Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Claire Ridel : Réviser le brevet en réseau
Un réseau social peut-il devenir un espace d’apprentissage et même de préparation à un examen ? C’est le pari d’un projet lancé par Claire Ridel au collège [REP] Henri Matisse à Grand-Couronne (76) et mené en collaboration avec plusieurs professeures de français de l’académie de Rouen.
L’idée est simple : via le réseau Twitter, en utilisant le hashtag #TwittDNB, plusieurs classes de 3ème échangent régulièrement sur des notions vues en cours. Un système de flashcards est aussi utilisé pour regrouper les tweets et réviser plus efficacement. Le profit semble grand : pour les élèves, qui fixent mieux les connaissances en les partageant, qui travaillent simultanément à un bon usage de la langue et d’internet ; pour les enseignantes elles-mêmes, qui échangent sur leurs pratiques et mutualisent leurs ressources. Et Claire Ridel lance l’appel : « nous souhaitons désormais un élargissement vers les autres académies, avec de nouveaux participants. #TwittDNB est une initiative normande, mais elle ne demande qu’à s’étendre ! »
En quoi consiste votre projet #TwittDNB ?
Cette action vise un travail entre des établissements de l’académie de Rouen. Via le réseau social numérique Twitter, plusieurs classes de 3èmes échangent sur des notions vues en cours de français. L’an passé, nous avions décidé de tweeter toutes les semaines ou tous les quinze jours, mais cette année, le rythme sera plutôt mensuel pour certains d’entre nous. Le projet se mène en plusieurs étapes. Tout d’abord, une phase de sensibilisation aux réseaux sociaux, afin que les élèves puissent tweeter en toute connaissance, en créant le compte, en écrivant des règles de bonne conduite sur le réseau. Ensuite, ils tweetent de façon anonyme sur les notions vues en cours de français, à partir du compte-classe. L’an passé, ils ont surtout posé des questions à leurs abonnés, et leur ont répondu. Les questions sont répertoriées à l’aide de mots-clés selon le contenu du message. Enfin, au dernier trimestre, l’ensemble de ces questions/réponses est transformé en cartes de révision numériques, pour permettre aux troisièmes de réviser l’épreuve du DNB de français de façon nomade et connectée.
Un tel projet amène aussi les enseignant.es à travailler en réseau : comment fonctionne cette collaboration ? Quels vous en semblent les intérêts ?
Pour travailler en réseau, il a fallu dans un premier temps trouver des partenaires ! Le choix le plus évident était d’impliquer mon binôme Laurence Bot, qui anime avec moi le site des Lettres de Matisse. Dans un second temps, j’ai sollicité des collègues de lettres qui avaient participé à un stage que j’animais au PAF sur la littérature et les réseaux sociaux. Mais les professeurs intéressés n’avaient pas de classe de troisième l’année suivante pour intégrer le projet. Je me suis alors tournée vers les membres du pôle de compétences numérique de Lettres de Rouen. Notre IAN Blandine Bihorel, Ophélie Jomat du collège des Acacias au Havre et Carine Lemarié de Gisors ont rejoint l’action. Enfin, ma collègue Isabelle Guerrin, du collège Pasteur de Petit-Couronne, a accepté de faire équipe avec nous. Nous échangeons sur Twitter, via mail, et utilisons des documents collaboratifs. Le site des Lettres de Matisse ainsi que le site académique de Lettres de Rouen regroupent des articles, des progressions, et le descriptif de l’action. J’ai mis à la disposition des enseignantes des documents, en particulier pour lancer l’action en début d’année et travailler un peu l’EMI, Ophélie Jomat a aussi partagé des travaux. L’intérêt de travailler ensemble réside dans l’échange de points de vue, d’idées, de pratiques. Par exemple, nous avons cherché ensemble comment favoriser davantage la mémorisation à partir de tweets, et nous avons transigé sur la solution de flashcards sur Anki, qui est installable par plusieurs supports. Le travail en réseau est intéressant pour nous, mais aussi pour nos élèves, pour repousser les murs de la classe, collaborer, échanger et ménager des temps de révision ritualisés et communs.
Pourquoi vous a-t-il semblé utile d’imaginer un tel dispositif de révision pour les élèves ?
J’ai constaté la volatilité des connaissances si elles ne sont pas réactivées. Même si les enseignants répètent à longueur d’année qu’il faut réviser régulièrement les leçons, surtout lorsque le cycle est sanctionné par un examen final, bien peu de collégiens le font, et beaucoup se trouvent en difficulté le jour J. Donc, j’ai aménagé ce temps de révision pour accompagner la mémorisation en revenant sur les apprentissages en français d’une période donnée.
En pratique, comment amenez-vous vos élèves à tweeter ?
Dans mon établissement, nous utilisons les heures d’Accompagnement Personnalisé pendant lesquelles la classe est en demi-groupe. C’est plus difficile quand la classe n’est pas dédoublée, mais loin d’être infaisable. Par ailleurs, l’an passé, Ophélie Jomat, Laurence Bot et moi avons aussi collaboré avec nos collègues professeurs-documentalistes. Nous avons commencé par utiliser les tablettes du CDI, mais avons terminé l’année avec les ordinateurs.
Le hashtag que nous utilisons dans tous les messages est #TwittDNB, qui est complété par une indication sur le contenu du tweet : #lecture, #grammaire, #orthographe, #conjugaison, #vocabulaire, et #HDA, qui fera son entrée cette année. Les élèves rédigent leur message sur Twitter, mais ne le postent qu’une fois relu et validé par leur professeur. Cela permet de travailler sur la validité de l’information, son intérêt, et la formulation. D’autres collègues appliquent une autre méthode : par exemple, Isabelle Guerrin utilise un document d’écriture collaborative pour faire rédiger ses élèves dans un premier temps, puis elle vérifie les écrits avant de valider leur copier-coller sur le réseau. C’est plus facile pour elle de s’organiser de cette façon car son groupe n’est pas dédoublé.
