> V- ACTEURS (la plupart en EP) > CPE, AED > CPE, AED (Témoignages) > L’accueil à la grille le matin (Journal de bord d’un CPE en Rep+)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

L’accueil à la grille le matin (Journal de bord d’un CPE en Rep+)

14 octobre 2019

JOURNAL DE BORD D’UN CPE EN REP +

Le temps d’accueil du matin est un moment important qu’il ne faut pas négliger. La grille marque la séparation entre deux mondes qui s’interpénètrent entre eux. Il s’agit d’une zone frontière et comme toute zone de ce type, elle est très animée au moment des entrées et des sorties. Passer cette frontière l’adolescent devient un adolescent-élève et il va devoir respecter un certain nombre de règles qui ne s’appliquent pas forcément dans l’autre espace. Ainsi, il nous faut instaurer un rituel afin de « symboliser » au mieux ce passage. Comme le soulignait un article du journal Le Monde qui avait relaté durant plusieurs mois le quotidien d’un établissement d’éducation prioritaire à Clichy-sous-Bois, il s’agit bien « d’un rituel scolaire à part entière ».
Ainsi, nous avons travaillé avec notre équipe d’assistants d’éducation à la manière d’accueillir les élèves. Lorsque je suis arrivé dans cet établissement j’avais remarqué que certains AED « checkaient » des élèves à la grille. Ce geste familier m’apparaissait problématique pour au moins deux raisons. Premièrement il laissait à penser que certains élèves avaient plus de proximité avec les AED ce qui pouvait nuire à la relation éducative. Deuxièmement, il ne mettait pas assez à distance les deux mondes, celui de la rue et celui du collège. Lorsque j’étais assistant d’éducation je me souviens avoir fait à de multiples reprises la grille avec la chef d’établissement qui se faisait un point d’honneur à dire « bonjour » à chaque élève qui la franchissait. Avec notre équipe, nous effectuons donc cette tâche quotidienne et ce « bonjour du matin » marque la considération que nous avons pour les élèves. La symbolisation du passage entre l’adolescent et l’adolescent-élève se fait aussi par le rangement des objets non autorisés comme le téléphone portable, les écouteurs ou par le fait que les élèves doivent ôter tout signe de religiosité. Le carnet de correspondance, objet qui fait la jonction entre les deux mondes, doit être présenté pour pouvoir entrer dans cet « espace scolaire ».

Ce temps d’accueil apparaît être une séquence éducative importante puisqu’il apporte aux élèves un « savoir-être » scolaire en travaillant à la fois sur la politesse mais aussi sur la gestion des retards. Faire comprendre l’importance d’arriver à l’heure à son cours paraît être une évidence mais pour des élèves qui ne maîtrisent pas forcément les codes scolaires ou bien qui sont livrés à eux-mêmes ce travail est nécessaire. Par ailleurs, ce temps d’accueil permet aussi de jauger la « météo scolaire » du matin. Avec l’expérience, il est possible de ressentir l’énervement des élèves. La grille du lundi matin ne sera pas la même que celle du vendredi par exemple. Il est possible d’observer les premières tensions apparues sur le trajet et il n’est pas rare de commencer à régler les premiers conflits à la grille. Ensuite ce temps est aussi un moment de repérage et d’observation. En effet derrière les élèves qui arrivent en retard régulièrement se cachent parfois des situations familiales compliquées. Certains élèves doivent, par exemple, conduire un petit frère et une petite sœur avant d’arriver au collège et il nous faut, par la suite, travailler avec les familles pour trouver des solutions.

Ce temps d’accueil est aussi un temps de rencontres informelles avec certains parents que Pierre Périer dans un ouvrage récent à qualifier de « parents invisibles ». Ce livre est à plus d’un titre essentiel et devrait être lu par tous les personnels de l’éducation nationale, qu’ils travaillent en zone d’éducation prioritaire ou non, afin de lever le voile sur un certain nombre d’idées reçues et de malentendus sur les familles « populaires ». Pierre Périer explique, par exemple, que « le principe du rendez-vous n’est pas toujours inscrit dans les pratiques ordinaires des familles car le quotidien s’organise sans agenda pour rationaliser et planifier un temps émaillé d’imprévus, chaotique, insaisissable » (pp. 125-126). Il ajoute que « la communication par la parole constitue une propriété fondamentale de l’éthos culturel des classes populaires » (p. 128). Je me suis rendu compte moi-même que lorsque je me situe en dehors du collège, sur le parvis, des parents viennent spontanément me parler. Cela peut être pour évoquer une situation, pour demander comment cela se passe avec l’enfant ou bien juste pour discuter. Cette semaine une maman que je connais depuis quelques années est venue dans ce moment informel pour me donner un chronomètre retrouvé dans le cartable de sa fille et appartenant aux professeurs de sport. Elle me dit qu’un élève aurait mis cet objet dans le sac de sa fille et avait peur qu’on l’accuse de vol. Elle me l’a restitué. Si je vois qu’un parent commence à m’évoquer une situation personnelle complexe, j’invite cette personne à me suivre pour terminer l’entretien dans mon bureau. Ce moment d’accueil dans ce « no man’s land » permet de tisser des liens et d’aller à la rencontre de ses « parents invisibles ». Il ne faut donc pas hésiter à sortir de notre zone de confort pour oser passer la frontière et aller à la rencontre de l’Autre afin d’apprendre à se connaître.

Bonne semaine à tous !

Extrait de educateurequitable du 06.10.19->https://educateurequitable.wordpress.com/author/educateurquitable/]

 

Le site Educateur équitable

Voir aussi : Le constat critique d’un CPE en REP+ sur les emplois du temps où l’intérêt des profs prime parfois sur celui des élèves (blog éducateur équitable)

Répondre à cet article