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Redoublement : Une réhabilitation jugée négative par une nouvelle étude (le Café)

5 mars 2019

Redoublement : Une réhabilitation jugée négative par une nouvelle étude

Alors que JM Blanquer a invité les chefs d’établissement à recourir pleinement au redoublement et a publié un nouveau décret en ce sens en 2018, une nouvelle étude belge vient démontrer la nocivité et du redoublement et de la tentative de réhabilitation. Alors que deux articles de Hugues Draelants (Girsef) ont récemment réévalué les effets positifs du redoublement, une nouvelle synthèse dirigée par Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet et Christian Monseur (université catholique de Louvain et Université de Liège) apporte un jugement final sans appel. En dehors de la maternelle, le redoublement est une pratique négative aussi bien au niveau d’un système éducatif que pour les individus. Malgré sa popularité, la décision de le réhabiliter freine le recours à une aide efficace pour les élèves.

Une réévaluation positive du redoublement en 2018

Alors que JM Blanquer a invité les chefs d’établissement à recourir pleinement au redoublement en retirant leur taux des critères d’évaluation des personnels de direction, on pourrait s’étonner que le débat sur le redoublement ait lieu entre Belges. C’est que la communauté française de Belgique tient le record de l’OCDE pour le taux de redoublement avec 46% d’élèves en retard en 2015. Derrière eux on trouve l’Espagne, le Portugal et le Luxembourg (31%) puis les deux autres communautés belges (24% en Flandre) et la France (22%). Ces taux sont très au dessus de la moyenne OCDE (12%). Dans 19 des 34 pays de l’OCDE le taux est inférieur à 10%. Souvent s’agit-il d’ailleurs d’un redoublement conçu différemment de celui que l’on connait.

En 2018, H Draelants, dans un Cahier du Girsef, était revenu sur une question qui semblait tranchée : celle de la nocivité du redoublement. En 2015, dans une remarquable étude, le Cnesco avait fait un point négatif sur le redoublement. " Dans la majorité des études, le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires à long terme", écrivait le Cnesco. "Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d’autres dispositifs de remédiation comme des écoles d’été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises".

Aussi le travail de H Draelants se démarquait nettement. "Dans le monde de la recherche en éducation, l’idée que le redoublement est une pratique globalement négative s’est largement imposée suite à un certain nombre de synthèses, déjà anciennes, de la littérature de recherche américaine sur la question", écrivait-il. "Le ré-examen de cette littérature montre que ses conclusions qui aboutissent à la dénonciation pédagogique du redoublement sont fondées sur des études méthodologiquement fragiles et des méta-analyses qui tendent à occulter les débats au sein de la communauté scientifique sur les effets du redoublement. Par ailleurs, les résultats des recherches plus récentes qui utilisent des méthodologies beaucoup plus sophistiquées montrent que les études antérieures ont sous-estimé les effets positifs du redoublement. Si les résultats des recherches scientifiques actuelles sont nettement plus favorables au redoublement, il reste néanmoins impossible dans l’état actuel des connaissances de départager de manière incontestable le redoublement et le passage automatique de classe", concluait-il. Cette opinion était reprise en France dans une publication réalisée pour la Fcpe, principale association de parents d’élèves. " Il nous semble important d’arrêter de prétendre que la Science détient la vérité sur le sujet et qu’elle plaide de manière unanime pour le passage obligatoire plutôt que pour le redoublement... Le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques", écrivait-il.

Une pratique qui creuse les inégalités

Ce sont ces travaux que la publication de B Galand entend balayer en se basant sur une compilation des travaux connus sur le sujet aussi bien au niveau des systèmes éducatifs qu’à celui des destins personnels.

Au niveau des systèmes, elle établit à partir de Pisa , qu’il y a un lien "négatif assez faible" entre les taux de redoublement et les performances moyennes des systèmes éducatifs. Conclusion : " un système éducatif encourt-il un risque de voir ses performances diminuer, comme on l’entend souvent affirmer par ceux qui agitent le spectre de la baisse de niveau ? La réponse est clairement non. Les exemples sont nombreux de systèmes éducatifs où le redoublement est rare et qui atteignent un excellent niveau de performances dans PIRLS et PISA". Par contre les auteurs observent un lien fort entre la pratique du redoublement et des systèmes éducatifs inégaux socialement. " Le redoublement amplifie les écarts de performances en fonction de l’origine sociale". On sait, le Cnesco l’avait bien montré, que le redoublement concerne davantage les élèves des familles défavorisées, même à performance égale. Ainsi le Cnesco montrait, par exemple, qu’un élève dont le père est au chômage ou travaille à temps partiel a deux fois plus de risque de redoubler qu’un élève dont le père travaille à temps plein. Enfin le redoublement a à voir avec l’appartenance ethnique. En 2003, un élève dont la langue des parents n’était pas le français avait une probabilité de redoubler 79 % plus élevé qu’un élève dont les parents parlent le français.

