l’enfant, hygiène et nutrition, sécurité et justice, animation socio-culturelIe du quartier, consommation et action humanitaire, prévention sociale, sanitaire et routière... On voudrait que les enseignants des ZEP soient de plus en plus performants sur le plan didactique tout en consacrant de moins en moins de temps aux activités cognitives et didactiques.

 Apporter des aides aux moins favorisés en commençant par les étiqueter et les dévaloriser.

On déclenche simultanément deux mécanismes contraires : un plus (le soutien) et un moins (la stigmatisation). On annonce « donner plus »à un enfant, un groupe, un établissement, un quartier, tout en caractérisant publiquement « le bénéficiaire » en termes de déficit, de déficience ou de défectuosité. A partir du moment où l’échec scolaire et la violence, par exemple sont posés comme des attributs des classes populaires et des ZEP, est-il encore possible de « fabriquer de la réussite » ?

Alors que faire ? C’est bien sûr la seconde tâche essentielle qu’il faut mener à bien. Toute l’analyse qui précède suggère une réponse : renverser la vapeur en jouant à fond « la carte de l’intelligence et de l’excellence ». Une telle approche - celle de la qualité maximale ou de l’efficacité pour tous - comprend deux aspects.

Une première démarche se centre sur « l’intelligence » (les savoirs).

« Donner plus à ceux qui ont moins » prend le sens de : donner plus d’activités intellectuelles, plus de stimulations psycho-cognitives, plus de sens au travail scolaire, plus d’occasions d’apprendre, plus d’aides aux apprentissages....aux enfants qui ont moins d’expérience, moins de pratique « des choses scolaires » dans leur milieu socio-familial.

A propos de la lecture par exemple, on peut d’ores et déjà mentionner des dizaines d’actions qui vont dans ce sens : des stages intensifs de lecture-écriture (par exemple les classes lecture de Cherbourg), des ateliers de lecture-écriture hors temps scolaire (par exemple les clubs coup de pouce de Colombes, les clubs lecture de la Seine-St Denis), des 6e avec option lecture (par exemple au collège A. Fournier de Bourges), des classes transplantées dans une bibliothèque publique, des études dirigées à dominante lecture-écriture...

Dans tous les cas, on joue sur trois tableaux : multiplier et diversifier le nombre d‘intervenants et de situations de lecture-écriture, augmenter le temps d’activité cognitive des enfants sur/avec l’écrit dans et hors l’école, recourir à une pédagogie de la « sur-stimulation ».

Autrement dit, il s’agit de proposer en ZEP « plus d’école et mieux d’école », de créer des « écoles accélérées », des écoles sur-stimulantes ou à plein régime, des « fabriques d’intelligence(s) ».

Une telle conception prend tout son sens lorsqu’on l’applique à l’ensemble de la ZEP et du quartier : ceux-ci tendent à devenir des zones d’activités intellectuelles. Dans et hors l’école, on met en œuvre des programmes « intellectuels » (lecture-écriture, activités scientifiques, aides méthodologiques, étude du milieu local, apprendre à apprendre...), on « injecte de l’intelligence » dans les équipements péri-scolaires (bibliothèques, groupes d’entraide scolaire, clubs d’astronomie, d’histoire, de mathématiques...), on construit de nouveaux « lieux de savoirs », salles de conférences et d’expositions, maisons de l’aide scolaire, on ouvre des BCD (Bibliothèques Centre Documentaire) ou des CDI (Centre de Documentation et d’Information) et des publics non scolaires, on ouvre des collèges pendant l’été, etc.
Bref, on essaie de construire une école populaire « intelligente » dans un quartier « intelligent »

La seconde démarche recherche « l’excellence » (ou le meilleur).

«  Donner plus à ceux qui ont moins » signifie alors : donner ce qui se fait de mieux aux territoires et aux populations les moins favorisés. On implante des équipements « haut de gamme » (BCD, CDI, laboratoires linguistiques ou scientifiques, centres de ressources pédagogiques...), on crée des options et des filières nobles » (classes bilingues, sections sport-études, classes « prépas » et de techniciens supérieurs...), on lance des actions valorisantes (PAE scientifiques, classes patrimoine, jumelage avec des musées ou des universités, initiation à l’anglais ou à l’allemand en CM...), on fait appel à des intervenants extérieurs « de haut niveau » (écrivains, chercheurs...), on reconnaît le travail accompli par certaines équipes enseignantes en leur donnant le statut de maîtres formateurs etc. Bref, on s’efforce de transformer les ZEP en Zones d’Excellence Pédagogique.

Force est de constater que les acteurs de terrain qui, depuis des années, s’efforcent d’emprunter cette voie de « l’innovation-qualité », qui fondent leur action sur le couple « intelligence-excellence » sont encore minoritaires et fréquemment dénigrés. C’est la preuve que la volonté de faire « de l’élitisme pour tous » provoque, à gauche comme à droite, autant d’oppositions en 1993 qu’au temps d’Antoine Vitez.

NOTES

(1) Sources : Repères et références statistiques, MEN, 1990,1991, 1992
Education et formations, DEP, MEN
L’état de l’école, DEP, MEN, 1992
Education et formations. Les choix de la réussite, Commissariat général au Plan, La
Découverte/Documentation française, 1993

(2) Conclusion du document : La politique des zones prioritaires deux ans après.

(3) Dossier Education et formations, n°14, sept. 1992, DEP

(4) Voir pour ex. R. Ballion, Les lycées sociaux, dans Migrants-formation, n° 92, 1993

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Voir le compte rendu de la Rencontre OZP animée par Gérard Chauveu le 23 avril 2003 sur le thème "Une politique ZEP peut en cacher une autre"

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