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Les aides-éducateurs : quel rôle dans l’institution scolaire ? (Rencontre OZP, novembre 1999)

novembre 1999

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

(Observatoire des zones prioritaires
www.ozp.fr)

n° 17 - novembre 1999

Les aides-éducateurs : quel rôle dans l’institution scolaire ?

Compte rendu de la réunion publique du 17 novembre 1999

65 000 jeunes ont été recrutés par l’Éducation nationale ; 2 000 ont été affectés en priorité aux quartiers en difficulté. Les écoles primaires ont accueilli 75 % de la première vague, mais actuellement 38 % d’entre eux travaillent dans les collèges et les lycées.
Dans ce dispositif novateur, les établissements et les jeunes ont dû installer des rôles et des fonctions d’aides-éducateurs (AE), parfois pour le plus grand bénéfice de tous, parfois de façon plus ambiguë. Mais, d’une manière générale, de par la différence de fonctionnement, les écoles et les collèges n’offrent pas des conditions semblables à l’intégration des AE.
Lors de cette réunion publique, deux recherches ont été présentées, l’une concerne l’école primaire, l’autre des collèges.

I - Elisabeth Martin (chercheuse à l’INRP, centre A. Savary) : Position et fonction des AE en école élémentaire

II s’agit d’une étude en cours dont le rapport final paraîtra fin 2000. Elle interroge l’hypothèse contenue dans la Charte de l’École du XXIème siècle : l’arrivée des AE (et de personnels auxiliaires) devrait contribuer à élargir la conception du métier et faire évoluer la professionnalité des enseignants.
Ainsi repère-t-on cinq domaines où l’arrivée des AE est susceptible de faire bouger quelque chose. L’offre d’enseignement de l’école s’accroît-elle ? Dans la vie scolaire et l’organisation de l’école, y a-t-il
développement de la fonction de médiation ? Les conditions de travail des enseignants sont-elles devenues plus confortables ? En ce qui concerne la professionnalité enseignante, constate-t-on une évolution des compétences, notamment en ce qui concerne la composante éthique (L. Demailly), c’est à dire la compréhension de l’éducabilité cognitive des enfants ? Par ailleurs, la présence des AE induit-elle, chez l’enseignant, une posture vis à vis de sa pratique plus réflexive et distanciée ? Des transformations peuvent-elles être repérées dans la dimension pédagogique et didactique ?
En dernier lieu, il conviendrait de suivre les résultats des élèves, question fondamentale que les conditions de l’étude en cours ne permettent pas, hélas, de traiter.
Quatorze sites ont été retenus (ils n’ont pas valeur d’échantillon) ; trente entretiens ont été menés auprès d’instituteurs, dix auprès de directeurs et seize auprès d’aides-éducateurs ; treize séquences ont été observées.

Des résultats obtenus, on retiendra :

1 - Les tâches des AE
Leur emploi dans les tâches administratives est limité, alors qu’on pouvait craindre une dérive. En assurant des fonctions d’accueil auprès des élèves et des parents, l’action des AE génère globalement davantage de liens au sein de l’école et avec l’extérieur. Mais certaines écoles, en déléguant aux AE les relations avec les parents, ne poursuivraient-elles pas des stratégies d’évitement ?
Les AE apportent leur concours à l’organisation de la classe et de l’école (aide matérielle, aide aux devoirs... ) et facilitent ainsi le travail de l’enseignant. Utilisés dans leurs compétences spécifiques (sport, langue étrangère... ), ils permettent que l’offre d’enseignement de l’école s’étoffe. Mais se pose la question de la réalité de ces compétences et reparaît le problème de la polyvalence des maîtres.
Dans les activités en duo au sein de la classe, les chercheurs ont observé des situations très prometteuses par rapport aux objectifs institutionnels. Les interactions AE / enseignants mettent ces derniers en position de devoir mettre en mots leurs pratiques et peuvent induire réflexivité et distanciation.
Par ailleurs, l’AE est source d’informations sur la classe et les élèves.
Enfin, la disponibilité conquise grâce aux AE permet au maître d’être plus près des élèves et d’appréhender leurs difficultés.
A contrario (trois sites relèvent de ce cas), en l’absence d’échanges régulés avec les AE, ceux-ci peuvent absorber des informations et la vision que le maître peut avoir de sa classe s’opacifie, se parcellise, ce qui peut nuire à la régulation pédagogique. Autre écueil qui rejoint la problématique opposant programme à projet : à l’enseignant les tâches austères, aux AE le travail ludique et gratifiant...
Enfin, dans cette collaboration pédagogique, on a pu repérer des moments harmonieux où l’AE s’inscrit dans le "contrat pédagogique", mais aussi des moments plus litigieux où se produit une rupture, un brouillage dans ce que l’instituteur est en train de conduire avec ses élèves.
Ainsi, les AE seraient davantage portés vers un travail de production, alors que les maîtres travaillent essentiellement sur le processus d’apprentissage. Les élèves seraient confrontés à une relation pédagogique et au savoir pensés dans des finalités différentes.