Le redoublement creuse aussi les inégalités entre écoles. " Aussi bien dans le primaire que dans le secondaire, le niveau de performances d’une école à l’autre varie nettement plus quand les taux de retard sont plus élevés. Si le redoublement ne crée pas les différences entre écoles, il participe d’une logique de séparation ou de tri qui est à l’origine des différences entre écoles... Un recours plus fréquent au redoublement s’accompagne ainsi d’une exacerbation des différences entre écoles et d’une homogénéisation des élèves à l’intérieur des écoles".

Le redoublement inefficace scolairement

Mais l’étude fait surtout le point sur les conséquences individuelles du redoublement. Pour cela elle se base sur des suivis de cohorte utilisant la méthode d’appariement par score de propension, une méthode qui permet de comparer le devenir d ’élèves ayant le maximum de caractéristiques communes dont certains vont redoubler et d’autres non.

L’étude établit des conséquences relatives sur le fonctionnement psychosocial des élèves aussi bien en Belgique, qu’au Québec ou au Luxembourg. " Deux études réalisées sur de jeunes enfants rapportent des évolutions positives sur plusieurs années suite à un redoublement en maternelles... Cependant, en dehors de la maternelle, le redoublement a soit des effets négatifs soit pas d’effets sur le fonctionnement psychosocial. L’effet négatif le plus courant concerne une baisse du concept de soi scolaire dont on sait l’importance pour l’engagement et la persévérance des apprenants".

Les effets sont nettement plus établis sur le risque de décrochage scolaire. " Tous les résultats convergent donc pour souligner que la décision de redoublement, à n’importe quel moment de la scolarité obligatoire, accroît le risque de décrochage scolaire".

Mais l’étude la plus précise concerne les apprentissages scolaires. En se basant sur des travaux américains et européens (dont français), elle montre la nocivité du redoublement. Ainsi les travaux de Troncin (2005) : " Si, en fin de CP, les deux groupes ne diffèrent pas du point de vue des acquis scolaires, il n’en va plus de même un an plus tard. L’effet moyen du redoublement est modérément négatif. En examinant la situation de chaque binôme, l’auteur constate que, dans trois-quarts des cas, les élèves promus obtiennent des résultats finaux supérieurs à ceux des redoublants, alors même que leur niveau initial en fin de première année de scolarisation élémentaire était comparable". Une autre étude, belge, établit "un boost à court terme qui ne se maintient pas" après le CP. Conclusion : " À une exception près, tous ces résultats concluent soit à une absence de bénéfice du redoublement sur les acquis scolaires des élèves à moyen terme, soit à des effets négatifs".

Une fausse solution

Pour les auteurs, une vérité s’impose : si "la promotion automatique n’a pas à elle seule d’effet bénéfique pour les élèves", " le redoublement ne permet généralement pas aux élèves d’acquérir les bases qui les mettront sur une meilleure trajectoire de réussite. Au regard des recherches accumulées depuis plus de 50 ans, l’année recommencée apparait bien comme une année inutile. En outre, des travaux menés dans plusieurs pays indiquent que la décision de redoublement est affectée par des biais sociaux : à résultats scolaires égaux, les élèves issus de familles plus pauvres ou de certaines origines ont moins de chance d’être promus. Finalement, et de manière cohérente avec ce qui précède, les études internationales montrent que les systèmes scolaires qui recourent davantage au redoublement sont socialement moins équitables".

Pour les auteurs, " le redoublement est une fausse solution à un vrai problème. Au regard des connaissances scientifiques, il est selon nous difficile de défendre le recours régulier au redoublement au nom de l’intérêt des élèves concernés. Les résultats passés en revue ne signifient pas qu’une décision de redoublement n’est jamais judicieuse ou justifiée (ils ne portent pas sur des cas individuels), mais ils signifient que le redoublement est habituellement une perte de temps et risque d’avoir des conséquences négatives pour les élèves concernés". Ils demandent que soient mises en place d’autres solutions que le redoublement pour aider les élèves en difficulté.

Mais une pratique plébiscitée

Pourtant JM Blanquer a pris le risque d’inciter à remonter les taux de redoublement. S’il l’a fait c’est qu’il est certain de rencontrer la faveur du public. Car la croyance dans l’efficacité du redoublement est bien installée. Un sondage de l’Apel en 2012 montrait que seulement une minorité de parents (41%) le jugent mauvais ou estiment qu’il n’aide pas (43%). Même son de cloche coté lycéen si on en croit l’étude Cnesco de 2015. Selon cette étude, 69% des lycéens et collégiens se déclarent défavorables à la suppression du redoublement. Mais 80% voient dans le redoublement une seconde chance. 73% le jugent utile. Les redoublants gardent le souvenir positif d’une année d’efforts. " 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement ; 71 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation : « J’ai eu de meilleurs résultats l’année redoublée »", affirme l’étude.

