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L’exclusion aujourd’hui, par Hélène Salmona (Bulletin OZP, n° 5, octobre 1994), avec G. Berger, R. Castel, B. Schwartz...

22 octobre 1994

Bulletin de l’association OZP, n° 5, octobre 1994

 

L’EXCLUSION AUJOURD’HUI

Compte rendu du colloque : « Exclusion et éducation », organisé les 22, 23 et 24 septembre 1994 à l’université Paris VIII par l’Association des enseignants, chercheurs en Sciences de l’éducation.

Bernard Charlot présente le colloque. Il s’agit de donner plus d’intelligibilité à la notion d’exclusion, de transformer un objet social et médiatique en objet de recherche, d’articuler recherche et pratiques, d’intégrer l’éducation en tant que lieu où se construisent les processus de personnalisation et de socialisation face aux rapports de domination produits par la société.

Pendant le colloque, des intervenants ont été gênés par le vocable même de l’exclusion. Il y a bien un phénomène dont on ressent la réalité mais que l’on répugne à désigner de ce terme :
· Parce qu’il il fait référence à des catégories très différentes et recouvre des réalités diverses (handicapés, personnes âgées, malades, jeunes, chômeurs...).
· Parce qu’il est un mot stigmatisant et qui fait entendre qu’il s’agirait d’un état.
· Parce qu’il est véhiculé par un discours dominant et qu’il n’est pas produit par ceux là même qui sont concernés.

Et cependant l’exclusion est bien là, on le sait. Ainsi y-a-t-il tentative de la définir ; on évoque des conditions : l’exclusion serait faite de situations de rupture, souvent cumulatives de dégradation (ou d’absence) de la relation sociale ; l’individu n’a pas ou n’a plus de droits ; il est privé de parole et de légitimité (au sens juridique du terme). On constate aussi qu’il y a peu d’exclus, mais que bien des personnes sont en danger de l’être.

G. Berger a conclu en soulignant des grandes lignes qui ont marqué les débats.

 La question de l’exclusion se situe dans une histoire et une historicité. Notre société est traversée par un mouvement global d’unification, réalisé pour beaucoup par la droite libérale (collège unique, mixité, intégration des handicapés, reconstruction familiale des immigrés...). C’est dans un consensus unitaire qu’est produit le discours social sur l’exclusion ; bien sûr, dans le même temps apparaissent des revendications ségrégatives (surdoués, Noirs aux USA...). Les politiques sociales luttent tantôt contre l’inégalité, tantôt contre l’exclusion.
Toute cette histoire est faite d’une série de tentatives d’inclusion et d’intégration.
La recherche quant à elle, a déplacé son objet : de la question « qui sont les exclus ? », elle porte actuellement sur les processus par lesquels on exclut et on est exclu (trajectoires, mécanismes psychosociaux).

 L’exclusion relève d’un procès social qui la produit, d’un processus de désignation et d’un processus intellectuel (concept de différence). Il y a balancement dans la façon de penser l’exclusion entre des processus de réification et de catégorisation et retour vers la question du sujet, de l’acteur, de la personne ; à une description sociologique se substitue un rappel répétitif du sujet (par exemple : on s’est posé les questions : qu’est-ce qui est exclu dans tout sujet ? ou quelles sont les sphères de la personne atteinte par l’ex-clusion ? ou études des trajectoires...).

 L’identité des professionnels au moins autant que celle des exclus est interrogée. Les stratégies habituelles sont déjouées et tentent de jouer sur deux registres, l’emploi et la personne, (la seule réponse étant souvent centrée sur la personne) à l’instar de l’enseignant qui hésite entre savoir et socialisation. De la même façon les institutions partie prenante se multiplient et s’enchevêtrent dans un flou parallèle.

 La question politique est là. Les termes d’intégration, de socialisation, d’insertion sont épineux. On voit des processus micro intégratifs qui ne répondent ni à une éthique, ni à un projet politico-économique auquel on peut adhérer.
 L’exclusion met le doigt sur l’ébranlement d’une société dont on ne voit pas l’évolution ; et parfois les exclus sont-ils considérés comme les innovateurs potentiels d’une autre forme sociale (modèles d’inconduite).

DES APPROCHES SOCIO-ÉCONOMIQUES ET ÉCONOMIQUES

Conférence de Robert Castel - La question sociale et ses transformations

Aujourd’hui se pose la question de l’effritement de la société salariale qui nous concerne tous. Aujourd’hui 86 % des actifs sont salariés et tirent l’essentiel de leur position, de leur place, de leur sécurité (droits sociaux) par le moyen du travail salarié.
Au XIXe siècle la notion de salarié désignait une condition souvent misérable puis le salarié a suivi une trajectoire ascendante qui a culminé dans les années soixante-dix et qui s’est brisée ; chômage et précarité sont apparus : en 1983 le CNPF déclare la nécessité du travail non fixe. Les petits boulots payés à la tâche rongent la salariat. Le SMIC va-t-il sauter, alors qu’il place encore les gens dans le continuum des salaires droits et garanties ? Va-t-on revenir à une société de services à la tâche ? Y-a-t-il une alternative positive à la société salariale ?

