Mixité sociale : un rapport de la Cour des comptes

2 juin 2023

Enseignement privé : 8 milliards de fonds publics et pas de contrôles

L’enseignement privé sous contrat est financé pour 73% par des fonds publics. Pourtant, les contrôles financiers, pédagogiques et administratifs sont quasi inexistants déplore la cour des comptes dans un rapport publié jeudi 2 juin. Tout aussi grave, en concentrant un nombre élevé d’élèves de milieux favorisés, l’enseignement privé risque d’aggraver « certaines faiblesses du système éducatif » pointent les sages de la rue de Cambon qui appellent à moduler les moyens en fonction du profil social des élèves. Pierre Moscovici assure que ce rapport est « intemporel » et qu’il n’a pas de lien avec la signature récente du protocole mixité entre Pap Ndiaye et le secrétaire général de l’enseignement privé ». Le président de la cour des comptes se défend de vouloir porter une parole politique, pour autant, il enjoint les collectivités à prendre en charge les frais de restauration et de transport scolaire pour permettre le « libre choix » des familles les moins favorisées.

Lors de la présentation du rapport de la cour des comptes sur l’enseignement privé sous contrat, Pierre Moscovici s’est dit ravi de cet « état des lieux complètement inédit ». Et en effet, c’est la première fois que les sages de la rue Cambon se penchent sur la situation de l’enseignement privé sous contrat. L’ancien ministre de l’Économie et président de la cour précise que ce rapport est « une enquête objective et n’a pas pour but de nourrir la polémique ou de s’inscrire dans le débat actuel ». Il prend aussi la précaution d’indiquer que ce « rapport n’est pas une comparaison entre le privé et le public ». « Il ne s’agit pas non plus d’une remise en cause loi Debré » ajoute-t-il. « Cette enquête vise la bonne information du citoyen. C’est un tableau général pour nourrir le débat public en l’objectivant ».

Un élève sur 6 scolarisé dans le privé pour un coût de 8 milliards d’euros

À la rentrée 2022, l’enseignement privé sous contrat regroupait plus de 2 millions d’élèves, soit 17,6 % des effectifs scolarisés dans un peu plus de 7 500 établissements. « Créé par la loi du 31 décembre 1959 dite loi Debré, le régime de l’enseignement privé sous contrat associe au service public de l’éducation des classes au sein d’écoles et d’établissements privés passant avec l’État un contrat aux termes duquel ils prennent certains engagements, comme la conformité aux programmes définis par le ministère de l’éducation nationale et l’absence de discrimination dans l’accueil des élèves » introduit le rapport. Pierre Moscovici rappelle qu’à « la différence écoles et établissements publics, qui ont l’obligation d’accueillir tous les élèves de leur secteur géographique, les établissements privés sélectionnent leurs élèves » du fait de leur « caractère propre ». Le caractère propre – qui « n’est pas défini par les textes en vigueur » de l’aveu du président de la cour des comptes – s’exprime par son caractère confessionnel ou encore par des orientations pédagogiques spécifiques. 96% des établissements de l’enseignement privé sous contrat sont sous l’égide de l’enseignement catholique, les 4% restant sont répartis entre les autres réseaux confessionnels, notamment juifs et musulmans qui connaissent une augmentation de leur effectif depuis une dizaine d’années.

Le budget de l’enseignement privé sous contrat s’élève à 8 milliards en 2022, « ces crédits financent à la fois la rémunération des enseignants et le forfait d’externat versé aux établissements du second degré, destiné à couvrir leurs charges de personnels de vie scolaire ». Les écoles sont ainsi financées pour 55% par l’État contre 74,3% pour le public. Les collèges et lycées sont quant à eux financés pour 55,2% par l’État dans le privé et 58,6% dans le public. La part restante est en majorité financée par les familles dans le privé et par les collectivités locales dans le public. Selon une règle non écrite, un ratio de 20% est appliqué pour déterminer la part des effectifs dans le privé (80% d’élèves dans le public, 20% dans le privé).

Une concentration de plus en plus importante des élèves de milieux favorisés et très favorisés

Alors que la France et les écoles françaises connaissent une baisse démographique, l’enseignement privé y résiste mieux. « L’enseignement privé sous contrat perd moins d’élèves que le public » explique Pierre Moscovici. « Deux fois moins. Dans le second degré, la croissance est plus soutenue que dans le public. L’enseignement privé cous contrat refuse entre 30 000 et 40 000 élèves chaque année. S’il n’y avait pas la règle des 20%, leur croissance serait plus importante ».

