Séminaire OZP 13 mai 2023. La parole aux grands témoins

25 mai 2023

Séminaire OZP du 13 mai 2023.
« Faire réseau en éducation prioritaire ; quels contenus ? quelle animation ? »

La parole aux grands témoins :
Michèle Coulon, Conseil scientifique de l’OZP
Stéphane Kus, directeur d’école élémentaire RP à St Priest (Rhône)

Cette journée a montré combien la notion de réseau est indissociable de la politique d’éducation prioritaire, indispensable à la réussite des élèves qui y sont scolarisés mais aussi combien travailler en réseau relève du défi quotidien, à rebours de l’organisation du système éducatif et des orientations actuelles. Il nous faut connaître aussi bien l’histoire de cette conception du travail que l’environnement dans lequel il s’inscrit pour comprendre et tenter de dépasser les difficultés auxquelles se heurtent les acteurs. Car penser et travailler en réseau est un « mode de faire » à contre courant, constamment menacé et qui, même promu, reste largement non assumé par notre Ecole et son organisation.

Nous reviendrons en forme de synthèse non exhaustive sur quelques mots qui ont été prononcés.

Le mot consensus tout d’abord. Travailler en réseau fait-il consensus ?
La polysémie du mot « réseau » évoquée par Marc Bablet nous invite à la prudence sur ce point. Tout comme les injonctions contradictoires qui tantôt le promeuvent ou détricotent. Les CLA actuels, comme les CLAIR et ECLAIR en leur temps, nous montrent combien le réseau est souvent oublié, au profit d’une logique d’écoles et d’établissements. Les acteurs eux-mêmes ne perçoivent pas toujours le non-sens que constitue une labellisation de structures isolées. Car de quoi s’agit-il au-delà d’une notion évoquée par le « bouillard », la « brume » ou « l’état gazeux » ?
Il ne saura s’agir de déléguer à une structure, dont nous nous accordons à dire qu’elle n’existe pas institutionnellement, ce que chacune des entités qui la constitue n’arriverait pas à accomplir : à savoir la réussite scolaire des élèves de milieux populaires assujettis à des ghettos sociaux qui les isolent et les limitent. Unique objectif qui lui donne vraiment sens.
Le réseau s’impose quand, face à une forte ségrégation scolaire, les élèves ne bénéficiant pas d’une mixité sociale dont ils pourraient tirer profit ont absolument besoin d’une mobilisation pédagogique, d’une attention éducative des différents acteurs d’un territoire, construites collectivement et inscrites dans la durée de la scolarité obligatoire.
C’est dans cette logique que prend sens le réseau : inscrire l’action pédagogique nécessaire aux besoins des élèves dans le temps et la continuité pour espérer avoir un impact sur la difficulté scolaire. Cette vision large contrarie sur le terrain une autre vision du réseau réduit à la seule liaison primaire/ secondaire, ou CM2 /6eme ou au cycle 3. Il n’en est pas moins vrai que ce passage du premier vers le second degré est une période sensible de possible rupture qui mériterait d’être davantage analysée pour permettre aux personnels de la travailler plus efficacement : mieux comprendre les éléments potentiellement destructeurs d’un passage qui est aussi et dans le même temps une occasion de grandir, comprendre finement et précisément pourquoi « ce que les élèves savent collectivement à l’école primaire, ils ne le savent plus individuellement au collège » comme le disait ou l’écrivait Anne Armand.