Les sociétés post-industrielles découvrent qu’il y a des gens non indispensables, des « surnuméraires », qui ne sont pas exploités, mais qui sont « de trop ». Face à cela on fait de l’insertion... comme riposte à un déficit d’intégration de ceux pour lesquels il n’y a pas de place. Mais qu’est-ce qu’une insertion qui cesse d’être une étape et devient un état ? (Jeunes et moins jeunes R. Mistes). La question sociale est là, aujourd’hui dans cette mise en flottaison. Elle se joue au sein de l’économie, elle n’est pas seulement technique mais politique. Le statut des personnes est toujours dans notre société lié au travail (et aux droits auquel il donne) et là se joue la contradiction dramatique pour les personnes privées d’emploi.

Faut-il une recomposition de la société salariale dans cette conjoncture nouvelle ?

A l’heure actuelle n’y a t-il pas beaucoup d’exclus ? Bien des gens vivent dans l’aléatoire et se débrouillent grâce aux biens familiaux.
En l’an 2000, 60 % des emplois seront non qualifiés et dans le même temps 80 % des jeunes auront peut-être le bac. Comment maîtriser la cohésion sociale, alors que le couple travail-protection deviendra un bien rare ?

L. Marmuz et A. Winnokur (économistes) enfoncent le clou. On laisse entendre que les exclus sont « à côté », « en dehors » mais il faut comprendre qu’ils participent directement au fonctionnement et à l’équilibre de notre société. L’exclusion est un élément organisateur de celle-ci et résulte de choix politico-économiques. Elle est cependant l’objet d’une constante dénonciation car on sait de moins en moins gérer cette popula-tion mise en réserve. En régime capitaliste ce phénomène peut-il être dépassé ?

Si l’on fait un retour en arrière on constate que le secteur traditionnel qui obéissait à la logique de satisfaction des besoins et du non-profit a disparu. Le Fordisme a instauré une production de masse pour une consommation de masse ; celle-ci suppose un pouvoir d’achat et ainsi s’est développée la société salariale.

Actuellement la mondialisation de l’économie du capital, l’incertitude des débouchés crée une « qualité » nouvelle de la force de travail qui doit être immédiatement rentable ; les entreprises ont besoin de flexibilité. Le sommet de la pyramide sociale n’a plus besoin de sa base ni pour consommer (NDLR à voir), ni même comme main d’œuvre. Il n’y a plus aucun frein au rejet massif des travailleurs. Il y a laminage des classes moyennes, élargissement des inégalités, fractures entre gens aisés et pauvres.
Les classes inférieures n’intéressent plus les politiques que dans la mesure où elles peuvent troubler l’ordre public. Notre société, alors que l’exclusion est relative, est celle d’une prolétarisation absolue. L’analyse marxiste serait à reprendre à partir des nouveaux modes d’accumulation du capital.

DES APPROCHES PSYCHOLOGIQUES ET CULTURELLES

J. Natanson rappelle que Freud (in « Malaise et Civilisation ») énonce ainsi les malheurs de l’homme : « La pénurie, la faiblesse organique du corps, la difficulté d’établir avec les autres hommes des relations satisfaisantes. L’homme a besoin de s’insérer, c’est-à-dire de se situer - de savoir ce qu’il peut donner et attendre des autres. » (Cette situation de réciprocité a été développée dans des ateliers du colloque et nous paraît importante ; être dans l’échange, être en mesure d’exercer ses droits mais aussi ses devoirs NDLR).
Si l’équilibre est rompu l’autre devient étrange(r), menaçant. Exclure veut dire enfermer au dehors, exclure l’étrange, le mauvais objet ; c’est le familier refoulé qui vient se manifester ; c’est cette partie de soi semblable à l’autre qu’on ne maîtrise pas. La question clé est : comment reconnaître l’autre dans son altérité ? comment se faire reconnaître de l’autre dans sa propre identité ?

Jean Biarnes revient à la notion de culture, en donne une définition très simple : « Elle est l’ensemble des solutions qu’un groupe humain hérite de sa propre histoire, qu’il invente ou qu’il emprunte pour répondre aux défis de son environnement... » La culture répond à trois fonctions essentielles : l’estime de soi, la capacité d’un groupe ou d’un individu à sélectionner, à choisir des objets pour s’adapter ou maîtriser son environnement, et la capacité à donner un sens et des valeurs à ces objets. L’exclusion n’est-elle pas la privation de ces fonctions ?

LA FORMATION, L’ÉDUCATION

Bertrand Schwartz reprend les thèmes de son livre : « Moderniser sans exclure », (La découverte, 1994). Les changements accélérés ne peuvent se poursuivre en laissant de côté des fractions entières de la population. Des solutions existent qu’il a construites et éprouvées tant dans la formation des jeunes sans qualification, que dans l’action menée pour limiter ou éviter l’exclusion des travailleurs, dans la reconversion des travailleurs qualifiés. Il nous dit son refus de se résigner à l’inégalité.