Plus d’élèves dans le privé, oui, mais pas n’importe lesquels. « Depuis 20 ans la mixité recule dans ces établissements. Les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021 et les élèves de milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur – 55,4 % en 2021 – alors qu’ils représentent 32,3 % des élèves dans le public ». Et quant aux élèves boursiers, ils sont près de trois fois plus nombreux dans le public que dans le privé (11,8% dans le privé contre 29,1% dans le public en 2021). La révélation des IPS en novembre dernier avait aussi montré la forte ségrégation à l’œuvre. « L’enseignement privé est soucieux de l’objectif de mixite sociale, mais les mesures mises en œuvre ne semblent pas suffire » a déclaré le président de la rue de Cambon. « Mettre en place des quotas (faisant référence aux débats autour du protocole signé le mois dernier) n’est pas la solution. L’enseignement privé, qui a comme prérogative de pouvoir recruter ses élèves, scolariseraient les meilleurs élèves boursiers ». À l’image du protocole, la cour des comptes préconise la création de plus dispositifs Segpa et Ulis dans ces établissements. « Il importe que la mixité sociale s’accompagne d’une mixité scolaire, démontrant la capacité des établissements à accompagner des élèves aux profils variés, sans cantonner l’ouverture à l’accueil des bons élèves issus de milieux défavorises, ce qui ne ferait qu’aggraver les difficultés de l’enseignement public, sans démontrer une véritable performance éducative et pédagogique de l’enseignement privé ».

Prise en charge des cantines et transports scolaires

Pierre Moscovici, qui avait pourtant prévenu ne pas vouloir s’impliquer dans le débat en préambule de sa présentation, constate que « la non prise en charge du coût de la cantine par les collectivités – surtout en période d’inflation – et du transport scolaire aggrave les inégalités. Ces coûts sont une barrière infranchissable pour les familles les moins favorisés ». Ainsi, selon lui, si l’enseignement privé scolarise plus d’enfants de milieux favorisés et très favorisés, c’est la faute des collectivités qui ne prennent pas en charge ces coûts. Les collectivité seraient donc en partie responsables de la ségrégation scolaire. Elles apprécieront.

Sur l’implantation des établissements privés dans les quartiers difficiles, la cour des compte là aussi se positionne. « Cela risque d’y attirer les élèves les plus susceptibles de réussir leur scolarité en raison de leur milieu social ou de l’investissement de leurs parents, et qui finiraient par quitter leur établissement public d’origine au profit de cet établissement privé nouvellement implanté ».

Des résultats aux examens qui ne disent pas grand-chose de la performance des établissements

Globalement, les résultats des établissements privés sont meilleurs que ceux du public. Pour autant, les sages de la rue de Cambon soulignent l’incapacité d’en déduire une performance globale. « La question de la performance de ces établissements est en effet posée : ils peuvent dans l’ensemble se prévaloir de meilleurs résultats de leurs élèves que l’enseignement public, sans que l’on sache si ces résultats tiennent à l’efficacité de leur organisation et de leur pédagogie ou s’expliquent par la sélection des meilleurs élèves, qu’il est plus facile d’accompagner vers le succès aux examens que des élèves en difficulté ». « La performance des établissements sous contrat ne sera démontrée que s’ils assument une part de la difficulté scolaire autant que de la difficulté sociale. Attachés à la liberté d’inscription des élèves… les établissements privés… pourraient intégrer une plus grande diversité d’élèves, dans le cadre d’une politique, pour certains établissements, moins élitiste » ajoutent-ils.

Des fonds publics mais pas de contrôles de l’État

En contrepartie du contrat passé avec l’État, un contrôle financier doit être exercé sur les établissements d’enseignement privé puisqu’ils bénéficient de fonds publics rappelle Pierre Moscovici. Plusieurs textes réglementaires encadrent ces contrôles. Pourtant, « ces règles ne sont ni connues, ni a fortiori appliquées par les différentes parties prenantes » déplore la cour des comptes. « Ainsi, rares sont les établissements ayant indiqué qu’ils adressaient leurs comptes au directeur départemental ou régional des finances publiques dans les trois mois suivant la clôture de l’exercice. Par ailleurs, les directeurs régionaux des finances publiques sollicités dans le cadre de l’enquête (Hauts de France, Pays de Loire et Bretagne) ont indiqué que leurs services n’effectuaient pas ces contrôles ». Lors des contrôles effectués dans les six académies concernées, les rapporteurs ont même constaté que dans certains cas « les services académiques correspondants ne sont eux-mêmes pas toujours en possession des contrats initiaux et de leurs avenants et ne disposent au mieux que d’une copie ». « Cette absence de base réglementaire pourtant nécessaire au paiement du forfait d’externat est problématique et doit être corrigée sans délai. L’inapplication des textes n’est pas admissible et doit être corrigée dans les plus brefs délais » admonestent les sages.

