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Discriminations en milieu scolaire : aucun cadre juridique, un activisme institutionnel mais très peu de réalisation concrètes, une intervention de Choukri Ben Ayed (ToutEduc)

2 décembre 2020

Discriminations en milieu scolaire : aucun cadre juridique et inanité de l’action de l’institution pour les mesures relevant de sa responsabilité (Choukri Ben Ayed)

En milieu scolaire, la discrimination "ne renvoie pas à aucun cadre normatif et juridique précis". Tel est le constat que faisait le chercheur Choukri Ben Ayed (université de Limoges). Il intervenait à l’occasion de la 2e journée d’études organisée dans le cadre des rencontres "La diversité culturelle en milieu scolaire. Regards croisés France-Italie" sous forme de webinaire par le groupe de recherche "Éducation Jeunesse Altérité" de l’URMIS et l’INSPE de Nice qui s’est tenue vendredi 27 novembre 2020. Son intervention, intitulée "La question des discriminations scolaires en France : un cadre opérant ?", interrogeait la nature de la lutte effective contre les discriminations menée dans le champ scolaire, analyse qu’il met par ailleurs en regard des discours de l’institution. Et au-delà de ces premiers constats qui rendent difficile la lutte contre les discriminations en milieu scolaire, le travail du chercheur met en exergue un autre frein : la défaillance de l’institution, qui prétend vouloir lutter contre les discriminations, à mettre en œuvre des mesures préconisées en ce sens et sa focalisation sur certains thèmes, masquant un problème plus général et des discriminations de nature exclusivement institutionnelles.

Son travail mené pour vérifier s’il existait un cadre opérant pour lutter contre les discriminations était justifié par un double constat : "la recrudescence de la thématique de la discrimination dans le champ scolaire" mais en même temps celui d’une lutte contre les discriminations qui reste "très peu active en France", notamment dans le champ de l’éducation puisqu’il ne représente par exemple que 9,3 % des dossiers déposés auprès du Défenseur des Droits (rapport 2018).

Un "fourre-tout conceptuel" dans le milieu scolaire

Le "problème d’ordre normatif et juridique" est en effet le premier constat que fait le chercheur : "on n’explique pas ce qu’est la discrimination" et même la circulaire de 2008 qui évoque cette notion (article 9 "Lutter contre toutes les violences et toutes les discriminations, notamment l’homophobie"), "quand on y regarde de près, s’éparpille", relève le chercheur, puisqu’elle parle à la fois d’égalité des chances, de lutte contre l’homophobie, contre les atteintes à l’intégrité physique et à la dignité de la personne en même temps qu’elle dénonce les violences dans et autour des établissements scolaires. Résultat, observe Choukri Ben Ayed, la discrimination "apparaît comme un fourre-tout conceptuel" et il est "difficile d’identifier" qui sont les "discriminants" (est-ce l’institution qui est discriminante ?) et les potentiels "discriminés" (les élèves se discriminent-ils eux-mêmes ?).

L’analyse de textes ultérieurs confirmera l’absence de cadre légal à la lutte contre les discriminations scolaires, poursuit le chercheur qui se dit dès lors "surpris du décalage entre les discours et les déclinaisons proprement institutionnelles".

Un "activisme institutionnel" mais "très peu de réalisations concrètes"

Et ce décalage s’observe aussi à l’aune d’initiatives intéressantes, l’organisation de séminaires, de rencontres, l’existence de la revue Diversités, la production de rapports qui certes ne donnent pas de définition mais ont donné un ensemble de recommandations, qui, au final, ont été "assez peu" appliquées, constate le chercheur, et surtout les actions relevant de la responsabilité de l’institution (en opposition à celles recommandées à mener en direction des élèves), souligne encore le chercheur qui cite, par exemples, l’anonymisation des dossiers d’orientation et la mixité sociale à l’école "restées en sommeil". Seule action mise en place, la formation des personnels éducatif, mais "on ne comprend pas bien", relève encore le chercheur, si elle vise à la prévention par rapport à leurs propres pratiques potentiellement discriminatoires, ou si c’est pour leur apprendre à développer des actions pour agir sur les pratiques des élèves.

Un activisme institutionnel mais "très peu de réalisations concrètes", et une focalisation par ailleurs sur la responsabilité des élèves - le chercheur note aussi que les recommandations des rapports concernent surtout les actions en direction des élèves (actions de sensibilisation, enseignement du fait religieux, éducation à la sexualité, à l’égalité filles-garçons...) -. Pourtant, observe-t-il, si on se référait par exemple à la définition de la discrimination que donne le Défenseur des Droit (qui dit en substance qu’il y a discrimination dès lors qu’il y a restriction à des accès et dès lors qu’il y a relation d’autorité, de subordination contrôlant ces accès à des biens et services), cela devrait pourtant "concerner davantage les encadrants dans leur relation aux élèves".

Autre problème également selon lui, on centre la lutte contre les discriminations sur les comportements sexistes, l’homophobie, la violence, le harcèlement, le racisme alors que ces faits sont déjà encadrés par tout un arsenal juridique. En outre, interroge Choukri Ben Ayed, "en renvoyant tout un ensemble de délits d’élèves sous l’angle de la discrimination, l’institution ne ferait-elle pas bonne figure en se targuant de mener une politique de lutte contre les discriminations tout en se préservant de ses propres responsabilités ?".

Seulement 9 % de plaintes déposées pour discriminations en milieu scolaire

Le chercheur cite un autre exemple pour illustrer "l’ambiguïté de cette politique", tiré d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale du 31 mai 2018, celui d’un recours d’une famille fait auprès tribunal administratif de Pontoise pour demander réparation et actions correctrices suite au non remplacement d’un enseignant. Cette famille avait obtenu en 2017 "gain de cause", chose assez "rare", souligne le chercheur, mais que penser néanmoins de la réparation décidée par le tribunal, 1 euro de dommages et intérêts par heure de cours non assurée, soit un total de 96 euros ? Ce que souligne bien cet extrait du rapport : "Cette indemnisation a-t-elle réparé le dommage ? Non, bien évidemment. Cette indemnisation a-t-elle encouragé l’État à prendre les mesures correctrices nécessaires ? 96 euros sur un budget de l’éducation nationale de 68 milliards d’euros ne suffiront pas."

Pourtant, pour Choukri Ben Ayed, il y a lieu de prendre au sérieux la responsabilité de l’institution, qu’il illustre par des exemples de discriminations de nature exclusivement institutionnelles : l’orientation et l’accès aux stages, la notation, le régime des sanctions, les sollicitations en classes (en se référant aux travaux de R. Sirota), la ségrégation scolaire, la constitution des classes... Pourtant c’est bien cette "inanité de l’action publique en la matière", estime-t-il, qui "renvoie aux non recours et à la fatigue de l’usager".

"L’identification de quelques coupables de discriminations ne doit pas masquer tout le problème", poursuit le chercheur. Ce problème "plus général", est, dit-il, celui des "inégalités sociales". Pour lui, il faut donc à la fois lutter contre les inégalités sociales et contre les discriminations en mesurant le poids des différents facteurs, "sans se servir des unes pour masquer les autres".

Camille Pons

Extrait de touteduc.fr du 30.11.20

 

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