2 - L’adaptation réciproque école / AE
Entre les projets d’accueil élaborés par les écoles et ce qui se passe réellement, les choses bougent et se
jouent différemment. Ce signe d’adaptation, d’interaction, de mobilité paraît très positif. "L’autonomie"
de l’AE est considérée comme une qualité. Certains en font montre, d’autres sont jugés en manquer.
Cependant, il ne faudrait pas confondre "autonomie" et pertinence pour l’école ; certains AE peuvent
disloquer une équipe.

3 - L’intégration des AE
Les bénéfices qu’ils peuvent apporter, les transformations dont ils peuvent être les vecteurs dépendent
des terrains qui les accueillent. L’établissement scolaire, avec sa dynamique, ses tensions, ses synergies, est un réceptacle qui va laisser et donner une place à ce personnel d’un nouveau type. Les équipes habituées à travailler avec des intervenants extérieurs possèdent une culture, un terreau qui permet à l’AE de s’inscrire plus rapidement au sein de l’école et donc de donner une valeur positive à cette nouvelle fonction.

4 - Les écoles réagissent différemment à la proposition qui leur est faite d’accueillir des AE.
Certains ont refusé, par principe (1), crainte de l’amateurisme et d’une dépréciation de la profession d’enseignant. D’autres acceptent par civisme. D’autres enfin ont une attitude plus professionnelle : on évalue les compétences des AE, les tâches possibles et leurs articulations avec les apprentissages des élèves. Notons une autre réaction rencontrée chez une équipe : une confiance totale et a priori est accordée aux AE dont on pense qu’ils sont d’emblée aptes à s’occuper des élèves au même titre que les enseignants, ce qui connote une certaine conception du métier.

La recherche se poursuivra sur les rapports qui existent entre les conceptions du métier qu’ont les enseignants et la place donnée aux AE. Déjà, on voit poindre le passage d’une conception intuitive du
"milieu" à une conception de la "profession" qui s’appuie sur un corps de savoirs constitués, identifiables, transmissibles. On reviendra sur les différences entre les écoles qui perçoivent l’AE en tant que personne et celles qui pensent en terme de fonction à assurer.
Bien entendu, la position de départ sera reprise : l’arrivée des AE fait-elle bouger les choses, les tâches confiées évoluent-elles ? La travail des AE amène-t-il du changement dans les équipes ?

(1) On sait, par ailleurs, que cette position a été tenue par des établissements qui avaient déjà engagé une collaboration étroite et souvent très réfléchie avec des associations locales et qui redoutaient que les subventions accordées à celles-ci soient réduites (ce qui s’est souvent produit).

II - Laurence Émin et Olivier de Peretti (équipe ESCOL, Paris VIII) présentent une recherche dirigée par Bernard Chariot (2), qu’ils ont menée dans trois collèges de la Seine-Saint-Denis (appel d’offres sur la violence en milieu scolaire).