Dans notre équipe de travail, nous nous sommes posé la question de l’harmonisation des progressions. Au final, nous n’avons pas retenu l’idée. Si les abonnés ne savent pas répondre aux questions, alors c’est l’occasion de chercher des informations dans les manuels ou le classeur de notions. La seule progression co-élaborée est celle que je partage avec Laurence Bot.
Pouvez-vous donner des exemples de tweets publiés dans ce cadre ?
En orthographe, les élèves ont proposé des questions sur les homophones, ou des exercices de réécriture pour s’entraîner plus particulièrement à cette question du DNB. En lecture, les questions étaient davantage tournées vers l’histoire littéraire, le contenu des œuvres étudiées en cours, les auteurs. La grammaire a d’abord été abordée par de simples demandes de définitions, puis, en cours d’année, des exercices d’identification et de manipulation sont apparus. Enfin, en vocabulaire, le domaine était vaste, allant de questions portant sur les champs lexicaux, la synonymie, les familles de mots, jusqu’au vocabulaire spécifique de l’analyse de texte.
Pouvez-vous expliquer le système de « flashcards » que vous utilisez aussi ?
Au début du projet, je n’avais pas songé à utiliser des flashcards. C’est une de mes élèves qui m’a demandé comment nous allions faire pour regrouper les tweets afin de réviser plus efficacement. Plusieurs élèves, aussi que le groupe de travail des professeurs ont envisagé des solutions, dont la création de tableaux virtuels sur Padlet, pour finalement s’arrêter sur l’idée des flashcards, c’est-à-dire des cartes de mémorisation qui fonctionnent sur le principe du question-réponse. Nous avons utilisé le site Enseigner avec le numérique de la DANE de Rouen pour trouver une solution technique, et notre choix s’est arrêté sur une application gratuite, multi-supports et surtout avec mutualisation des productions. Les tweets ont été regroupés par mots-clés, pour faire des paquets de cartes numériques, créés par les classes. Une face de la carte pose une question, l’élève y répond mentalement, puis s’auto-évalue. S’il a répondu facilement et sans faute, la carte sera proposée moins souvent lors des révisions que s’il n’a pas su répondre : l’application ressortira la carte du paquet tant qu’il n’aura pas mémorisé la réponse. Cela permet à l’élève d’être actif, d’avoir du recul sur sa maîtrise des contenus, et d’utiliser un support numérique, qu’il s’agisse d’une tablette, un PC ou un téléphone.
Certains vous reprocheraient d’inciter les élèves à aller sur les réseaux sociaux au lieu de se concentrer sur le travail scolaire : quel vous semble l’intérêt de tels partages en ligne ?
Le travail scolaire peut aussi passer par l’utilisation raisonné et raisonnable d’un réseau social, tant que le contenu est pédagogique et publié sous le contrôle d’un adulte. Inévitablement, les adolescents sont attirés par les réseaux. Au lieu de décrier ces derniers, on peut accompagner leur découverte, apprendre à les utiliser en responsabilisant les élèves et en leur expliquant les codes, en donnant les clés pour une utilisation qui esquive dangers et écueils. Par ailleurs, le temps passé sur Twitter n’est pas important dans le dispositif, cela représente une dizaine d’heures dans l’année. Enfin, partager en ligne, que ce soit sur les réseaux sociaux, l’ENT, ou le site d’établissement, permet de développer des compétences importantes.
Précisément, par-delà les connaissances elles-mêmes, quelles compétences le dispositif permet-il aux élèves de travailler ?
L’enjeu de la publication en ligne oblige à travailler sur la correction de la langue, à chercher un contenu digne d’intérêt, à formuler des informations de façon claire. #TwittDNB permet non seulement de réviser, mais de travailler sur les compétences du socle dans les domaines 1, 2 et 3, aussi en bien en français que dans l’Education aux Médias et à l’Information.
Le projet #TwittDNB a d’ores et déjà une année d’existence : quel bilan tirez-vous de cette première année ? quelles perspectives lui voyez-vous ?
Le bilan est positif, dans un premier temps pour l’équipe des professeurs, qui peuvent échanger sur leurs pratiques et mutualiser des ressources, des savoir-faire. Par ailleurs, cela nous a permis de donner aux troisièmes certaines clés d’utilisation du réseau, pour en déjouer les difficultés et les pièges, et, espérons, rendre les élèves responsables de leurs publications en ligne. Enfin, l’objectif prioritaire est pleinement atteint, à savoir obliger à un retour systématique sur les apprentissages à plusieurs moments de l’année. Les élèves vont même parfois piocher dans les leçons des années précédentes pour alimenter les tweets. Nous réfléchissons en ce moment avec Ophélie Jomat à intégrer une dimension orale au projet. #TwittDNB reprend, et nous avons changé quelques éléments après avoir fait le bilan de la première année, notamment en terme de périodicité. Le développement que nous souhaitons désormais serait un élargissement vers les autres académies, avec de nouveaux participants. #TwittDNB est certes une initiative normande, mais elle ne demande qu’à s’étendre !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Sur le site académique Lettres de Rouen
Le site « Enseigner avec le numérique » de la DANE de Rouen
Extrait de cafepedagogique.net du 26.11.18 : Claire Ridel : Réviser le brevet en réseau