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Sur le blog de Marc Bablet : "Avançons toujours vers des propositions pour la réussite de tous"

5 septembre 2019

Avançons toujours vers des propositions pour la réussite de tous

Je souhaite à tous une bonne rentrée. Je ne commenterai plus désormais l’actualité telle que la décide le ministre. J’ai dit ce que j’avais à dire des abandons coupables relatifs à l’éducation prioritaire et des fausses pistes mises en œuvre avec démagogie et dans une perspective libérale et autoritaire. Il faut maintenant avancer des propositions pour la réussite de tous.

Je justifie cette nouvelle manière de vous proposer quelques réflexions en voyant une fois de plus à quel point la communication de rentrée est un rideau de fumée. Chacun est, certes, bien conscient que la communication de rentrée prépare des échéances électorales plus qu’elle ne vise l’amélioration du système éducatif pour les plus pauvres des enfants des milieux populaires. Rappelons que ce ministre est « pragmatique » c’est-à-dire somme toute que les moyens importent peu puisque seuls valent les résultats. Mais quels résultats ? Les résultats scolaires des élèves des milieux populaires ou ceux des sondages en vue des prochaines élections ? ou ceux de sa cote de popularité ?

Il suffit de jeter un œil au dossier de presse de rentrée (au sein du ministère, c’est l’alpha et l’oméga du discours politique ministériel. On met plus de soin politique à ce type de document qu’aux circulaires qui sont davantage le fruit d’arbitrages souvent plus complexes et qui ne sont guère regardées par le service communication du ministre qui en revanche se montre exigent en matière d’infographies, comme si une image valait mieux que des mots utilisés dans un argumentaire construit. Une manière de dire que l’on fait aujourd’hui davantage appel à l’émotion qu’à une réflexion argumentée.

Il est impressionnant de voir à quel point le langage est fait pour enfoncer des portes ouvertes : le début de l’Édito du ministre est caricatural à cet égard. Celui-ci déclare : « Le verbe « réussir » dit mieux qu’aucun autre la finalité profonde de l’École : la réussite de tous les élèves. » C’est tellement gros que l’on risque de ne même plus s’en apercevoir. Ainsi va une communication tautologique. D’une certaine manière cela montre que nous avons de bons mécanismes de défense face à ces manipulations et c’est tant mieux, mais d’un autre côté c’est inacceptable dans la gestion des affaires publiques dont on attend plus de sérieux. Et d’enchaîner des mots pour nous endormir dans la ouate du monde idéal : « bonheur, confiance, fier, élévation, justice… ». J’avais déjà été frappé, dans l’académie de Créteil, quand le ministre était recteur par cette manière toute personnelle d’ignorer superbement les critiques et le pessimisme au profit d’un optimisme systématique. Comme s’il croyait (sincèrement peut-être) qu’il suffit de ne pas parler des choses pour qu’elles n’existent pas. Une sorte de pensée magique. A force d’utiliser de tels mots dans ce processus de communication politico médiatique, on finit par affadir des mots porteurs de valeurs et par leur faire perdre leur sens profond et donc leur utilité sociale et politique. Il me semble que par souci de respect pour le dialogue démocratique nous ne devons simplement plus accepter ces communications de communicants et les dénoncer chaque fois que possible.

D’autant que le seul sujet qui concerne nos préoccupations depuis le lancement de ce blog, soit la question de l’égalité pour la réussite de tous, ne donne pas lieu à une véritable réflexion de fond sur ce qu’il s’agit de combattre : quand le ministre parle de cela c’est pour se satisfaire des CP et CE1 à 12 qui figuraient dans le programme présidentiel et qui ont été mis en œuvre en faisant pratiquement complètement disparaître le dispositif prometteur des « Plus de maîtres que de classes ». C’est pour faire croire que des mesures comme la maternelle à trois ans, la culture au cœur de l’école ou la préparation des JO 2024 contribueront à plus d’égalité… De qui se moque-t-on ? Quand à ce qui est annoncé de manière si « sociale » : « soutenir les familles les plus fragiles », il s’agit de proposer des petits déjeuners avec l’appui des collectivités territoriales ; il est aussi dit que des aides financières soutiennent les familles de collégiens… Quand on sait à quel point la grande pauvreté est installée dans notre pays et en augmentation, l’augmentation de 4% des crédits des bourses semble bien faible. Évidemment c’est mieux que quand cela avait baissé avant 2012 mais cela reste bien modeste. Il y a encore un gros effort à faire pour que l’on puisse croire à un « virage social ». L’objectif qui consisterait à rendre moins pauvres les familles les plus pauvres et à leur faire confiance (vraiment confiance et pas juste en prononçant le mot) est encore bien loin des préoccupations du moment.