L’affectation du personnel "emplois-jeunes" représente la mesure la plus novatrice du plan de lutte contre la violence arrêté par le MEN.
L’enquête menée pendant un an avait pour but de mieux comprendre, à travers l’utilisation des emplois-jeunes, les logiques que ces établissements mettent en œuvre dans leur lutte contre les violences scolaires. Ici, on présentera les principaux résultats et des éléments de réflexion sur des modalités de l’action publique lorsqu’elle vise l’éducation et l’emploi.

1 - Le contexte de recrutement des AE
L’éloignement socioculturel entre les élèves et le corps enseignant est un phénomène croissant depuis 1960. Le rôle de l’école, les savoirs enseignés font de moins en moins sens pour les élèves de certains territoires. Ceux-ci remettent en cause la légitimité des professionnels de l’école à prononcer à leur encontre des sanctions, à les évaluer, d’autant plus que sanction et évaluation ont des conséquences qui débordent le cadre scolaire. Les trois établissements référents vivent de façon aiguë cette situation et les relations adultes / élèves sont marquées par un fort antagonisme. Ainsi l’école est-elle le cadre d’une "organisation oppositionnelle des identités".
La distance socioculturelle entre enseignants et élèves de milieu populaire brouille la lecture que les uns et les autres peuvent faire réciproquement de leurs comportements. L’utilisation d’un discours stigmatisant et déficitaire provoque chez les élèves des stratégies identitaires réactives et défensives : de stigmatisé, l’individu devient "stigmatiseur". Et sur la base d’un triple processus - stigmatisation, identification réactive, inversement des valeurs et stigmatisation de ceux qui ne les partagent pas - les frontières se tracent entre les groupes, entre les "eux" et les "nous", lourdes de tensions et d’antagonismes.
Cette opposition passe aussi par une très forte ethnicisation des rapports sociaux.
Nous parlons d’ethnicisation et non d’ethnies, car les groupes qui sont désignés ou qui s’autodésignent par des noms comme "renoi" ou "robeu" ne sauraient en aucun cas être considérés comme des groupes ethniques porteurs de traits culturels communs. Cette catégorisation différenciatrice s’appuie sur des traits moraux - "bouffons", "balances" - mais la couleur de la peau est le pivot de référence utilisé par les jeunes (et parfois les adultes) dans le classement de leurs pairs.
Le monde scolaire est perméable aux discours ethnicisants, et cette ethnicisation va plus dans le sens d’une stigmatisation que d’une reconnaissance des minorités. Il y a là un phénomène hautement préoccupant. Les processus de ségrégation sociale et ethnique qui se jouent dans les établissements scolaires (Payet) ont pour effet de renforcer les identités réactives construites par les élèves qui ont à faire face à cette discrimination. Cependant les clivages, les frontières tracées par les élèves ne sont pas clos et définitifs. Les frontières sont changeantes, "retravaillées" en situation. Néanmoins certaines d’entre elles refont toujours surface, ce qui permet de penser que l’antagonisme ethnique est le travestissement d’un conflit social opposant une classe polyethnique dominée à une classe franco-française dominante.

2 - Le rôle pacificateur des AE
Les collèges ont défini très librement les profils de poste. Les AE sont affectés en grande partie à la vie scolaire et effectuent principalement des tâches de surveillance, d’aide aux devoirs, d’études dirigées, de tutorat, moins souvent des activités plus spécifiques (sport, aide à l’orientation... ).
L’arrivée des AE a une incidence très positive sur le climat de l’établissement. En assurant au niveau des élèves des modes d’intervention qui ne pouvaient être assurés systématiquement faute de temps et de personnel, en entretenant des relations individualisées avec les jeunes, en occupant des espaces interstitiels et en désamorçant rapidement les conflits, les AE ont pu établir une communication avec des élèves très difficiles et ont eu un rôle de pacification de l’établissement. Cependant, selon nous, les effets obtenus relèvent beaucoup moins de la spécificité de leur champ d’action que de leurs caractéristiques personnelles, de ce qu’ils sont.
Tous les AE recrutés, et ceci a été un choix délibéré, ont une appartenance sociale et (ou) culturelle proche de celle des élèves. Tous sont "blacks" ou "beurs". De cette proximité "identitaire", les chefs d’établissement ont fait un outil, un instrument. Et en effet ces AE entretiennent des relations privilégiées avec les élèves. Ils sont plus à même de lire le comportement des élèves, de ne pas les criminaliser. Une connaissance des normes de jugement, une certaine connivence culturelle assoient leur autorité, leur donnant une bonne marge de manœuvre. Les élèves ont, pour leur part, une plus grande tolérance vis-à-vis des conduites répressives et des jugements évaluatifs des AE. Ces derniers servent en outre de médiateurs entre des groupes d’élèves qui tendent à s’opposer.