Jacqueline Costa-Lascoux (Fondation des sciences politiques) nous dit sa croyance dans l’éducation et la citoyenneté. Le mot exclusion à son sens est univoque : on chasse, on prive de ses droits ; l’exclusion s’inscrit dans un rapport dominant dominé ; ses antonymes sont insertion, intégration, citoyenneté. A l’école, on voit apparaître l’éducation à la citoyenneté comme arme contre la violence, et comme constitution d’une culture démocratique chez des publics hétérogènes.

La question est bien celle de l’émergence de l’élève comme sujet de droit, en l’absence de culture démocratique. D’autres questions : faut-il créer un espace interdisciplinaire pour cette éducation ? La relation pédagogique courante où l’on parle et l’autre écoute est bien peu propice. Peut-on inculquer une morale de la responsabilité ?

L’éducation à la citoyenneté est un travail sur la constitution (au sens juridique du terme) de l’identité de l’élève (sociale, juridique, politique) ; elle est appropriation des modes d’analyse et de parole. Elle est une réflexion sur la relation aux institutions (re-présentation), sur l’appartenance à des communautés et à une histoire nationale, sur les biens multiples et hiérarchiques qui relient l’individu aux autres. Les discussions sur le droit sont riches quand elle sont pratiques ; on y questionne l’autorité, les règles, les va-leurs, la différence entre discriminant et discrimination, l’illégitimité de certaines discriminations.

C’est aussi l’apprentissage des conflits, de la qualification des différences, des négociations. Elle donne aussi une lecture historique des faits qui les relativisent ; on apprend que les lois changent, peuvent être changées, que les exclusions ne sont pas toujours du même côté. On peut la qualifier de démarche subversive, car elle inverse les logiques, mais ne ressemble-t-elle pas à s’y méprendre à une relation pédagogique réussie ?

La notion de personne est au centre de celle-ci. La réflexion philosophique sur cette notion doit être articulée avec une réflexion sur les droits de l’homme dont elle est le pilier. Dans la problématique du multi culturel, c’est bien à la personne que l’on doit se référer.

Hélène Salmona

N. B. Le compte rendu est bien sûr non exhaustif. Il faudrait avoir un don d’ubiquité et un esprit de synthèse pour rassembler des positons parallèles et éclatées.

Aperçu des communications dans l’atelier.
« École et exclusion » et « Exclusion Insertion 

· Almudever B., Baubion-Broye A., Hajvar V., Privation d’emploi et soutien social, université Toulouse le Mirail.
· Belanger N., La psychologie scolaire : forme d’exclusion ou tentative d’exclusion.
· Careil Y., Instituteurs des cités HLM, réflexion sur la mise en place d’une école à deux vitesses, à paraître PUF.
· Cohen R., La communication télématique, stratégie d’intégration en collèges défavorisés, Clichy-sous-Bois.
· Coudray L., Enquête auprès de lycéens : sentiment d’exclusion produit par l’enseignant, ENESAD Dijon.
· Cros F., Salmona H., Des jeunes qui veulent le bac ? Situation paradoxale de redoublants du bac, université Paris X.
· Debarbieux E., Exclusion et violence, université Bordeaux III, recherche sur 80 établissements.
· Elkert H., Le devenir des bacheliers professionnels, CEREQ.
· Fath G., École laïque et exclusion.
· Gomez F., Le repas scolaire, violence et exclusion, IUFM d’Aquitaine.
· Jardel B., Thèse sur le collège : modes organisationnels susceptibles de favoriser l’apprentissage de la responsabilité, université de Grenoble.
· Liva C.-J., Recherche Action : l’entrée de l’écrit dans les Zep, choix didactiques et exclusion, EURED, IUFM Toulouse, université de Toulouse le Mirail.
· Martinet M.-L., Pour une anthropologie relationnelle : une demande communicationnelle dans l’enseignement du français, CIEP Sèvres.
· Maubant P., Analyse d’un dispositif d’entraide scolaire, (Blois).
· Meirinhos, La pédagogie au service des jeunes en situation d’insertion.
· Memery L., Les stages d’insertion : nouveaux rituels d’acculturation, université Lyon II.
· Meyer J.-L., Les activités d’utilité publique et lutte contre l’exclusion, CNRS-GREE.
· Monchoux M.-F., Une entreprise d’insertion. Quelques résultats, université de Dijon.
· Mosconi N., Femmes et scolarisation : de l’exclusion ouverte aux discriminations sournoises, université Paris X.
· Payet J.-P., Recherche action sur un dispositif périscolaire pour collégiens en rup-ture, IUMF Lyon.
· Peyronnie H., Stratégies d’évitement d’écoles ou stabilité des instituteurs. La mise en Zep ne semble pas éviter le premier phénomène, université de Caen, (enquête dans le Calvados). Cas d’Hérouville Saint-Clair.
· Rayou P., Lycéens es-tu là ? Lycéen client captif, INRP.
· Tessier G., Classe parking ou tapis roulant vers l’emploi ?, université de Rennes LECIPPA.

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