> V- ACTEURS (la plupart en EP) > Enseignants : Identité > Enseignants : Identité (Témoignages d’) > Rentrée scolaire dans la ZEP d’Evry (Essonne) (L’Observateur)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Rentrée scolaire dans la ZEP d’Evry (Essonne) (L’Observateur)

14 septembre 2004

Extrait de « L’Observateur » du 09.09.04 : rentrée dans la ZEP d’Evry

Le premier cours d’Anne-Sophie

Comment fait-on pour s’adapter dès la première heure et pour enseigner le français à des élèves venus de tous les continents ? Caroline Brizard a suivi les premiers pas d’une jeune prof

Premier face-à-face. Dix-huit élèves de quatrième 2 dardent leurs prunelles sur le visage frais et le regard clair d’Anne-Sophie, 28 ans, la prof de français. Nouvelle au collège, et nouvelle tout court : à 8 h 30 ce lundi, elle donne son premier cours « pour de bon ». Seule en lice. Sans trembler. N’hésitant pas à instaurer tout de suite les règles, à ne parler que dans le silence, à hausser le ton juste ce qu’il faut, et à progresser pas à pas dans sa séance d’introduction. Comment pourrait-on imaginer qu’elle est une débutante ?

Le ministère de l’Education nationale l’a nommée, comme c’est l’usage avec ceux qui sortent de l’IUFM (Institut universitaire de Formation des Maîtres), dans un collège difficile d’Evry (Essonne). Fiché au bas de façades de briques hérissées de paraboles, c’est un de ces établissements multi-étiquetés « sensibles », ZEP, encastrés dans un quartier où les voitures flambent trop souvent, une cité sous tension, branchée sur l’actualité internationale, entrant en effervescence dès que deux bandes se castagnent. Là se joue - plus ou moins bien - l’intégration. Conscient de l’enjeu, le conseil général a lancé une réhabilitation lourde du collège, qui va durer deux ans.

Inquiète, Anne-Sophie ? « Plus du tout. Pourtant, je n’avais pas demandé un établissement de ce type, pour lequel on est en principe volontaire. En pratique... J’étais un peu catastrophée quand j’ai appris mon affectation, au printemps dernier. J’ai téléphoné à la principale qui m’a dit : "Venez nous voir, n’ayez pas peur." Cet accueil m’a rassurée. J’ai rencontré l’équipe des professeurs de français. Je me suis tout de suite sentie soutenue. Ils travaillent ensemble. Ils ont par exemple établi une progression tout au long de l’année, par niveau, dans le cadre des programmes. J’avais beaucoup entendu parler du travail en équipe, d’entraide, sans l’avoir jamais vécu. D’habitude, les professeurs jouent plus perso. »
Pas ici. « L’équipe est soudée, dynamique, très collective », note Anne-Sophie. Une solidarité de rigueur, pour faire face à l’urgence éducative. Les 650 élèves viennent de tous les continents, et même quand ils sont nés en France l’école représente leur seule chance d’avenir. Ils ont besoin de toute l’aide possible pour ne pas la laisser filer.

Au collège, il est donc question de performance et d’efficacité. Mercredi 1er septembre, veille de la rentrée des élèves, les professeurs étaient tous assis dans le réfectoire installé dans un préfabriqué, pour le coup d’envoi de la nouvelle année scolaire. Colette Cassini, la principale, petite femme brune et énergique, debout derrière trois tables rapprochées qui lui tenaient lieu de tribune et flanquée du principal adjoint et d’une conseillère principale d’éducation, haranguait son monde, distribuait les rôles, présentait les nouveaux, saluait les résultats. « 70% de réussite au brevet, nous atteignons presque la moyenne de l’Essonne », martelait-elle. Le collège, laboratoire d’innovations, a toute l’attention du rectorat.

« Nous faisons dans la dentelle, explique encore la principale. Nous proposons toutes sortes d’aides aux élèves, au plus près de leurs besoins. Des études dirigées, après la classe, par petits groupes, des classes à profil particulier, comme la quatrième connaissance des métiers, ou ce projet Tremplin pour lequel j’ai obtenu un financement ad hoc : des élèves en difficulté sont retirés de leur classe et bénéficient d’une remise à niveau intensive pendant quinze jours, avec des professeurs volontaires... » Et des bénévoles. Aux Pyramides, on ne compte pas ses heures.

Anne-Sophie, sereine, toute à sa volonté de transmettre aux élèves son goût de l’ordre, de la méthode, sa curiosité pour l’univers de la littérature, semble s’être intégrée tout de suite. « Quand je ne me sentirai plus en harmonie avec ce que je fais, je changerai de métier », dit-elle. La vocation lui est venue chemin faisant. Elle a grandi en Normandie, passé son bac B, option économie à Caen, puis, encouragée par son professeur de philo, elle a fait hypokhâgne et khâgne. « J’hésitais entre la philo et les lettres. » Boucle une maîtrise sur Le Clézio. Réussit le Capes, le concours de recrutement des professeurs du secondaire. Les sirènes du voyage l’appellent. Elle part enseigner en Russie, puis au Brésil, près de São Paulo. « J’ai adoré cette expérience », dit-elle de sa voix douce. Elle finit par faire son stage pratique l’année dernière, dans l’académie de Versailles. « Les établissements y sont à des années-lumière du collège des Pyramides. Au lycée, l’infirmière distribuait des antidépresseurs aux élèves tant la pression scolaire était forte, et personne n’en parlait. »

Anne-Sophie n’aura pas ici ce genre de problème. « Je n’ai aucune qualité et un défaut, la flemmardité », écrit un de ses petits de quatrième lundi matin, pour l’autoportrait qu’elle leur a demandé. L’occasion d’apprendre à faire un plan, de rappeler la présentation d’un texte en paragraphes, de revoir les mots : identité, qualités, défauts, projets... Une gamine hoche la tête. « Qualité ? » Elle ne sait pas ce que cela veut dire. Comme trois autres élèves, sérieuses, silencieuses, elle est turque et ne parle pas un traître mot de français. Elle vient d’arriver en France. Au collège des Pyramides, elle et ses camarades vont bénéficier d’une mise à niveau en langue. Dans un coin de la classe, derrière quatre garçons remuants qu’Anne-Sophie tient en respect, un grand gaillard a griffonné quelques mots sur une feuille qu’on lui a prêtée. Un peu court pour un autoportrait. Mais il n’y croit plus, semble-t-il : trois ans de retard, et trop d’échecs derrière lui. « Avec ces élèves, je ne sais pas trop quoi faire », reconnaît le jeune professeur. L’IUFM ne l’avait pas préparée à ces cas extrêmes. Cette première année au collège lui offre un cours de rattrapage express.

Caroline Brizard

Répondre à cet article