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Rencontre Ozp sur la carte de l’éducation prioritaire : le texte de l’intervention de Marc Bablet

4 octobre 2022

Carte de l’éducation prioritaire : bilan et perspectives
Rencontre OZP du mercredi 28 septembre 2022

Note du Quotidien des ZEP (QZ)
Avant l’intervention de Marc Bablet (à droite), Pierre Courtioux a présenté l’essentiel des conclusions de l’étude publiée en juillet 2021 dans la revue "Economie et Statistiques". On retrouve dans cet article les tableaux projetés sur écran par P. Courtiaux pendant la Rencontre.
L’article d’Economie et Statistiques (pour obtenir l’article intégral, cliquer sur le lien "Article")

 

Le texte de l’intervention de Marc Bablet

Je tiens tout d’abord à remercier messieurs Courtioux et Maury d’avoir établi dans deux articles de 2018 et de 2021 des éléments solides qui permettent d’apprécier la situation de l’éducation prioritaire. Les chercheurs qui s’intéressent à l’éducation prioritaire nous sont toujours précieux. Ils nous aident à mieux lutter contre les inégalités scolaires, à mieux porter la démocratisation de l’école.
Je voudrais aussi rappeler que même si aujourd’hui nous parlons de choix des territoires où doit s’appliquer la politique de l’éducation prioritaire, L’OZP défend la politique de mixité sociale. Du jour où la société sera organisée de manière à ce que tous les quartiers soient mixtes socialement et dès lors que les sectorisations seraient alors respectées pour que les écoles et établissements soient mixtes, l’éducation prioritaire perdrait sa raison d’être.
Déjà en 2018, messieurs Courtioux et Maury avaient établi un constat sur la mixité sociale qui montrait qu’il existait une tendance à l’entre soi des élèves très favorisés et d’un autre côté des concentrations très fortes de défavorisés en éducation prioritaire. Dans une note d’information récente la DEPP revient sur la question de la mixité dans les collèges et montre que le privé concentre encore davantage aujourd’hui les très favorisés (40%) quand il n’y en a que 20% dans le public.
En attendant que la mixité sociale soit un objectif véritablement réaliste dont les effets soient mesurables, la politique d’éducation prioritaire avec ses réseaux dans des écoles et établissements particulièrement défavorisés reste indispensable.
Dans ce que monsieur Courtioux nous a présenté, il nous explique que depuis 2004, la révision de la politique de l’éducation prioritaire n’a pas toujours eu les mêmes effets. Si les changements intervenus entre 2004 et 2014 ont eu pour effet une certaine régression des différences entre l’éducation prioritaire et le reste du système, il faut attendre 2014 pour que le « ciblage » de l’éducation prioritaire soit réalisé sur les collèges qui en avaient le plus besoin compte tenu de leur situation sociale. Ce disant pour nous on peut dire qu’il conforte le travail de révision de la carte réalisé par le ministère à cette période.
Comme je travaillais au ministère pendant cette période, je voudrais dire ce que j’ai pu percevoir et tenter d’expliciter comment un tel travail a été possible. En essayant d’expliciter les conditions de la réussite de ces changements on peut ainsi servir aux prochaines évolutions envisagées de la carte. Disons le clairement il y a des risques à une intervention sans précautions sur ce sujet, et le souvenir que l’on peut avoir de ce qui s’est passé en 1997 où le ministère, sous la responsabilité de Ségolène Royal, a conduit à une révision qui a eu pour seul effet d’élargir la carte sans que celle-ci soit améliorée quant à son « ciblage » doit amener les décideurs à être très prudents à l’avenir.

La première condition de l’évolution obtenue c’est la condition politique.