Horizontalité
Le réseau constitue une approche horizontale dans un système encore largement bureaucratique et vertical… Et les acteurs de cette horizontalité percutent, dérangent, interrogent ce qui est en place : ce sont les coordonnateurs bien évidemment et, selon les périodes, les professeurs référents, les préfets des études…
Des « segments intermédiaires » comme les qualifiaient Anne Barrère lors d’une formation nationale de coordonnateurs organisée par le Bureau de l’éducation prioritaire de la Dgesco en 2018 et 2019.
Ils interrogent des postures hiérarchiques établies en introduisant de l’horizontalité mettant en possible tension les missions de contrôle et d’évaluation avec celles d’accompagnement, de collectif, de mutualisation et de coopération promue par le réseau.
Ils se heurtent, dans le lien qu’il promeuvent entre les deux degrés, à l’organisation des rectorats qui nous montre le plus souvent un secondaire hégémonique. On se souviendra que les IEN ont été réduits à des participants facultatifs des comités exécutifs par la circulaire de 2006 qui instituait les RAR, quand les coordonnateurs, largement issus du premier degré, étaient dans le même temps réduits au rôle de secrétaires de ces comités.
La refondation de la politique d’éducation prioritaire constitue de ce point de vue une parenthèse enchantée en précisant le rôle du coordonnateur, en donnant au réseau les moyens d’exister notamment en REP+ avec le temps de travail collectif et interdegrés intégré dans le temps des personnels. Avec le référentiel aussi qui peut constituer ce qui a été évoqué au cours de cette journée : « un cahier des charges » des orientations favorables aux élèves des milieux populaires, même si ce référentiel n’a pas été le support de la labellisation (à l’instar de ce qui a été fait pour les lycées des métiers ou les E3D) mais est une précieuse référence commune qui définit les objets de travail collectifs.

Le mot zone a aussi été prononcé : Passer de la zone au réseau, évoque le passage de la description péjorative d’un territoire à un réseau imaginé comme porteur de dynamique et de ressources.
Moi 80Cette évolution en évoque une autre, celle de la difficile évolution de la théorie du handicap socioculturel hégémonique dans les années 70 (et encore présente aujourd’hui dans bien des esprits) vers une autre approche qui décrit l’interaction des manières de concevoir les apprentissages et le savoir des élèves et des familles avec les pratiques enseignantes conçues pour une autre population plus familière de la culture scolaire. Tout comme la zone évoque le déficit, la carence, à l’image du « handicap socioculturel », le réseau évoque les liens, les interactions, il se conçoit comme porteur en lui-même de ressources, en s’appuyant sur le croisement des compétences et des savoir-faire des personnels des premier et second degrés, en co-inscrivant l’action de l’école dans son environnement dans une approche écologique…

Mais cette analyse sociale de ce qui fait obstacle aux apprentissages, de ce qui se joue dans la rencontre entre ce que sont les élèves et la logique propre au monde scolaire, est bousculée sur le terrain par les logiques de la politique de l’école inclusive.
Si l’on ne peut qu’adhérer sans ambiguïté à l’inclusion des élèves porteurs de handicap dans l’ordinaire des classes, cette évolution de notre école pose actuellement deux questions majeures :
- il est d’abord impératif que cette inclusion soit réalisée dans les conditions et avec les moyens, de toute nature, qui permettent une mise en œuvre qui ne mette en difficulté ni n’épuise les personnels.
- Par ailleurs, et c’est ce que nous souhaitons souligner ici, on constate sur le terrain une dérive inquiétante : la médicalisation de la difficulté scolaire qui vient percuter l’analyse sociale des difficultés scolaires des élèves issus des milieux populaires. Comme le soulignait Martine Caraglio (inspectrice générale honoraire de l’éducation du sport et de la culture) dans une tribune au Monde en date du 2 mai 2023 : « Occultant les contextes pédagogiques qui soutiennent plus ou moins favorablement les apprentissages, occultant la variabilité interindividuelle des élèves qui peut nécessiter des pratiques adaptées, occultant, voire invisibilisant, les aspects sociaux telle que la grande pauvreté et ses conséquences dans les apprentissages fondamentaux, les « difficultés scolaires » sont – avant tout, et c’est là le problème – attribuées à des pathologies et à des troubles. Ce processus de « handicapisation » de l’échec scolaire confère l’étiquette « handicap » à des élèves, certes en difficulté, mais qui, du point de vue de l’école, ne justifient peut-être pas une mesure d’exception ni surtout l’entrée dans une catégorie qui souligne et naturalise leur différence ». Cette pathologisation des difficultés des élèves paralysent des personnels qui se mettent à douter de leur expertise pédagogique, perdent la croyance dans leur savoir faire et leur pouvoir d’agir individuel et collectif…

Finalement et pour conclure, « faire réseau » manifeste l’intention de dépasser l’action ponctuelle, partielle pour agir plus pleinement et largement, sur un ensemble de facteurs et dans une action inscrite dans le long terme, passer en quelque sorte de « la guérilla à la lutte de haute intensité » pour reprendre une image d’un de nos témoins de la journée.

Synthèse rédigée par Michèle Coulon

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