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"Faut-il élaborer des statistiques ethniques ?" (site Vie publique)

29 janvier

Faut-il élaborer des statistiques ethniques ?

Quel est le lieu de naissance de vos parents ? L’ajout de cette question facultative pour le recensement 2025 de la population a relancé le débat sur les statistiques ethniques en France. De telles statistiques sont-elles susceptibles de renforcer le communautarisme ou bien de mesurer les discriminations à l’égard des populations immigrées ?

Sommaire
Que permet le cadre juridique ?
Pourquoi y a-t-il débat en France ?
Statistiques ethniques : de quoi s’agit-il ?

Le terme "ethnique" à lui seul peut déjà faire débat. Que désigne-t-il ? Comme le souligne François Héran dans le rapport du comité pour la mesure de la diversité et l’évaluation des discriminations (COMEDD) du 5 février 2010 : "Ethnique : peu de mots sont aussi piégés. La loi condamne les discriminations opérées sur le critère de l’appartenance ethnique réelle ou supposée. Mais qu’entendre par là ? Tout serait simple si le terme avait un sens univoque. Il n’en est rien : son spectre est très large et contribue à embrouiller le débat."

L’adjectif ethnique peut aussi bien être employé :

pour désigner l’origine ethnique (l’ethnicité) c’est-à-dire la nationalité ou le pays d’origine des descendants d’immigrés ;
comme un synonyme de racial, se référant à l’apparence physique (principalement la couleur de peau).
Les statistiques dites ethniques peuvent donc recouvrir des données relatives aux origines tout comme des données qualifiées d’"ethno-raciales".

Que permet le cadre juridique ?
Les statistiques résultent d’opérations de collecte et d’exploitation de données personnelles. De ce fait, leur production est encadrée par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et par le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Selon les termes de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : "Il est interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique."

Toutefois, de nombreuses exceptions existent, elles sont énumérées à l’article 9 du RGPD. Le traitement de ces données dites sensibles est autorisé, notamment lorsqu’il :

est effectué par une fondation, une association ou tout autre organisme à but non lucratif poursuivant un objectif politique, philosophique, religieux ou syndical (à condition que le traitement concerne exclusivement les membres, les anciens membres de cet organisme ou les personnes entretenant des contacts réguliers avec celui-ci et que les données ne soient pas communiquées en dehors de cet organisme sans l’accord des personnes concernées) ;
"est nécessaire à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques".
Le service public statistique, qui regroupe l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et les services statistiques ministériels (SSM), est de plus encadré par la loi du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques.

Cette loi définit notamment les missions du Conseil national de l’information statistique (CNIS), "chargé, auprès de l’Institut national de la statistique et des études économiques, d’organiser la concertation entre les producteurs et les utilisateurs de la statistique publique. Il fait des propositions pour l’élaboration du programme de travaux statistiques et la coordination des enquêtes statistiques menées par les personnes chargées d’une mission de service public."

Pour obtenir l’inscription au programme d’enquête officiel de la statistique publique, l’Insee, les SSM - ainsi que d’autres institutions contribuant à la construction de la statistique publique, comme l’Institut national d’études démographiques (INED), par exemple - doivent recueillir un avis du CNIS, dit "avis d’opportunité". Si l’avis d’opportunité est favorable, le projet d’enquête fait l’objet lors d’une seconde étape d’un examen en conformité par le comité du label de la statistique publique.

Ce cadre juridique a été, en outre, précisé :

dans un rapport sur la mesure de la diversité et la protection des données personnelles daté de mai 2007, la CNIL se prononce contre la production de statistiques construites à partir d’une nomenclature de catégories "ethno-raciales" tout en présentant 10 recommandations visant à améliorer la mesure de la diversité. Elle reconnaît par exemple la possibilité, dans le cadre de la statistique publique, d’études sur le ressenti des discriminations pouvant inclure des données sur l’apparence physique. De même, elle considère que, sous certaines conditions, l’analyse des prénoms, patronymes, nationalités et lieux de naissance des ascendants peut permettre de révéler des pratiques discriminatoires ;
l’article 63 du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et au droit d’asile voté en novembre 2007 prévoyait des études faisant apparaître, directement ou indirectement, les origines ethniques des personnes. Le Conseil constitutionnel a estimé dans sa décision du 15 novembre 2007 que : "si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race" (pour rappel, l’article 1er de la Constitution dispose que : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion").
Le Conseil a par la suite publié un commentaire de sa décision, apportant d’importantes précisions : "Ces données objectives pourront, par exemple, se fonder sur le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française. Le Conseil n’a pas jugé pour autant que seules les données objectives pouvaient faire l’objet de traitements : il en va de même pour des données subjectives, par exemple celles fondées sur le ressenti d’appartenance. En revanche, serait contraire à la Constitution la définition, a priori, d’un référentiel ethno-racial."
Que produit la statistique publique ?

