Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Journée nationale OZP, 26 mai 2018
Quelles autonomies pour la réussite de tous les élèves ?
INTRODUCTION DE LA JOURNEE
par Marc Douaire, président de l’association
à gauche Catherine Moisan
en fond d’écran, une photo du lycée d’Alembert à Paris (18e)
Avant d’ouvrir cette journée, nous tenons à remercier Françoise Sturbaut proviseure du lycée d’Alembert qui a bien voulu accueillir à nouveau l’OZP pour nos travaux collectifs.
Cette 20ème journée nationale de l’OZP intervient dans un contexte général très différent de ceux de ces dernières années. Cela n’a échappé à personne : l’élection présidentielle de mai 2017 n’a pas seulement bouleversé les cadres traditionnels de la représentation politique, elle a fait apparaitre une pratique revendiquée du pouvoir - la verticalité - qui ne peut manquer d’interroger le sens et les conditions d’exercice de la citoyenneté au cœur de la tradition républicaine française. Si la démocratie politique fondée sur l’élection est légitime, la démocratie sociale ne l’est pas moins. Le creusement des inégalités au sein de la société, la montée des discours prônant la peur, la stigmatisation de l’étranger, le repli hexagonal, la tentation de définir l’identité par l »’appartenance aux intégrismes religieux…interrogent et fragilisent le projet même de « Faire société ». La démagogie populiste ne saurait constituer ce projet citoyen.
« Faire société » suppose et appelle à la fois le projet d’émancipation de chacune, chacun dans le mouvement collectif de toutes et tous. Si le projet émancipateur est dénaturé ou oublié, quel sens peut-on encore donner à la démocratie politique ? Si le projet émancipateur est dénaturé ou oublié quel sens peut-on donner à l’action de l’Ecole publique qui fut la matrice du modèle républicain français ?
Le thème de cette journée « Quelles autonomies pour faire réussir tous les élèves ? » s’inscrit dans cette perspective émancipatrice.
Faire réussir tous les élèves. Les unes après les autres, les enquêtes internationales et nombre de travaux de chercheurs le soulignent : les inégalités de résultats scolaires corrélées à l’origine sociale des élèves caractérisent fortement le système éducatif français. Cela ne peut être une fatalité. La loi de refondation de l’Ecole, adoptée en 2013, fixe des objectifs pertinents pour faire valoir l’égalité des droits mais le poids des pesanteurs administratives, des lobbies de toutes sortes et des conservatismes corporatistes nécessite une volonté politique très forte de transformation démocratique. En prenons- nous le chemin ? Il est permis d’en douter.
Face à ce constat d’une lutte toujours plus nécessaire pour l’égalité des droits des élèves, la politique d’Education prioritaire redéfinie en 2013 constitue un levier très important. Cette politique a une histoire et, si l’on s’attache plus particulièrement à celle des 10 dernières années, le constat peut être fait, à partir de l’observation des pratiques des équipes de terrain, d’une émergence de la question de l’autonomie ou plutôt des autonomies sous leurs différentes formes : professionnelles, pédagogiques, organisationnelles, institutionnelles… C’est certainement dans la dynamique des projets et des pratiques des réseaux d’éducation prioritaire qu’émergent ces formes ou ces revendications nouvelles d’autonomie. Non pas que l’éducation prioritaire soit constituée comme un continent à part de l’école ordinaire, et l’OZP n’a cessé depuis son origine de combattre cette représentation, mais que, par sa situation au cœur de la problématique des inégalités, elle représente la pointe de ce que devra nécessairement être demain, le plus tôt possible, le fonctionnement institutionnel de l’Ecole et l’exercice du métier enseignant.
Ce thème prolonge la réflexion engagée par notre association depuis plus de 10 ans. L’OZP veut se situer dans une double posture :
- Conserver, faire vivre la mémoire de l’histoire de l’éducation prioritaire ( les débats, les problématiques majeures, les décisions politiques, les dispositifs engagés, les rapports des experts, les discontinuités des pilotages, les réussites et les échecs..)
- Et faire valoir, reconnaître, capitaliser les expériences concrètes de transformation : citons notamment la constitution et le travail des réseaux, les transformations des pratiques pédagogiques, l’utilisation nouvelle de moyens supplémentaires, la création des fonctions spécifiques, l’émergence de collectifs professionnels de la scolarité obligatoire.
Voir aussi l’interview de Marc Douaire par le Café pédagogique
CONCLUSION DE LA JOURNEE
par Marc Douaire
Des formes d’autonomie sont déjà engagées localement depuis plusieurs années. Ainsi, le 16 mai dernier, la dernière rencontre de l’OZP était consacrée à l’expérience engagée par le Rep+ de Cherbourg qui se définit lui-même comme « réseau apprenant ». L’action de ce réseau repose sur 4 principes :
- Des pratiques pédagogiques pensées collectivement afin de traiter la difficulté scolaire dans la classe
- Des collectifs de travail (dont une commission inter-partenariale de suivi des difficultés des élèves)
- Des instances de régulation : le comité de pilotage, élément central, qui confie des missions précises aux autres instances (commission école/collège, commission cycle 3…) mais aussi un travail collectif sur des outils tels que les tableaux de bord
- Un leadership partagé : les pilotes sont davantage dans l’accompagnement de l’équipe et se posent comme garants du projet.
Cette construction d’une culture professionnelle de réseau s’est effectuée progressivement. L’acte d’enseigner s’est modifié et est devenu plus collectif. A l’initiative des enseignants, le travail par compétences s’est généralisé et la pondération a été organisée sur l’année scolaire.