Sur le contrôle pédagogique, lui aussi prévu par les textes, la cour le juge « minimaliste ». Dans toutes les académies visitées, ce « contrôle des enseignements » se limite aux inspections réalisées, comme dans le secteur public, dans le cadre des trois « rendez-vous de carrière » des maîtres contractuels. « Ces inspections doivent permettre aux inspecteurs de visiter les établissements, de vérifier les horaires disciplinaires ainsi que la mise en œuvre des programmes d’enseignement » déclarent les rapporteurs. « Les inspections individuelles permettent dans le premier degré de vérifier la situation scolaire des enfants dans sa globalité, en particulier lors de l’évaluation d’un directeur d’école. Dans le second degré, personne n’est chargé de vérifier globalement le projet éducatif de l’établissement en lien avec les priorités éducatives nationales, comme la mise en œuvre des parcours santé, avenir, citoyen et d’éducation artistique et culturelle ».

Et pour le contrôle administratif, lui aussi régit par des textes, ce n’est guère mieux. « Il n’existe, tant au sein de l’IGÉSR que des rectorats, aucune programmation systématique du contrôle administratif des établissements de l’enseignement privé sous contrat. Lorsqu’il est mis en œuvre, ce contrôle n’est exercé que de manière ponctuelle, en cas de problème signalé au sein d’un établissement. En l’absence de contrôle administratif et financier, rien ne permet de conclure que les fonds publics sont correctement dépensés dans les établissements ».

« Le financement de l’État implique d’importantes prérogatives de contrôle administratif et financier, mais le manque de moyens les empêche » résume Pierre Moscovici.

Des décisions centralisées qui mettent à mal les rectorats

Sur le dialogue entre l’État et les établissements sous contrat, les sages regrettent que le dialogue ait « lieu au niveau central entre le ministère et le secrétariat général de l’enseignement catholique ». « La discussion de l’évolution des moyens d’enseignement de chaque académie se fait essentiellement au niveau national, au terme d’un dialogue entre la DAF, les rectorats qui transmettent leurs prévisions d’effectifs, et les représentants des réseaux. Pour l’enseignement catholique, en fin de processus, c’est avec le secrétariat général de l’enseignement catholique, qui propose aussi une répartition des moyens sur le territoire, que la DAF décide de l’allocation des moyens aux académies. Cette discussion, qui se conclut sans les représentants des recteurs, a pour conséquence d’affaiblir le poids des rectorats dans la gestion des moyens, en particulier lorsque leurs propositions ne sont pas validées, et donne lieu à des incompréhensions ». « Ainsi, bien que théoriquement responsables de la répartition des moyens dans leur académie, certains rectorats sont contraints d’accepter des ouvertures de classes proposées par le réseau catholique ou d’autres réseaux, qui leur paraissaient parfois difficilement compréhensibles au regard de l’évolution des effectifs globaux d’élèves » assure la cour des comptes.

Pour plus de mixité, les juges de la rue Cambon recommandent « d’intégrer dans les modèles d’allocation des moyens aux établissements privés sous contrat, des critères tenant compte du profil des élèves scolarisés, des caractéristiques spécifiques de l’établissement, notamment géographiques, en s’appuyant sur un contrat d’objectifs et de moyens signé par chaque établissement privé sous contrat, le rectorat et éventuellement la collectivité territoriale de rattachement ». La cour recommande, par ailleurs, la mise en place d’indicateurs pour « pour mieux apprécier la répartition scolaire et sociale des élèves » explique son président. « Ces indicateurs pourront permettre une allocation territoriale pour une meilleure mixité sociale ».

Lilia Ben Hamouda

[Rapport de la cour des comptes – voir le pdf en bas de cette page

Extrait de café pédagogique.net du 02.06.23

 

Enseignement privé sous contrat : peu de mixité sociale, peu de contrôles (Cour des comptes)

En tant que composante du service public de l’éducation, l’enseignement privé sous contrat, bien qu’il apporte une “contribution indiscutable“ à l’offre de formation, “doit être davantage mobilisé au service de la performance éducative et de la mixité sociale“ estime la Cour des comptes dans un rapport publié jeudi 1er juin.

