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Claude Lelièvre rappelle la complexité historique et « philosophique » de la laïcité (Le Café)

19 avril 2023

Laïcité : Ferry, Buisson, Combes, des déviants notoires ?

Dans sa tribune bi-mensuelle, Claude Lelièvre revient sur la polémique suscitée par la nomination d’Alain Policar au Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République. Il rappelle que jusqu’à la Liberation des « devoirs envers Dieu » étaient inscrits dans les programmes de l’école française et que la laïcité à l’École instituée sous la troisième République était à une très grande distance d’un horizon de « religion civile ».

Ferry, Buisson, Combes, des déviants notoires ? On pourrait le croire lorsqu’on prend connaissances de certaines réactions à la nomination d’Alain Polcar au’’ Conseil des sages de la laïcité’’ et que l’on a connaissance de certaines des positions réelles de ces trois grands fondateurs de l’École républicaine et laïque. Elles sont sans aucun doute fort surprenantes par rapport à une doxa simpliste qui tend à s’imposer. Mais l’histoire réelle de la laïcité à l’École est bien plus complexe qu’on ne le pense et ne relève pas d’une notion intangible et de la profession de foi péremptoire. La laïcité passe aussi par la vérité et la complexité du réel.

Des « devoirs envers Dieu » sont inscrits dans le texte réglementaire (publié le 27 juillet 1882) du programme de morale au cours moyen par le Conseil supérieur de l’Instruction publique durant le ministère dirigé par Jules Ferry. « Devoirs envers Dieu. L’enseignement que l’instituteur doit donner à tous indistinctement se borne à deux points. D’abord, il leur apprend à ne pas prononcer légèrement le nom de Dieu ; il associe étroitement dans leur esprit à l’idée de l’Être parfait un sentiment de respect ; et il habitue chacun d’eux à environner du même respect cette notion de Dieu, alors même qu’elle se présenterait à lui sous des formes différentes de celles de sa propre religion ».

[…] Le rapport d’Émile Combes – le ‘’petit père Combes’’ comme on disait alors, connu pour son anticléricalisme déterminé et l’auteur des lois interdisant aux congrégations d’enseigner au début du XXème siècle – comprend notamment les lignes suivantes. « Ce peuple aime sa religion et il entend qu’on la respecte […]. Ce qu’on a regardé comme une opposition religieuse n’était que le désir bien naturel à un peuple croyant de s’assurer que sa religion nationale ne courait aucun danger dans les écoles ouvertes à la jeunesse […]. Le sentiment religieux et le sentiment patriotique s’unissent pour recommander le Coran, qui est à la fois le symbole de la doctrine religieuse et le monument par excellence d’une littérature. Le Coran tenant au cœur de l’arabe par ce double lien, il est naturel que l’arabe s’irrite d’une attaque dirigée contre le Coran comme d’une offense faite à sa croyance et à sa race. De là pour nos instituteurs, l’obligation étroite de témoigner le plus profond respect à la religion indigène, c’est à dire au livre qui en est l’expression ». ( Rapport Combes, Documents parlementaires, Sénat annexe n° 50, 18 mars 1892, p.244.)

[…] Il ne s’agit pas ici de prôner un retour « aux devoirs envers Dieu » dans les Instructions scolaires, mais de saisir la complexité historique – et « philosophique » – de la notion de laïcité et surtout de saisir à quel point la laïcité à l’École instituée sous la troisième République était à une très grande distance d’un horizon de « religion civile ». Comme l’a fort bien pointé Alain Polcar : « La laïcité n’est pas une loi qui combat la religion, c’est une loi pour la liberté de conscience. Faire de la laïcité une religion civile qui aurait pour but de combattre les croyances religieuses, en particulier l’islam, met en péril la communauté des citoyens et, dès lors, constitue un réel danger ».

Extrait de café pédagogique.net du 19.04.23

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