Il faut un gouvernement décidé à aller dans le sens de cette révision pour un meilleur ajustement de la carte. Cela suppose qu’il fasse de la question de la démocratisation de l’école pour tous son orientation forte. Cela a été le cas avec Vincent Peillon, Georges Pau Langevin et avec leur DGESCO Jean-Paul Delahaye. Il y avait bien là une unité de visée et les décisions prises entre 2012 et 2014 dans le sens de la loi de refondation de 2013 et pour la refondation de l’éducation prioritaire ont bien été dans ce sens.
Ce choix d’une orientation politique forte a des conséquences concrètes que le gouvernement doit assumer pour parvenir à ses fins : le cabinet a du être très engagé dans le processus et surtout prêt à jouer son rôle politique notamment pour convaincre des élus réticents à des sorties d’éducation prioritaire. Précisons que de nos jours il n’y a plus guère d’élus défavorables à cette politique comme à ses débuts en 1981. Sans cet appui sans faille du cabinet rien n’aurait été possible car il y eut évidemment beaucoup de pressions notamment d’élus socialistes qui étaient alors nombreux dans les territoires concernés. Et on sait bien que c’est parfois bien complexe pour un gouvernement de résister à ses amis politiques dès lors qu’ils sont en désaccord avec ses orientations. On se souvient que les rythmes scolaires qui étaient une pièce importante de l’ensemble des mesures de démocratisation ont été remis en question par Gérard Collomb, à l’époque maire de Lyon et supposé du même bord politique que le gouvernement (on sait aussi la suite des événements…). Avec quelques maires ruraux, il a contribué à tuer la réforme. Cela a hélas amené Vincent Peillon et Jean-Paul Delahaye à quitter les affaires.
Un autre aspect non négligeable de cette condition politique, c’est la question des décisions économiques, budgétaires : quand on conduit une politique prioritaire, il faut y mettre des moyens (pas que des moyens mais ceux-ci sont importants). Le gouvernement a eu un gros effort budgétaire à faire pour les indemnités aux personnels et surtout pour créer des postes. Il faut se souvenir qu’il a eu à créer 60000 emplois pour rétablir une formation initiale et pour faire face à une démographie en hausse (précisons que le gouvernement Blanquer et le gouvernement actuel bénéficient d’une baisse démographique importante qui donne des marges de manœuvre assez considérables). Ces postes ont aussi permis de maintenir des moyens aux sortants d’éducation prioritaire et de créer des emplois de formateurs pour l’éducation prioritaire. S’agissant de l’étendue de la carte, la tentation était grande de la réduire pour pouvoir concentrer davantage de moyens pour les écoles et collèges qui connaissaient les situations de ségrégation les plus fortes. Le gouvernement a fait le choix – qui après coup apparaît prudent, réaliste, pragmatique – de maintenir la même quantité de réseaux. Le jusqu’au boutisme aurait été une cause d’échec de l’ensemble de l’opération. Et en ce qui a concerné l’étendue des sorties, si l’on avait suivi les indicateurs les nombres auraient été plus importants. Mais il fut choisi de ne pas tout faire tout de suite laissant ouverte la perspective d’une autre révision en 2019 (révision que le ministre Blanquer n’a pas voulu faire. Il a préféré développer des CLA ouverts au privé en prétendant ainsi mieux répondre aux besoins intermédiaires)

La deuxième condition c’est la condition sociale

C’est notamment la question de la place donnée à l’ensemble des personnels concernés et à leurs représentants. La refondation a fait plutôt consensus parmi les syndicats et sur le terrain. Dès le départ il y a eu une forte association des personnels qui avaient plus à y gagner qu’à y perdre tant en indemnités qu’en conditions de travail Aussi même si les syndicats soutenaient, comme il est normal, ceux qui devaient sortir de ZEP, ils l’on fait tout en sachant que d’autres rentraient et que tous ceux qui restaient dans la carte y gagneraient significativement.
Un élément significatif de cette condition sociale a été la mise en place d’une méthode adaptée pour les sorties d’éducation prioritaire. Il fallait prendre en compte la situation des personnes concernées et éviter la brutalité des sorties telles qu’elles avaient été réalisées antérieurement : c’est pourquoi il a été décidé le maintien transitoire des indemnités puis leur réduction progressive. Cela laissait aux personnels concernés la possibilité de participer à plusieurs mouvements s’ils voulaient bénéficier des indemnités dans d’autres établissements. La mesure de sortie était ainsi plus acceptable d’autant que les inspecteurs d’académie pouvaient aussi maintenir des moyens.

La troisième condition c’est la condition méthodologique

Elle devait jouer sur quatre plans du fait de l’expérience des précédentes révisions de cartes qui avaient toutes abouti à des augmentations de carte rarement justifiées :
  la large association des personnels et de leurs représentants à l’élaboration de la refondation. On ne pouvait agir de manière descendante sans entendre la diversité des points de vue et sans bénéficier de la connaissance des réalités de terrain par les intéressés eux-mêmes.
  La clarté sur les indicateurs retenus qui furent bien explicités mais qui ne furent pas publiés pour éviter des logiques de classement et surtout de donner des images négatives publiques de telle ou telle école. En revanche chaque collège pouvait se comparer dans le cadre de ce qui était fait puisque les indicateurs de la DEPP sont disponibles à chaque collège dans le cadre des APAE.
  Le pilotage national des principales évolutions était indispensable pour éviter les pressions locales sur les responsables locaux de l’Education Nationale. Chaque projet académique a été en conséquence discuté avec le bureau de l’éducation prioritaire du ministère sur la base d’indicateurs partagés. Les arrêtés ont été nationaux pour les REP+ et pour les collèges en REP.
  La demande faite aux inspecteurs d’académie de désormais affecter les moyens selon les principes d’une allocation progressive en fonction de la situation sociale pour éviter des effets de seuil trop brutaux entre ce qui est en éducation prioritaire et ce qui n’y est pas.

Toutes ces conditions nous semblent nécessaires. Elles ne sont pas facilement rassemblées. On a vu que monsieur Blanquer a préféré éviter la révision de la carte prévue en 2019. Il a inventé à la place les CLA (contrats locaux d’accompagnement), ouverts au privé, dont on peut juste craindre que ce soit simplement un élément de confusion supplémentaire. En outre il a voulu noyer l’éducation prioritaire qui est un dispositif d’abord social de lutte contre les inégalités dans un discours sur les inégalités territoriales où toutes se vaudraient. Face à cela il y a matière à dire clairement ce que nous voulons pour les quartiers où sont concentrées des populations qui connaissent des difficultés économiques et sociales importantes.

 

Voir les autres comptes rendus :
L’Ozp (Rencontre du 28 septembre 2022) donne une leçon sur la fabrication de la carte de l’Education prioritaire (Le Café)
L’école est une affaire de classe. Un colloque "A gauche en Europe" où on parle des ZEP

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