Aussi je pense que s’il faut refuser le langage manipulatoire, il n’est plus très utile de rediscuter cela de manière précise comme je me suis efforcé de le faire jusqu’ici. Je pense que chacun de nous doit maintenant plutôt s’inscrire dans une perspective dynamique orientée vers l’avenir. Parier sur une possible alternance afin d’aider une gauche française, encore à reconfigurer, à construire un nouvel avenir, à oser des propositions non tant nouvelles (on dira ailleurs que l’innovation n’est pas ce dont nous avons besoin) que solides par rapport à des valeurs éprouvées auxquelles il faut redonner un sens fort à l’inverse de la communication qui affadit tout en même temps qu’elle l’affaiblit car on n’y croit plus. Il s’agira ici simplement d’aider cette construction en proposant des pistes construites à partir de tout ce qui a pu être discuté depuis des années par de nombreux connaisseurs du système éducatif et à partir de ce que l’on sait des besoins des élèves des milieux populaires. Il ne s’agit pas d’être original mais de travailler à porter des idées, à les approfondir en les défendant après d’autres. Je pense en particulier au rapport de Jean-Paul Delahaye sur la grande pauvreté de 2015.

Il s’agit d’appuyer ces pistes sur des valeurs et des finalités qui sont choses le plus souvent négligées par les « pragmatiques » et uniquement mobilisées comme des mots qui font illusion pour les séquences de communication. Il nous faut dialectiser des propositions, c’est-à-dire permettre qu’elles soient débattues, en les articulant à des pratiques acceptables et à une temporalité vivable pour les acteurs mais en gardant en ligne de mire l’exigence de l’école pour tous. C’est-à-dire d’abord l’école pour les plus pauvres et notamment ceux qui sont concentrés dans les quartiers où le jeu du capitalisme les a rassemblés (j’ai traité cette question des territoires de l’éducation prioritaire dans un article pour la revue de l’ AFAE), puisque par ailleurs cette école fonctionne déjà pour l’essentiel pour les autres.

Il nous faut aussi ne rien négocier sur le postulat d’éducabilité qui aura mis longtemps à être inscrit dans la loi puisqu’il a fallu attendre la loi de refondation de l’école de la République en 2013 : « Tous peuvent apprendre, tous peuvent progresser ». Si certains, parmi les enseignants, peuvent, dans leur métier quotidien, éprouver des difficultés à le mettre en œuvre, voici une bonne raison de les aider en explicitant les conséquences de ce principe pour les pratiques et en proposant de la formation. Le discours ambiant sur les salaires des enseignants est bon pour que les syndicats puissent obtenir des avancées et chacun sait que le niveau de salaire de la profession doit être amélioré mais des primes (car en période de réforme des retraites, on peut difficilement croire à de véritables améliorations salariales durables) ne suffiront pas à permettre le développement de pratiques professionnelles pertinentes et efficaces ni le développement de contextes de travail satisfaisants pour l’amélioration des résultats des élèves des milieux populaires qui rencontrent des difficultés avec l’école telle qu’elle est. On peut donc penser que la perspective de cette amélioration salariale est, pour l’instant, dans la séquence de communication politique un choix démagogique. Le fait que cela ne soit pas associé à une augmentation de la durée des formations initiale et continue me semble dommageable pour ce que nous avons à faire pour une école de l’égalité pour la réussite de tous.

On s’efforcera donc, dans ce qui suivra, de faire résonner les différents principes qui concourent à la possibilité d’une école vraiment égalitaire pour tous en nous appuyant sur les résultats des sciences et sur l’expérience des professionnels qu’il nous a été donné de voir ou d’entendre. On visera aussi à s’appuyer sur l’analyse de ce qui se dit sur l’éducation et l’enseignement et sur ce que cela signifie d’idéologie à l’œuvre, laquelle peut être plus ou moins l’amie des finalités et des valeurs à défendre. On essaiera constamment de rappeler que rien ne peut se faire de vraiment utile sans une posture qui reconnaît la réelle complexité du monde. Tout le contraire des postures actuelles qui l’ignorent superbement.

On insistera aussi sur l’importance de ne pas penser qu’il faut tout changer à l’école pour qu’elle aille mieux : c’est d’abord d’un principe d’amélioration que nous avons besoin : ne pas vouloir absolument du changement rapide ou de l’innovation. En revanche vouloir résolument une amélioration continue qui s’appuie sur des perspectives sérieusement travaillées. De ce point de vue, je ne doute pas que nous ayons intérêt à compléter notre information sur ce monde éducatif en lisant l’ouvrage coordonné par Bernard Lahire qui vient de paraître et dont le journal Libération rend compte récemment et pour lequel Bernard Lahire s’exprime sur France Culture. Ce sera aussi une manière de dire une fois de plus que l’on regrette le changement de politique qui a vu renoncer à l’accueil des moins de trois ans en éducation prioritaire.

Enfin, permettez moi de vous offrir pour la rentrée un lien vers une courte vidéo, finalement optimiste sur le sens de l’école, sur une petite élève de Mayotte, un territoire qui devrait être parmi les plus prioritaires car il y a encore beaucoup à faire pour que l’école de la République y soit au même niveau d’exigence et de qualité pour tous.

Extrait de mediapart.fr/marc-bablet.blog du 04.09.19

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