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Confinement, déconfinement et après (le blog de Marc Bablet)

2 juillet 2020

Confinement, déconfinement et après
LE BLOG DE MARC BABLET
Le pilotage du système éducatif pendant la crise a été particulièrement calamiteux et destructeur pour le système éducatif public. Si le ministre reste à son poste, cela nous confirmera l’intention clairement anti étatique, décentralisatrice et néo libérale des évolutions voulues par le pouvoir. S’il change : vigilance.

Un contexte de crise qui appellerait un travail collectif construit sur des informations solides mais a surtout montré un cynisme qui apporte le fatalisme.

Certes on n’avait jamais connu une telle situation où on arrête l’économie du pays pour sauver des vies. On pourrait en apprécier la dimension humaine. Si au lieu de se laisser prendre au discours sur le caractère mondial de l’épidémie on regarde les différences entre pays, on voit surtout que l’arrêt de la dite économie a été très variable selon les pays et ceci sans doute en lien d’une part avec des aspects culturels et d’autre part avec la capacité d’anticipation des dirigeants. On a un urgent besoin de construction de connaissances sur ce qui nous a amené à la situation vécue pour déboucher sur des réflexions de fond sur les politiques conduites.

En voyant par exemple le nombre de personnes âgées décédées dans les EPHAD, on pourrait s’interroger sur ce choix de gestion du grand âge qui consiste à regrouper en nombre des personnes potentiellement fragiles. Quand on voit que certains grands groupes en appui sur des fonds de pension américains et portant des EHPAD à fort effectif ont eu particulièrement de morts, il y a aussi matière à une interrogation sur cette conception de l’usage de l’argent public. Il est légitime de se demander s’il n’y a pas lieu de réorienter notre politique publique pour développer l’aide et les soins à domicile. Mais pour pouvoir en parler à propos, il faudrait connaître aussi le nombre de morts observés dans la même tranche d’âge parmi les personnes restées à domicile. On attend sur ce sujet comme sur d’autres des études solides qui puissent être proposées dans le débat public pour travailler sérieusement la question.

Contrairement au discours que l’on nous a tenu, la France n’est pas remarquable, n’est assurément pas la meilleure comme veulent le faire croire les discours à la rhétorique guerrière qui n’ont qu’un objectif : maintenir le moral des troupes afin qu’elles votent bien ou peut être même, car nous savons que le cynisme est de mise, qu’elles ne votent plus, dégoûtées qu’elles seront de tout discours politique puisqu’il est clair que règne un machiavélisme manipulateur et que le pouvoir échappe clairement au peuple. Le taux de participation aux municipales est particulièrement significatif à cet égard. Quand il est question de santé en temps de « guerre », au vingt et unième siècle, il est vrai qu’il serait mal venu d’utiliser l’abus de vin rouge comme on le fit pendant la guerre de 14. Il est toutefois probable que l’effet de production d’ignorance de sa situation réelle sur l’individu (et donc le développement du fatalisme) est le même avec l’abus de vin rouge et avec les mensonges cyniques. L’un comme l’autre sont détestables pour ce qui fait la santé du citoyen dans un pays démocratique : la connaissance partagée du réel et l’optimisme dans sa capacité à changer le monde.

Un pilotage national calamiteux du système éducatif, inscrit dans la guéguerre entre Matignon et l’Elysée mais aussi destructeur d’une certaine conception du service public d’État.

S’agissant de l’éducation, le ministre a largement développé l’idée que l’on était prêts assurant sans discontinuer sa logique de pure communication ignorante des réalités selon son principe de la méthode Coué, méthode d’autosuggestion bien connue mais ici doublée d’une hétéro-suggestion, un pur volontarisme qui ne s’intéresse pas au réel et donc surtout pas à la situation des autres (notamment pas à celle des professionnels) puisque c’est l’idéal, son idéal qui guide l’action. Il est très rôdé en la matière et sait parfaitement, face à une objection, dire à son interlocuteur « vous avez raison » tout en continuant à dérouler sa propre pensée sans tenir compte de l’objection.

Or, pas plus que l’on n’était prêts dans les milieux de la santé, pas plus on n’était prêts dans ceux de l’éducation.

Un excellent article de Faïza Zerouala indique bien à quel point le ministre s’est mis lui-même en difficulté en parlant trop et en anticipant trop peu. En outre, on a clairement vu dans la période que, de l’enseignant désemparé aux directeurs d’école et chefs d’établissements pris entre le marteau et l’enclume, en passant par bon nombre du haut encadrement, le constat est partagé d’un pilotage calamiteux qui a laissé les acteurs dans la solitude et dans l’inquiétude face à des prises de décisions aux allures de rodéos locaux entre acteurs de l’état, des collectivités territoriales et familles. Il faudra faire un bilan éclairé par la recherche afin de bien comprendre comment la situation de crise ne fait qu’amplifier les faiblesses intrinsèques du système éducatif quand il est piloté de cette manière.