En janvier 2017, l’OZP présentait publiquement son Nouveau manifeste pour l’Education Prioritaire pour éviter que cette refondation ne soit suivie comme la fondation de 1981 et comme les 3 autres relances par une période de silence institutionnel, voire d’abandon et même de dénaturation comme en 2007/2012. Nous nous interrogions d’emblée : « La refondation de l’éducation prioritaire est bien engagée mais lui donnera-t-on le temps nécessaire pour qu’enfin les enfants des territoires de relégation accèdent à la réussite scolaire et éducative ? ».
Car il faut du temps pour :
S’approprier le référentiel d’éducation prioritaire
Faire émerger les collectifs professionnels dans les réseaux
Constituer un vivier de formateurs en éducation prioritaire, rassembler autour de l’école les forces des territoires de l’éducation prioritaire.
Les travaux de notre journée nationale de mai 2017 soulignaient combien beaucoup a été fait en peu de temps depuis la concertation nationale pour l’école de l’été 2012 ; citons notamment :
- La nouvelle carte de l’éducation prioritaire, la création des 350 Rep+, l’ensemble des moyens supplémentaires engagés et la mise en œuvre de la pondération sur le temps de service
- Le référentiel conçu comme une ressource proposée aux équipes dans l’élaboration des projets de réseaux
- Le recentrage sur la pédagogie et la continuité des apprentissages dans le cadre de politiques de cycles
- La relance de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans
- Le dispositif « plus de maîtres que de classes »
- L’encouragement au développement des réseaux et donc d’ une culture professionnelle de réseau
- La reconnaissance de la fonction de coordonnateurs de réseaux
- La création de postes de formateurs académiques et l’effort engagé pour la formation continue des équipes
Mais nous considérions nécessaire d’inscrire dans la durée l’ensemble de ces avancées en :
- Garantissant à tous les niveaux la priorité effective aux réseaux et aux personnels de l’éducation prioritaire
– Améliorant très sensiblement la question du pilotage à tous les niveaux de l’institution scolaire
– Mettant en place une GRH effective pour tous les personnels engagés dans cette politique
– Développant les ressources, les dispositifs de formation en lien avec les Espe et la Recherche publique.
Où en est-on aujourd’hui ?
La mise en oeuvre des classes de Cp et Ce1 limitées à 12 élèves est engagée en Rep+ et progressivement en Rep conformément aux engagements du candidat Macron. Cela a été engagé bien souvent en asséchant les moyens de remplacement du premier degré et en supprimant sans la moindre évaluation plus du tiers des postes engagés dans le dispositif « plus de maîtres que de classes ».
Mais cette mesure phare ne saurait constituer à elle seule une politique d’éducation prioritaire. L’audience de l’OZP auprès du cabinet de J.-M. Blanquer le 20 avril dernier ne laisse pas d’interroger : le ministre de l’Education nationale a-t-il une politique d’éducation prioritaire et a-t-il intégré que l’histoire de celle-ci ne commence pas au mois de mai 2017 ?
Dès son origine, en 1981, la politique d’éducation prioritaire reposait sur 2 piliers : le projet inter-degrés et le travail partenarial. Au regard des inégalités sociales et scolaires, cette double approche est toujours d’actualité. Aujourd’hui, si l’accent est mis fortement sur les premiers apprentissages à l’école élémentaire, la scolarisation des enfants de moins de 3 ans et la prise en compte du travail engagé depuis des années par les équipes des écoles maternelles sur le langage ou la socialisation des jeunes élèves, le travail de continuité école/collège, les projets de réseaux comme le travail en cycles semblent reléguer à l’arrière- plan au profit d’un discours prônant le recours général à une forme scolaire traditionnelle voire archaïque : un maître, une classe, une année… et communiquant à l’envie sur la verticalité de la posture ministérielle pour favoriser des mesures pédagogiques rétrogrades.
D’autre part, chacun sait que l’amélioration des réussites scolaires des élèves de l’éducation prioritaire ne saurait reposer sur la seule action de l’institution scolaire mais appelle la construction résolue d’un partenariat éducatif avec les familles, les associations, les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’Etat. Dans les quartiers de l’éducation prioritaire ce travail est plus nécessaire que jamais mais, aujourd’hui, ne constitue pas une priorité gouvernementale.
Les 10 dernières années ont permis de construire, dans un certain nombre de réseaux d’éducation prioritaire, des collectifs professionnels préfigurant l’évolution nécessaire de la professionnalité enseignante en éducation prioritaire bien sûr, mais aussi dans l’ensemble du système éducatif. L’émergence de ces collectifs est le fruit d’un travail persévérant d’équipes de réseaux, de formateurs, de cadres de l’institution. Il doit être reconnu, conforté, développé.
La politique d’éducation prioritaire engagée en 2014 doit être évaluée dans son ensemble en 2019. Le ministère de l’Education nationale ne saurait se soustraire à cette évaluation prévue par la loi. Il ne saurait davantage l’escamoter en la déguisant en une initiative de communication tenant à l’écart l’ensemble des acteurs de l’éducation prioritaire. C’est donc dès maintenant que le ministre de l’Education nationale doit engager le processus de préparation de cette évaluation nationale en présentant ses propositions de méthode et de calendrier. Une chose est sûre pour nous : cette évaluation ne saurait se faire sans la participation de l’ensemble des acteurs de l’éducation prioritaire
Pour sa part, l’OZP prendra ses responsabilités pour la tenue d’assises de l’éducation prioritaire en 2019.