Dans la synthèse du document, les sages de la rue Cambon indiquent en effet que la proportion des élèves de l’enseignement privé sous contrat est stable depuis 10 ans, atteignant 17 % en 2021, avec davantage d’élèves dans le second degré (21,3 % pour le collège, 21,2 % pour les lycées d’enseignement général et technologique et 19,3 % pour les lycées professionnels) que dans le 1er degré (13,4 %).

Manque de mixité

Malgré cela, ils constatent que “la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années“. Pour preuve, les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021. Désormais, ajoutent-ils, les élèves de milieux favorisés ou très favorisés sont majoritaires dans ce secteur (55,4 % en 2021) alors qu’ils représentent 32,3 % des élèves dans le public. Quant à la part des élèves boursiers, elle équivaut à 11,8 % des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat, contre 29,1 % dans le public.

La Cour des comptes répertorie, parmi les “nombreuses“ explications à ce phénomène, la baisse des effectifs dans les établissements où la mixité sociale est traditionnellement la plus forte (écoles rurales et lycées professionnels), une politique de sélection des élèves qui ne prend qu’insuffisamment en compte des objectifs d’ouverture sociale, les frais de scolarité ou encore des stratégies croissantes des familles visant à éviter les établissements publics de secteur. C’est ainsi que l’enseignement privé sous contrat “apparaît majoritairement comme un enseignement ‘de recours‘ face à un enseignement public perçu par une partie des familles comme moins performant et moins sécurisant.“

Pour les sages de la rue Cambon, cet enseignement "se montre soucieux des objectifs de mixité sociale, mais force est de constater qu’aucune mesure dans ce sens n’est aujourd’hui véritablement suffisante.“ c’est pourquoi ils estiment que “les relations entre l’État et les établissements privés sous contrat doivent être rénovées en profondeur“.

Contrôles

Ils considèrent en effet que le contrat d’association (issu de la loi Debré) prévoit des engagements de la part des établissements en contrepartie d’un financement de la part de l’État, à qui est attribué d’importantes prérogatives en matière de contrôle. Or ceux-ci “ne sont pas ou peu exercés“. Ainsi le contrôle financier des établissements privés sous contrat, qui incombe aux directions départementales et régionales des finances publiques (DDFiP et DRFiP), “n’est pas mis en œuvre“, le contrôle pédagogique, réalisé par les inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR), “est exercé de manière minimaliste“ tandis que le contrôle administratif, qui relève de l’inspection générale de l’enseignement, du sport et de la recherche (IGÉSR) et des recteurs, “n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé“.

Ce manque de lien fait ainsi dire à la Cour des comptes que “le dialogue de gestion entre l’État et l’enseignement privé sur les problèmes de fond (mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative) est presque inexistant“. Elle considère ainsi que le poids des rectorats, qui pourraient mieux apprécier localement les besoins scolaires reconnus, “est insuffisant“ là où la gestion des moyens, des ouvertures et des fermetures de classes “est principalement déléguée aux réseaux d’enseignement privés en lien avec la direction des affaires financières (DAF) du ministère de l’éducation nationale“.

A titre d’exemple, sont cités les effectifs des classes du secteur public et ceux du secteur privé sous contrat, dont la comparaison en 2021 “montre que la distribution des moyens d’enseignement ne tient pas suffisamment compte des difficultés des élèves accueillis : les classes du privé sous contrat sont moins chargées en lycée, ainsi qu’en SEGPA, alors qu’elles accueillent des élèves moins défavorisés.“

Echelon local

En définitive, pour renouveler ce dialogue, et plutôt que de “fixer au niveau national des quotas d’élèves de milieux défavorisés ou boursiers, qui ne sont pas appliqués au secteur public lui-même“, la Cour propose notamment “d’engager chaque établissement privé sous contrat dans une nouvelle démarche contractuelle et de lui fixer des objectifs en termes de composition sociale définis localement“, autour de deux idées.

Premièrement, cela consiste à réserver au niveau national la discussion de l’équilibre des moyens entre les réseaux, en s’assurant que les rectorats, en lien avec les directeurs académique des services de l’éducation nationale (DASEN) et les représentants des réseaux, décident des ouvertures de classes au plan local.

Ensuite, il s’agirait de moduler les moyens attribués aux établissements privés sous contrat en fonction des caractéristiques sociales des populations accueillies (également recommandé pour le secteur public) en s’appuyant sur un contrat d’objectifs et de moyens signé par chaque établissement privé sous contrat, par le rectorat et éventuellement par la collectivité territoriale de rattachement.

Extrait de touteduc.fr du 01.06.23

 

Dans la presse :

Le Monde

Le Figaro

Le Parisien

La Croix

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