Le même article nous rappelle que ce ministre a su séduire le « couple présidentiel » au point d’être soutenu à l’Elysée quand il était en tension avec Matignon dont il n’a, semble-t-il, pas respecté l’autorité alors que, même si l’on conteste ses choix politiques, on doit reconnaître au premier ministre une image d’efficacité digne de la place occupée. Sans doute est ce pour cela aussi que ce ministre qui s’y oppose trouve l’appui de l’Elysée qui n’apprécie guère cette image présidentielle ou au moins présidentiable du premier ministre.

Mais ce pilotage n’a pas été que calamiteux pour les acteurs de tous niveaux et inscrit dans une stratégie anti Matignon, il a aussi été destructeur d’une certaine conception du service public d’État et de ses principes. En cela il a été dans la continuité de l’action de monsieur Blanquer qui avait été bien anticipée par la fondation Copernic dès 2017 et qui donne lieu, tout récemment à un approfondissement de l’analyse des inquiétudes sur le sens de la politique conduite.

On voit bien que en mettant les cadres en tension, en mettant la pression sur les directeurs d’école et les chefs d’établissement, en abandonnant les enseignants, on laisse voir que le système peut fonctionner sans pilotage national sérieux et on ouvre ainsi le chemin à toutes sortes de perspectives anti étatiques qui risquent de remettre l’école dans la main de ceux qui en ont été privés par les Républicains de la fin du dix neuvième siècle (les patrons, les élus locaux, l’église).

La logique du tout est en tout qui préside à 2S2C et aux « vacances apprenantes » va bien dans ce sens de l’introduction de la confusion dans les compétences relatives aux apprentissages des élèves, visant ainsi à dessaisir les enseignants de leur métier. Déjà l’école à la maison prônée pendant le confinement introduisait cette confusion délibérée. Si après tout n’importe qui peut proposer des savoirs à l’école et hors l’école et que tout se vaut, pourquoi devrait-il y avoir un système éducatif national piloté et contrôlé par l’État ? Ces deux dispositifs sont parés de vertus par la communication gouvernementale, mais outre que cela ne fonctionne que très médiocrement, cela repose uniquement sur l’existant sans apport nouveau. Chacun (collectivités, associations) rhabille ses projets avec les nouveaux mots du pouvoir pour pouvoir faire passer des activités qui existent de longue date, telle colonie ici et telle activité péri scolaire là. Les enjeux financiers ne sont, en effet, pas minces.

Des perspectives pour la rentrée bien peu travaillées

Le discours du pouvoir pour l’école à la rentrée prochaine est impressionnant par exemple sur France inter :

« Le confinement est une catastrophe éducative mondiale » voilà la bonne manière cynique « d’analyser » le réel en développant un discours catastrophiste qui empêche toute pensée construite. En procédant de cette manière on commence par sidérer l’auditeur, ce qui permet de faire passer pour très sérieuses les réponses subséquentes (on fait ci, on fait ça) sans que quelque citoyen que ce soit n’ait véritablement la possibilité de savoir ce qui est réellement fait. Le ministre met encore une fois l’accent sur le décrochage des élèves avec des chiffres établis à la louche et énoncés sans aucune analyse. Et quelle sera la réponse de l’école ? Elle devra développer des évaluations pour favoriser la personnalisation des enseignements. Si les évaluations à venir sont conçues comme les précédentes c’est-à-dire pour faire passer les idées du ministre sur la lecture et les mathématiques, plutôt que pour permettre aux enseignants de véritablement mener des analyses de besoins de leur élèves, on risque encore une fois de passer à côté des besoins réels de nos élèves. Mais surtout on n’a jamais vu que l’évaluation soit une réponse au décrochage scolaire qui est d’abord un décrochage socio cognitif qui appelle beaucoup d’autres perspectives de travail pour réconcilier des enfants et des jeunes avec les apprentissages. Mettre les décrocheurs en échec dès la rentrée avec des évaluations est sûrement la meilleure manière de les dégoûter d’entrer dans les apprentissages attendus.

Restera-t-il à son poste ou restera-t-il pas ?

Comme il est maintenant habituel depuis 2017 on nous annonce « en même temps » que l’on change de cap et que l’on poursuit la trajectoire. Ainsi espère-t-on ratisser large en roulant son monde, surtout ceux qui auraient l’espoir d’un changement de cap. Le calcul politique actuel semble bien reposer de fait sur le dosage d’un peu d’écologie et de beaucoup de droitisation. Sûrement pas l’abandon d’une politique libérale que l’État ne va faire qu’accompagner avec l’argent public pour sauver le principe même de cette politique libérale. Mais rétablira-t-on « en même temps » des emplois aidés pour soutenir les plus en difficulté ? Tout cela n’annonce rien de bon et sûrement pas quoi que ce soit de positif pour l’éducation. Il reste que la tradition de la cinquième république est que lorsque l’on change de cap on change les ministres. Aussi la nomination du prochain ministre de l’éducation nationale devra-t-elle être regardée de près. Ne pas changer de ministre ce serait clairement ne pas changer de cap pour l’éducation et continuer la destruction du service public d’État au profit d’un système décentralisé et déconcentré (ouvrant par ailleurs un champ large au privé) qui perdrait la force des valeurs portées nationalement . En revanche le changement de ministre ne nous garantirait absolument pas de changement de cap. Il faudra alors redoubler de vigilance.

Extrait de marc-bablet.fr du 30.06.20

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