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Selon Pierre Merle, le grand oral au bac est une épreuve socialement discriminante

4 mars 2020

Pierre Merle : Le « grand oral », une épreuve mal pensée et injuste
Pour le ministre de l’Education nationale, le futur grand oral est paré de toutes les vertus : préparer les élèves à « une compétence fondamentale » de la vie, les amener à réfléchir à leur projet d’orientation, « compenser les inégalités entre élèves en préparant tout le monde à la réussite de l’examen », valoriser notre capacité « à nous écouter, à aimer un point de vue différent du nôtre », etc. A rebours de cette capacité d’écoute, cette innovation majeure du bac 2021 n’a guère fait l’objet de concertation avec les acteurs de l’Education nationale. Sa mise en œuvre, à l’instar de la réforme du lycée, va se heurter à des difficultés non anticipées et à des réserves justifiées.

[...] Des épreuves socialement discriminantes

Evaluer des compétences, effectivement « fondamentales » dans la vie, sans former au préalable les élèves est contraire aux missions de l’école et des professeurs. En l’absence de préparation spécifique, les élèves vont être livrés à eux-mêmes. Les parents diplômés de l’enseignement supérieur vont pouvoir conseiller leurs enfants. À l’inverse, les enfants d’origine populaire ne pourront guère profiter d’un tel accompagnement parental. Lorsque le ministre affirme que le grand oral va « compenser les inégalités entre élèves en préparant tout le monde à la réussite de l’examen » alors même qu’il n’accorde pas aux professeurs les moyens de compenser celles-ci, il contribue à accroître les inégalités qu’il souhaite réduire.

Cette préparation au grand oral dans le cadre des enseignements scolaires est d’autant plus essentielle que les épreuves orales sont socialement discriminantes. À l’école primaire, il existe déjà des différences de compétences sociolinguistiques importantes entre les élèves. Les enfants des catégories aisées disposent d’un lexique plus étendu et de meilleures compétences grammaticales et syntaxiques. Toutes les recherches, y compris celles réalisées par le ministère de l’Education nationale, montrent que ces différences sensibles de compétences se maintiennent, voire s’accentuent. Tous les trois ans, les publications PISA confirment d’ailleurs que l’école française est l’une des plus inégalitaires d’Europe. Organiser un grand oral du bac, doté d’un coefficient élevé, non préparé spécifiquement et pour lequel l’essentiel des critères d’évaluation valorise essentiellement les compétences sociolinguistiques liées à la socialisation familiale , est une façon de maximiser l’effet discriminant de l’origine sociale.

Les cinq minutes du grand oral consacrées au projet d’orientation des candidats contribueront spécifiquement à cette discrimination. Pour les bons élèves qui prépare un bac général et se destinent à des études d’ingénieur ou de médecine, cette partie du grand oral est à la fois simple à concevoir et argumenter. Il n’en est pas ainsi pour les élèves au profil scolaire « moyen » dont les ambitions ne peuvent qu’être moindres et les choix d’orientation plus incertains. Comment des candidats moyens - situation scolaire la plus fréquente - peuvent-il concevoir clairement leur orientation post-bac alors même qu’ils ne connaissent pas, compte tenu de leur opacité et de leur diversité, les critères de sélection retenus dans les algorithmes de Parcoursup au fondement de la sélection aux différentes filières de l’enseignement supérieur ? Sur la partie « orientation » du grand oral, les bons et moyens élèves passent une épreuve formellement identique mais concrètement fort différente.

[...] Pour qu’une épreuve orale soit équitable, il faudrait un enseignement de ces codes sociaux, des exercices oraux systématiques et garantis à tous les élèves, des travaux dirigés qui sont indispensables à un travail individualisé. Pour mémoire, la réforme du lycée a largement réduit les travaux dirigés alors même qu’ils sont une pratique pédagogique indispensable au développement de compétences spécifiques telles que l’oral.

Contrairement au principe de l’éducation prioritaire, le grand oral du bac revient à « donner plus à ceux qui ont plus » et, finalement, à transformer des inégalités sociales en inégalités scolaires. L’exact contraire du principe d’égalité des chances et des missions émancipatrices de l’école.

Extrait de cafepedagogique.net du 02.03.20

 

Pierre Merle : « Le grand oral du bac est une épreuve mal pensée et injuste »
TRIBUNE
Pierre Merle
Professeur de sociologie

Pour le sociologue, dans une tribune au « Monde », la création d’une nouvelle épreuve orale au baccalauréat est une innovation mal avisée, sa mise en œuvre sera difficile et renforcera des inégalités sociales.

Extrait de le monde.fr/idees du 03.03.20

 

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