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Un CPE ne devrait pas dire ça : apprenons à écouter nos élèves !
« Des différents échanges que j’ai pu avoir avec eux, il ressort une envie de se confronter à la vie et d’apprendre des choses pratiques qui pourraient donner sens à un savoir théorique » écrit Nicolas Grannec*, poursuivant « mais cette vie démocratique n’existe pas dans les établissements scolaires ». Dans cette chronique « Un CPE ne devrait pas dire ça » le Café pédagogique vous propose de partager quelques instants du quotidien et des réflexions d’un CPE – Conseiller Principal d’Éducation. Dans ce texte, Nicolas Grannec* appelle à faire confiance et faire une place à la parole des élèves.
Lorsque les médias et leurs éditorialistes s’emparent de l’école, c’est pour dénoncer sa décadence supposée et pour énoncer le seul remède qui permettrait de rétablir l’ordre, à savoir l’Autorité. Une autorité avec un grand A qui est vue comme un moyen de contrôle de la jeunesse par la multiplication des évaluations, par la volonté d’imposer l’uniforme, par l’instauration d’un ordre qui écarte et sanctionne ceux qui refusent de se soumettre, par la sélection des meilleurs et l’orientation précoce des plus faibles. Le système néolibéral s’est répandu au cœur même du fonctionnement éducatif. Il ne s’agit donc plus de faire réussir tous les élèves mais de faire en sorte de trier et d’écarter, par la force s’il le faut, les plus en difficultés pour permettre aux autres, les plus privilégiés, d’avoir les meilleures places.
C’est dans cette logique que s’inscrit la volonté de rétablir une figure idéalisée et fantasmée du « surgé », le surveillant général, à la place du conseiller principal d’éducation dont le rôle serait de veiller au respect des règles et de sanctionner ceux qui ne les respectent pas. Cette préconisation vient du Conseil Supérieur des Programmes[1], une instance qui réunit des députés et un certain nombre « d’experts ». Son président a été nommé par l’ancien ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. Cette proposition a fait réagir, d’autant plus qu’elle va à l’encontre de la recherche sur la question des désordres scolaires et de la sanction.
Cette volonté de contrôle et de dressage de la jeunesse au sein des établissements scolaires va de pair avec la mise en place de « forteresses scolaires » censées isoler les élèves des dangers de la société comme le montre Pascal Clerc : « L’école telle que nous la connaissons depuis le XIXe siècle est porteuse d’une pensée de la surveillance et de la séparation. Elle est un espace autre, une hétérotopie pour reprendre le terme de Michel Foucault : un espace dont les règles et les temporalités sont spécifiques, un espace en situation de discontinuité avec son environnement qui peut s’ouvrir ou se fermer selon les moments. Mais les obsessions sécuritaires actuelles amplifient le mouvement et nous éloignent chaque jour un peu plus des utopies pédagogiques émancipatrices des années 1970 ».
Ce qui est troublant dans ce contexte et dans les différents discours sur l’école, c’est qu’il est très peu question des aspirations des jeunes, comme s’ils étaient totalement invisibilisés dans l’espace public et qu’ils n’avaient pas le droit de se faire entendre sur les questions qui les concernent. On part toujours du principe que cette jeunesse n’est pas sérieuse et qu’elle ne mesure pas les enjeux éducatifs. Il faut donc penser pour elle sans prendre la peine, par exemple, d’expliquer comment et pourquoi sont constitués les programmes scolaires. Pourtant comme le fait remarquer avec justesse Yves Reuter dans son livre Comprendre et combattre l’échec scolaire, « La vie démocratique favorise les apprentissages dans la mesure où elle ne donne pas le sentiment au sujet scolaire qu’il est constamment dans un état de soumission et que les apprentissages relèvent simplement de contraintes. Cette question de la gouvernance rejoint ainsi, par d’autres chemins, les réflexions sur les “éducation à” qui, s’emparant des “questions socialement vives”, visent à faire réfléchir les élèves sur des choix de vie et de société, sur le doute, sur l’esprit critique et la prise de décisions ».
Mais cette vie démocratique n’existe pas dans les établissements scolaires. On pourrait m’opposer qu’il y a des élections de délégués, des représentants élèves au conseil d’administration ou d’autres instances, mais cela est-il suffisant pour parler de vie démocratique ? Cela permet-il réellement aux élèves d’expérimenter et d’apprendre à devenir des citoyens ? Pour y parvenir, il faudrait croire en l’intelligence de nos élèves et créer des assemblées d’élèves et d’adultes qui pourraient se saisir des problèmes rencontrés durant l’année et proposer des solutions. On pourrait, par exemple, y aborder la question des violences scolaires ou encore réfléchir avec les élèves sur le port de l’uniforme, etc. L’idée serait de réussir à saisir ce qui serait l’intérêt commun de tous. Ces assemblées permettraient aussi d’entendre les préoccupations des jeunes car comme le souligne Janusz Korczak : « Les jeunes ont leurs propres préoccupations, de toutes sortes, leurs propres soucis, leurs propres larmes et sourires, leurs propres jeunes points de vue et leur propre jeune poésie ».
Les élèves que je rencontre dans le cadre de mon travail de CPE apparaissent soucieux de leur avenir et expriment aussi régulièrement une volonté d’agir sur leur condition scolaire. Ils démontrent des capacités de raisonnement intéressantes dont il faudrait se saisir, en créant les conditions d’une véritable démocratie scolaire. Des différents échanges que j’ai pu avoir avec eux, il ressort une envie de se confronter à la vie et d’apprendre des choses pratiques qui pourraient donner sens à un savoir théorique. Ils veulent, par exemple, apprendre à gérer un budget, apprendre à cuisiner ou encore à bricoler pour disent-ils pouvoir s’en sortir lorsqu’ils se retrouveront seuls. Ils aspirent aussi à sortir des murs du collège, peut-être en réaction à la tendance actuelle de les cloisonner dans l’espace scolaire. Ils veulent aller voir comment fonctionne le monde.
L’apprentissage et l’expérimentation de la démocratie par nos jeunes élèves apparaissent primordiales si nous voulons construire une école permettant à chacun de trouver son propre chemin d’émancipation tout en se préoccupant de l’intérêt général. C’est peut-être ici le sens des propos d’Emmanuel Lévinas, cité par Philippe Meirieu : « C’est pourquoi il nous faut traquer, chacun à notre échelle, tous les interstices possibles, déplisser l’ordinaire pour y dénicher les occasions – toujours extraordinaires- de suturer une blessure ou de rouvrir le champ des possibles. C’est pourquoi il nous faut sans cesse inventer des situations et proposer des médiations aussi riches et stimulantes que possible afin que, selon la belle formule d’Emmanuel Lévinas, chaque être devienne “capable d’un autre destin que le sien” ».
Nicolas Grannec*
*L’auteur écrit sous pseudonyme
Note du QZ : il exerce dans un collège REP+ Rechercher plein texte sur le mot grannec ]