Les enquêtes annuelles de recensement de la population menées par l’Insee produisent des statistiques ethniques portant sur la nationalité et l’origine géographique. Elles comportent des questions portant sur :

le pays de naissance ;
le pays de naissance des parents (question introduite en 2025, la réponse est facultative) ;
la nationalité de naissance ;
la nationalité actuelle ;
le lieu de résidence pour l’année précédent l’enquête.
L’"enquête emploi" également conduite par l’Insee contient des questions relatives au pays de naissance et la nationalité à la naissance des parents de la personne interrogée.

Dans le questionnaire de la deuxième enquête "trajectoires et origines" (TeO2) réalisée conjointement par l’Insee et l’INED entre juillet 2019 et novembre 2020, figurent des questions sur :

le ressenti de la discrimination ;
le ressenti d’appartenance ;
la religion.
Pourquoi y a-t-il débat en France ?
En France, la production de statistiques ethniques se heurte au principe d’égalité des citoyens tel qu’il est énoncé par l’article 1er de la Constitution. Elle ne paraît pas compatible avec le modèle républicain visant à intégrer tous les citoyens dans une même nation, quelles que soient leurs caractéristiques et leurs origines.

Pourtant les statistiques ethniques pourraient servir les politiques d’intégration et de lutte contre les discriminations.

Ainsi, dans son rapport sur l’intégration des étrangers en France publié le 19 février 2018, le député Aurélien Taché déplore le manque de statistiques sur les étrangers : "Pendant toute la durée de ma mission, je me suis heurté à la difficulté d’objectiver nombre de constats sur la situation des personnes étrangères en France : situation économique, emploi, accès aux différents services publics, etc. [...] peu de données sont collectées par les administrations pour étudier l’impact des différentes politiques publiques sur les divers volets de l’intégration des publics étrangers (insertion professionnelle, accès aux droits…)." Il propose que les grands services publics (caisses d’assurance maladie, caisses d’allocations familiales, Pôle emploi...) enrichissent leurs données de gestion par des données objectives sur la nationalité permettant de mesurer l’accès effectif des étrangers à leurs dispositifs.

Le rapport du Sénat relatif à la lutte contre les discriminations de novembre 2014, revient sur les raisons de la réticence française traditionnelle à l’égard des statistiques ethniques.

Le débat autour du recensement 2025

L’Insee a expliqué avoir introduit la question sur le lieu de naissance des parents pour :

rendre compte de la diversité de la population et documenter les questions de mobilités résidentielles entre générations et de ségrégation spatiale (la question est posée à tous, au niveau du département en cas de naissance en France, ou au niveau du pays pour les naissances à l’étranger) ;
mieux connaître la situation des descendants d’immigrés et mieux analyser les inégalités de situation et les discriminations qui se prolongent au-delà de la première génération.
En réaction, un collectif d’organisations a appelé à ne pas répondre à cette question car il considère que l’enregistrement du lieu de naissance des parents est "un pas vers une possible inégalité de traitement par l’État sur cette base".

Premièrement, certains opposants pensent que les motifs de discrimination sont suffisamment connus et que les statistiques ethniques sont donc inutiles. Pour leurs défenseurs, elle favoriseraient au contraire une prise de conscience sur l’état des discriminations en France.

Deuxièmement, ces statistiques sont critiquées parce qu’elles pourraient enfermer les individus dans une identité définitive, les classer dans un groupe auquel ils ne se sentent pas forcément appartenir. Catégoriser les citoyens selon leur appartenance raciale ou ethnique conduirait à une institutionnalisation des "races" et des ethnies pouvant mener à un communautarisation de la société française.

Troisièmement, les statistiques ethniques ravivent les craintes d’un "fichage ethnique" comme celui qui a existé à la suite des lois raciales de Vichy à l’égard des juifs de France.

Aujourd’hui, les grandes enquêtes de la statistique publique qui comportent des questions sur le lieu de naissance et la nationalité de naissance des personnes interrogées ne sont plus problématiques. Ce sont désormais les questions sur la couleur de la peau ou la religion qui focalisent les débats.

Et à l’étranger ?

Selon le rapport du Sénat sur la lutte contre les discriminations : "en 2008, 22 pays sur les 42 États membres du Conseil de l’Europe utilisent lors du recueil de données statistiques publiques des questions portant explicitement sur l’ethnicité."

En Europe, le Royaume-Uni procède à une catégorisation ethnique de la population, notamment par une auto-identification de l’appartenance ethno-raciale lors du recensement. Les individus doivent répondre à la question "Quel est votre groupe ethnique ?" en se déclarant "Blanc, métis ou noir" et en précisant par exemple "caribéen, africain ou pakistanais" (Statistiques ethniques : éléments de cadrage et rapport du COMEDD).

Les États-Unis et le Canada ont également recours à un référentiel ethno-racial lors du recensement de la population.

Extrait de vie-publique.fr du 24.01.25

 

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