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- Dernier jour pour deux directeurs d’école en REP+ à Mantes-la-Jolie (avant la retraite) et à Stains (le Café) - L’année noire des directeurs (Le Monde de l’éducation)

8 juillet 2020

Dire adieu à son école, pas si simple !
Vendredi 4 juillet, c’était le dernier jour d’école pour des millions d’écoliers et des centaines de milliers de professeurs des écoles. Une année pas comme les autres, une année chahutée par les grèves contre la réforme des retraites mais aussi et surtout par des mois de confinement lors desquels l’institution a demandé aux enseignants de faire classe… sans la classe… avec leur matériel personnel et sans aucune formation ou préparation aux usages des outils numériques. Pour autant, les enseignants, comme d’habitude, ont su faire preuve de professionnalisme et ont réussi, tant bien que mal, àmaintenir le lien avec leurs élèves et à éviter qu’une grande part ne reste sur le bord de la route. C’est donc sur les rotules que ce dernier jour d’école a été vécu par les équipes enseignantes. Et pour certains, c’était leur dernier jour dans leur école. Pour Patricia, c’est la retraite, pour Nabil une nouvelle direction et pour Mélinda, qui passe de contractuelle à lauréate du concours de professeur des écoles, une nouvelle aventure.

« Je pars sereine et fière du travail accompli, l’école est en ordre… »

« L’école est finie ! Libérée… délivrée… ! » s’écrie Patricia Lartot, directrice de l’école Jules Vernes de Mantes la Jolie depuis dix-huit ans, enseignante depuis trente-huit ans dans la même commune. Mais pas si simple pour Patricia cette année, c’était vraiment la dernière fois pour elle. « Là, c’est définitivement fini. C’est la retraite, je me retire. Ce n’est pas évident surtout après une telle année. Une année tronquée, amputée et qui avait déjà mal commencé avec Christine Renon, qui elle n’aura pas la chance de profiter de la vie, avec la future réforme inique des retraites et pour finir, la crise sanitaire où les erreurs, les dysfonctionnements de l’institution, la communication calamiteuse de notre ministre - à l’aveuglement scientiste et à la vision réactionnaire de l’école – ont parfois eu raison de mon équilibre psychique… ».

Le retour à l’école dès le 14 mai pour Patricia et ses collègues a permis de se retrouver, au moins un peu. « Ce semblant de retour à la normale nous a permis de nous retrouver, mais aussi de partager, d’innover, de se rassurer et de faire la fête… Même avec les règles de distanciation ». Les derniers jours de l’année ont été riches en émotion : entre les larmes et les rires, dire au revoir n’est pas simple. « Quitter ce territoire, cette mission essentielle du service public est un crève-cœur ! ». Vendredi matin, c’était la mairie qui lui faisait livrer un énorme bouquet de fleurs pour la remercier de « son engagement auprès des enfants de la commune ». Puis ce sont les élèves, mais aussi les anciens élèves, les parents et les collègues qui lui ont témoigné leur profond attachement. Une journée pleine de jeux, de rires mais aussi, et encore, de larmes. « Ils ont fait preuve d’une imagination sans borne pour organiser la fête tant attendue ». Alors quand les portes se sont fermées pour la dernière fois, c’est triste mais aussi sereine que Patricia a quitté son école. « Je pars sereine et fière du travail accompli, l’école est en ordre… Même si nous ne savons toujours pas qui sera le prochain directeur ou la prochaine directrice, puisqu’ici c’est un poste à profil. Je donne les clés de chez nous à mon équipe car la directrice doit rester un pair parmi ses pairs, et sa véritable réussite, c’est lorsqu’elle s’éclipse et que la machine continue de tourner malgré vents et marées ! ».

«  Des parents d’élèves ont même demandé à l’inspecteur d’annuler le mouvement »

Pour Nabil Ben Yedder, vendredi 4 juillet c’était aussi la journée des adieux… à son école mais pas à l’Éducation nationale. Directeur de l’école élémentaire Guillaume Apollinaire à Stains (93) depuis huit ans, il part vers de nouvelles aventures à l’école Romain Rolland d’Épinay sur Seine (93). Un changement assez important, il passe d’une école de onze classes à une école qui en compte vingt-trois. Un mini-collège en somme. Son départ est assez mal vécu par enseignants et parents. « Ils le vivent comme une sorte de trahison. C’est difficile au niveau émotionnel. J’ai le sentiment d’abandonner les choses, d’abandonner les gens mais en même temps j’ai envie de découvrir autre chose. C’est donc assez compliqué à vivre ». À l’annonce de son départ, les enseignants n’ont pas vraiment compris son choix. « On est une bonne équipe, ça tourne bien, on rigole, on travaille ensemble. Pour eux mon choix était incompréhensible ». Même incompréhension du côté des parents d’élèves dont certains ont même demandé à l’inspecteur d’annuler le mouvement. « Certains parents voulaient que je reste jusqu’à la fin de la scolarité primaire de leurs enfants alors qu’ils entrent seulement en petite section à la rentrée... ».