3 - Un déplacement des contradictions
L’instrumentation de la proximité élèves / AE ne permet pas de pallier les contradictions qui agissent aujourd’hui au sein de l’école, où la légitimité de l’ordre scolaire ne va pas de soi. Sur le terrain, on constate que la légitimité, confinée aux actes et à la parole des AE, n’est pas transférée aux autres adultes. Il faudrait, pour que les effets de pacification dépassent le seul cadre de la relation interindividuelle élève / AE, la présence de personnes aptes à expliciter et à généraliser le savoir implicite dont semblent disposer les AE.
Mais est-on prêt à entendre ce qui émane d’un personnel sans statut, que l’on est plutôt tenté de définir en terme de non-compétence ? Aussi assiste-t-on à la mise en place d’une sorte de surveillance communautaire assise sur une légitimité "privative", d’un mode archaïque de résolution des conflits fondé sur des arrangements interpersonnels et des affinités soutenues par une dimension ethnicisante.
La contrainte que les AE imposent parfois aux élèves ne repose que sur la reconnaissance de la légitimité de l’ordre scolaire, et le caractère public de ce qui est contesté ou menacé est masqué. On constate que l’introduction des AE n’induit pas la construction d’un projet redéfinissant un "bien commun" (Derouet) qui intégrerait les différences et dessinerait les lignes d’un nouvel ordre scolaire.
Plus largement, la stratégie utilisée par ces collèges rejoint celle des politiques publiques "de proximité" qui s’appuient sur le local - le quartier, sa population - pour créer de façon volontariste du lien social : ces politiques n’entrent-elles pas en contradiction avec l’idéal républicain qui fondait l’école à la française ?
Tout d’abord, quelles seraient à long terme les conséquences pour l’école, si les caractéristiques socioculturelles étaient considérées comme des éléments de l’identité professionnelle ? L’universalisme républicain (dans sa double référence à l’universalité des savoirs, et de l’État garant des droits de l’Homme) interdit que l’on reconnaisse quelque légitimité que ce soit à la différence. Qu’en est-il quand l’école, pour résoudre ses problèmes, embauche et instrumentalise la différence socioculturelle ?
L’école avait pour mission d’instituer la citoyenneté en donnant aux jeunes les moyens de s’émanciper de leur lieu d’appartenance et de s’affranchir des liens communautaires. Or, un certain nombre de politiques publiques qui se veulent pragmatiques, qui fonctionnent sur l’équation proximité = efficacité, qui se veulent idéologiquement neutres, n’entrent-elles pas en contradiction avec ce qu’elles proclament en même temps de leur attachement à l’idéal républicain ?

Enfin, sur un autre plan, le devenir de ces AE est préoccupant. L’Etat, au travers de la place donnée à la formation, à sa teneur, pourra-t-il jouer son rôle de "protection sociale" (R. Castel) et permettre à ces jeunes d’acquérir une formation professionnelle qui leur donne accès au secteur public et privé ? Une véritable politique d’insertion est-elle pensée et menée ?

(2) Cf. l’article "Les aides-éducateurs : le lien social contre la citoyenneté" de B. Chariot, L. Émin, 0. De Peretti. - In : Ville-École-Intégration n° 118, septembre 1999, p. 161-175.

ci-dessous une version PDF à la mise enpage identique à l’original papier

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