Les enseignants sont aussi favorables au redoublement. Hugues Draelants a montré en 2012 que le redoublement assume des "fonctions latentes". Il en distingue quatre : "une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants". On insistera sur la dernière. Dans un système où les enseignants sont davantage encadrés et soumis à des injonctions hiérarchiques, le redoublement reste un des derniers outils de pouvoir. "L’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être"", écrit H Draelants.

Du coté des parents, le redoublement peut aussi entrer dans les stratégies scolaires familiales des familles favorisées. Par exemple, redoubler une troisième peut être proposé pour éviter une orientation dans la voie professionnelle. En seconde on l’utilisera pour empêcher une orientation dans la voie technologique ou une filière générale non souhaitée.

Comment faire pour s’en passer ?

C’est un des apports les plus intéressants de la conférence Cnesco de 2015 que d’être aller voir comment on faut dans les pays qui ignorent le redoublement. Car dans de nombreux pays le redoublement a disparu et les établissements ont développé des alternatives. Selon le Cnesco, "la quasi-totalité des pays européens offre aux élèves la possibilité de passer des épreuves supplémentaires (écrites et/ou orales selon le pays) en fin d’année scolaire pour rattraper les cours pour lesquels les notes ont été jugées trop faibles par l’équipe enseignante. Ce type d’organisation limite l’incidence d’un "accident de parcours" et corrige le caractère aléatoire de certaines évaluations." D’autres pays , comme l’Allemagne ou l’Espagne, pratiquent la promotion conditionnelle. L’élève passe en classe supérieure mais doit suivre un programme de rattrapage dans la matière où ses résultats sont insuffisants. En Italie, on a créé des écoles d’été pour les élèves ayant de mauvais résultats. Si l’on sort des états européens, le colloque sur l’Asie organisé par le CIEP et la Revue d’éducation de Sèvres, a souligné le cas du Japon. Au Japon tous les jeunes suivent ensemble l’école obligatoire. Chaque classe est divisée en 6 groupes hétérogènes qui réalisent ensemble des travaux variés. Les classes sont délibérément hétérogènes puisque l’école doit représenter le peuple. La tradition scolaire est marquée par des curricula inclusifs et favorisant les apprentissages transdisciplinaires. Ils intègrent le tokkatsu : des "activités spéciales " qui sont transdisciplinaires et visent à développer l’enfant dans sa globalité.

Dans les bonnes pratiques qui permettent d’éviter l’échec et le redoublement , le Cnesco n’hésite pas aussi à citer les classes à effectifs réduits. "Les classes à effectifs réduits peuvent permettre aux enseignants de modifier leur pédagogie en consacrant davantage de temps, d’attention à chaque élève", écrit le Cnesco. "La probabilité d’avoir des élèves perturbateurs dans une classe est également plus faible lorsque le nombre d’élèves est réduit".

Le Cnesco cible encore d’autres outils pour faire baiser le redoublement. Par exemple le looping : garder le même enseignant plusieurs années facilite l’intégration de tous les élèves et améliore la gestion de la différence dans la classe. L’organisation des programmes en cycles, et non sur une base annuelle, fait également reculer le redoublement.

Pourquoi il ne fallait pas "rétablir" le redoublement

L’étude de B Galand pointe le risque qu’il y a à maintenir le redoublement et, dans le cas français, à l’encourager. " Les travaux sur les architectures de choix montrent que l’option par défaut devient souvent l’option privilégiée, au détriment d’autres pistes d’action. On peut donc craindre que le recours systémique massif au redoublement fasse obstacle à la mise en place d’autres pratiques pédagogiques". Dans la cas français, sa réhabilitation par JM Blanquer apparait comme un frein à une prise en compte réelle des difficultés des élèves. Ce n’est pas avec "devoirs faits" que celles ci sont davantage reconnues et prises en compte. Dans ce domaine là, comme dans d’autres, ce sont au final les élèves qui paient le prix du populisme éducatif.
François Jarraud

L’étude de B Galand et alia
Etude Draelants Girsef
Draelants pour la Fcpe
Que sait-on du redoublement ?
Conférence du Cnesco 2015
Le décret sur le redoublement au JO 2018

Extrait de cafepedagogique.net du 04.02.19 : Redoublement : Une réhabilitation jugée négative par une nouvelle étude

 

Sur le site OZP,
voir le mot-clé Redoublement et Prépa Seconde (gr 5)/

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