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EN QUÊTE D’ÉCOLE : épisode 19 (05/05/2022)
La santé des élèves à l’école
Le film Ecchymoses, sorti en 2019, documente le quotidien d’une infirmerie scolaire. Il a obtenu une mention spéciale au festival international du film d’éducation. Si l’infirmerie scolaire est le lieu privilégié où l’on prend soin de la santé des élèves ce n’est pas le seul, et depuis une dizaine d’années c’est l’ensemble des espaces et des professionnels scolaires qui sont chargés d’accueillir et de prendre soin de la santé des élèves. Prévenir certaines conduites dites à risque, encourager des comportements sains, mais aussi guérir, écouter, soigner les maux visibles ou non, voilà ce qui est attendu de l’École. Mais pourquoi la santé a-t-elle sa place à l’école, et comment la prise en charge de la santé des élèves a-t-elle évolué jusqu’à aujourd’hui ? Pour le savoir, nous avons mené l’enquête.
L’école, haut lieu de la santé publique
Dès les années 1900, l’École est un haut lieu de promotion de la santé publique, un lieu de prévention et de contrôle de l’hygiène des élèves. La loi sanitaire de 1902 intègre l’hygiène aux programmes scolaires. On engage des réflexions sur la mise aux normes sanitaires des établissements, sur la circulation de l’air et de la lumière, on développe les exercices physiques pour endurcir les corps des élèves, et on contrôle leur propreté corporelle, vestimentaire et morale. L’école est donc un lieu de surveillance parfois moralisatrice dans sa définition de la bonne santé, c’est aussi un lieu de prévention des maladies et d’acquisition de bonnes habitudes en matière d’alimentation .
« Un menu scientifiquement équilibré tient compte en ce qui concerne le choix des boissons de la dernière circulaire du Ministère de l’éducation nationale qui vient d’interdire dans toutes les cantine scolaires toute boisson alcoolisée pour les moins de 14 ans. Cette mesure salutaire est étendue à la campagne où l’instituteur est tenu de surveiller le choix de la boisson qui accompagne le casse-croûte quotidien. La sobriété est une bonne habitude. Elle est la base même de la santé de nos enfants. »
L’oeil de l’INA. (2017, 20 septembre). 1956 : Interdiction de l’alcool dans les cantines scolaires. INA.
Dans les années 1960-1970, les visites médicales sont systématisées dans les établissements scolaires. L’objectif de cette mesure est de réduire les inégalités d’accès à la santé entre les familles, et pour cela les équipe médicale et sociales des Ecoles prennent en charge tous les bilans de santé nécessaires entre 5 et 16 ans.
« La dernière réforme de l’enseignement entraîne une prolongation de l’âge scolaire qui va s’étendre sur la deuxième enfance et l’adolescence, périodes au cours desquelles s’effectuent les modifications morphologiques et s’achèvent les maturations motrices, psychologiques et affectives. A cote de sa tache traditionnelle de dépistage, le médecin scolaire a maintenant de nouveaux objectifs : les bilans de santé. C’est là non seulement une médecine de prophylaxie mais une médecine de prognostic et d’orientation. Elle nécessité une optique et des techniques particulières. »
Bernfeld & Auregan. (1962). Les bilans de santé à l’âge scolaire. Cinémathèque de l’Enseignement public.
Et depuis les années 1990 nous sommes passés d’une école qui prescrit et qui contrôle à une école qui informe et responsabilise les élèves avec la mise en place des cours d’éducation à la santé.
Une prise en charge par plusieurs acteurs dans un souci de responsabilisation des élèves
Alors aujourd’hui qui prend en charge la santé des élèves à l’école ?
Ce sont bien évidemment les personnels médicaux : les psychologues, les médecins scolaires, et tout particulièrement les infirmiers et infirmières scolaires dont le rôle est essentiel pour repérer et suivre les problèmes de santé des élèves comme le montre ce reportage tourné au lycée François Magendie de Bordeaux en 2016.
« L’infirmière est sur tous les fronts. Elle informe et elle anime des ateliers sur la santé, toujours en lien permanent avec l’équipe éducative. L’infirmière ne doit pas poser sur son bureau. Elle travaille beaucoup avec la vie scolaire tout en préservant le secret médical. Une fois par mois,,elle participe à une réunion de la cellule d’écoute où son évoqués tous les cas d’élèves en difficulté. Entre deux réunions, il faut soulager cette jeune fille qui vient de tomber dans les escaliers. ET quand elle ne soigne pas, retour au bureau où elle accueille tous ceux qui veulent souffler un peu. »
D’Abrigeon, M., Bonnet, D., Delwarde, E. & Colpaert, S. (2015, 9 décembre). Chronique éducation : Focus sur le rôle de l’infirmière scolaire. France 3 Nouvelle-Aquitaine.
Mais la santé des élèves n’est pas qu’une affaire de spécialistes, contrairement à d’autres pays comme la Finlande ou le Québec où l’éducation à la santé est une discipline inscrite dans les programmes, en France il s’agit d’une question transversale et pluridisciplinaire.