« Je sais ce que je perds mais je ne sais pas ce que je gagne »

Pour autant, nulle rancœur, c’est la sensation de perdre un être cher qui a guidé cette première réaction. Après cette première phase difficile comme dans tout deuil, enseignants, parents et élèves lui ont montré leur attachement en lui organisant une grande fête surprise. « Je ne m’attendais pas vraiment à une fête, j’avais prévu d’inviter mes collègues au restaurant, ce que l’on a fait le vendredi midi mais pas à ce que tous les acteurs de l’école s’organisent entre eux pour me faire une surprise ». Surprise assez compliquée à organiser lorsque l’on connait Nabil. Il a fallu user de subterfuges pour le maintenir loin de son école quelques heures. « Je savais que quelque chose s’organisait, mais je pensais que c’était seulement les collègues. Et là, la lumière s’allume et je découvre plus d’une quarantaine de personnes, enseignants, parents, directeurs… ça m’a vraiment ému même si j’ai la larme difficile surtout en public ». Une belle reconnaissance de ceux qui font l’école. « Ce n’est pas simple de quitter une école où l’on est bien, où on se sent à sa place, où on se sent utile et reconnu. Mais j’ai besoin de me challenger, d’aller voir ailleurs ce qui se passe même si je doute de retrouver un jour l’esprit d’équipe que j’ai connu ici. À Guillaume Apollinaire, il y a une vraie complicité entre tous les acteurs de l’école. Nous sommes tous réunis autour d’un objectif commun : faire réussir au mieux tous les enfants. Alors, je sais que dans ma future école, l’équipe est sympa et mobilisée mais comme on dit, je sais ce que je perds mais je ne sais pas ce que je gagne ». Pour autant, Nabil ne regrette pas son choix, son besoin de se renouveler l’emporte sur le reste. Depuis lundi, c’est avec son prédécesseur de Romain Rolland qu’il travaille, « on fait le tuilage en douceur, surtout que je le connais bien ».

Heureuse de quitter le statut précaire

Mélinda était contractuelle depuis trois ans dans l’académie de Créteil. Cette année, elle a passé le concours et a été reçue. « Je n’y croyais pas vraiment. Avec le confinement, j’ai énormément travaillé pour la classe et pas vraiment préparé le CRPE. C’était une bonne surprise ». Ses élèves de CM1 ont eu du mal à lui dire au revoir, « c’est toujours très émouvant de dire au revoir aux gens, mais là, c’est plus dur. Pendant un an, on crée du lien avec les enfants, ils prennent une place importante dans nos vies, on pense à eux souvent. Je me suis beaucoup inquiétée pour eux lors du confinement, plus que pour certains proches. Je savais que leurs conditions de vie étaient très compliquées, alors j’essayais de téléphoner, de faire des défis rigolos pour apporter un peu de légèreté à leur quotidien ». C’est donc le cœur gros qu’elle laisse ses petits élèves, mais heureuse de quitter le statut précaire qu’elle avait. « Dans mon cas, c’est une reconversion. Je travaillais dans un univers terriblement différent de celui-ci. Je gagne au change, même si mon salaire en prend un coup. Mais ça en vaut la peine, le plaisir d’aller travailler le matin n’a pas de prix. Dans ce métier, on crée vraiment du lien, on s’intéresse à l’autre, on partage beaucoup. C’est humainement très riche. Je suis donc très heureuse et fière d’appartenir dorénavant à la grande famille de l’Éducation nationale ».

Alors en ces premiers jours de vacances scolaires, après avoir fermé les portes de l’école, les enseignants soufflent un bon coup. Certains s’envolent vers de nouvelles aventures ailleurs, les autres vers de nouvelles aventures au sein de la même école. Mais en attendant, une chose est sûre, c’est de repos dont ils ont besoin car comme l’a conclu Patricia, « cette rentrée avec le même ministre sera compliquée. J’espère que tous les enseignants seront très vite dans la rue pour dire stop à ses projets de dé-tricotage de l’école publique ! ».
Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 08.07.20

 

Suicide de Christine Renon, crise du Covid-19… des directeurs d’école racontent leur « année noire »
De la mort de leur collègue à Pantin, aux récentes annonces pour améliorer leur quotidien, en passant par la crise sanitaire, les directeurs d’école se disent « épuisés » par l’année scolaire qui s’achève.

[...] Si la crise a stoppé, un temps au moins, les réflexions amorcées sur la fonction de directeur d’école, « elle a aussi constitué un nouveau révélateur de son rôle central dans le système éducatif et de ses difficultés », selon Magali Leclaire, directrice d’une école maternelle de six classes, et secrétaire département du syndicat SE-UNSA de Meurthe-et-Moselle. Car les directeurs ont continué, même à distance, à assurer le lien entre l’administration, les enseignants, les familles et la mairie. Et ont également organisé l’accueil des enfants de soignants.

Ce rôle de pivot auprès de multiples interlocuteurs, ces enseignants l’apprécient beaucoup

Extrait de lemonde.fr du 07.07.20

 

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