Les directives récentes insistent d’ailleurs sur le fait que tous les professionnels qui entourent les élèves doivent y contribuer. Certains enseignants sont particulièrement impliqués dans les disciplines comme les SVT, l’EMC ou l’EPS. En SVT depuis 2011 le programme précise que le thème “corps, humain et santé" prépare à l’exercice des responsabilités individuelles, familiales et sociales.
Dans ce cadre, certains objectifs sont considérés prioritaires, il s’agit notamment de l’éducation à l’alimentation, à la sexualité, de la prévention des conduites addictives, des "jeux dangereux" et du harcèlement .
« Le cyberharcèlement c’est le plus compliqué parce que c’est sur les rséeaux donc même quand on n’est plus en cours, l’enfer continue. Des messages compromettants, des fois des photos et des demandes assez étranges. Ils ont peur d’allumer leur téléphone. Je commençais à me cacher derrière quelque chose qui n’est pas moi. Il y a des moments où tu es triste et tu ne veux plus jamais retourner à l’école. Ça peut complètement déchirer une vie, ça peut pousser au suicide, à des dépressions, des trucs comme ça... »
Education France. (2021). Campagne de sensibilisation Non au harcèlement 2021-2022. Ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports.
la santé à l’école, des objectifs qui se multiplient
Au fil des années, les objectifs et les besoins se multiplient, mais pas le nombre d’heures ni de personnels dédiés à ces questions de santé. Une note de la DGESCO publiée en 2011 souligne d’ailleurs le manque d’infirmiers et de médecins scolaires, le manque de formation ou de disponibilité des équipes éducatives qui sont les principaux obstacles pour réaliser des actions d’éducation à la santé.
Pour répondre à ces besoins, de nombreux autres partenaires sont impliqués à la fois, dans l’école, avec les d’associations ou les services de l’Etat, et en dehors de l’école dans les centres de loisirs, ou les clubs sportifs. Et ces actions passent notamment par des campagnes de prévention.
« Ce qui est bien quand on est jeune c’est qu’on est libre. Quand on est libre, pourquoi choisir d’être dépendant ? »
Institut National de Prévention et d’Education Pour la Santé. (2013). Campagne anti-tabac - « Quand on est libre, pourquoi choisir d’être dépendant ? ». Ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports.
Ces campagnes sont elles un moyen efficace pour atteindre les jeunes ? D’après la sociologue Marie Clémence Le Pape, ce n’est pas toujours le cas, d’après une enquête menée en 2010 sur la prévention des conduites à risques chez les jeunes, les élèves reprochent souvent à ces interventions d’être trop tardives, trop ponctuelles, trop scolaires, voire moralisatrices.
Une formation dans la durée au plus près des préoccupations quotidiennes des élèves
Alors comment faire pour éduquer efficacement les élèves à la santé ?
D’après l’Institut National de Prévention et d’Education Pour la Santé, pour être utiles, les programmes doivent s’inscrire dans la durée et impliquer de manière active les élèves. Ce sont ces deux conditions qui favorisent la mise en place d’ habitudes et comportements sains sur le long terme
Cela commence dès l’école maternelle avec l’apprentissage de l’hygiène et de la nutrition pendant des temps collectifs et quotidiens. A ce titre les temps de repas pris à l’école répondent aux objectifs de l’éducation à la santé, car ils permettent à la fois de faire acquérir des comportements sains, d’apporter une éducation nutritionnelle, et de lutter contre les inégalités de santé.
« Dès le plus jeune âge, c’est les sensibiliser à une éducation nutritionnelle. Il y a beaucoup d’enfants qui n’ont pas le temps de prendre le petit déjeuner à la maison ou qui le prennent trop rapidement. Cette initiative permet à tous de ne pas passer la matinée le ventre vide. Donc ça va parler aux enfants, leur apporter du vocabulaire. Je vous montre l’image d’une pomme : qu’est-ce qu’une pomme, une poire ? Pour nous le corps enseignant ça nous permet de travailler d’autant plus avec eux sur des notions comme le gaspillage ou l’hygiène. »
Plan national nutrition-santé. (2019). Un petit déjeuner à l’école pour soutenir les familles les plus fragiles. Ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports.
Si l’éducation à la santé doit s’inscrire dans la durée, la recherche montre aussi qu’ils doivent prendre en compte les expériences réelles vécues par les élèves, au risque d’être inefficaces. Dans un article paru en 2019 sur l’éducation à la sexualité, les sociologues Yaelle Amsellem Mainguy et Arthur Vuattoux montrent que celle ci est davantage marquée par les angoisses et les craintes des adultes, autour des maladies sexuellement transmissibles et des grossesses non prévues, alors que les préoccupations des élèves sont souvent éloignées de ce sujet.
L’éducation à la santé pose donc de nombreuses questions. Elle interroge les moyens d’atteindre efficacement les élèves, mais aussi les normes et les critères de la bonne santé, et puis elle pointe l’hétérogénéité des besoins et des expériences, et les inégalités sociales de santé entre élèves, récemment mises en lumière par la crise sanitaire