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Éduquer à l’empathie : « la clé d’un bon climat scolaire »
L’école peut-elle apprendre l’empathie aux élèves ? Pour Bertrand Jarry, CPE, les profs ont tout intérêt à tenir compte des émotions de leurs élèves - pour améliorer le climat scolaire et les apprentissages.
Bertrand Jarry, CPE et formateur dans l’académie de Versailles, a co-écrit avec le sociologue Omar Zanna, "Cultiver l’empathie à l’école" , dans lequel il expose des actions concrètes pour permettre aux enseignants de mettre en place une relation pédagogique bienveillante. Il revient avec nous sur le projet de recherche-action qu’il accompagne depuis 2014 à l’école élémentaire Henri Wallon, et dont le but est d’éduquer les élèves à l’empathie afin d’agir sur le climat scolaire.
Comment est né le projet « Apprendre à vivre ensemble en classe » ?
Conseiller principal d’éducation au collège REP+ Youri Gagarine de Trappes pendant plus de 10 ans, j’ai été confronté à des phénomènes de violences scolaires et d’incivilités, qui m’ont amené à réfléchir sur les enjeux entourant la question de l’empathie. Comme beaucoup de CPE, j’ai mis en place, avec mon équipe pédagogique, des programmes destinés à prévenir les violences scolaires.
Durant cette période de questionnement, j’ai rencontré Omar Zanna, sociologue, qui menait à l’origine des recherches sur la restauration de l’empathie chez les mineurs délinquants. Il m’a ouvert les yeux sur l’importance de la responsabilité morale. Dans nos programmes de prévention scolaire, nous nous étions focalisés sur la responsabilité juridique – le rappel à la loi, et le fait de faire connaître la loi aux élèves… mais nous avions oublié de travailler avec les élèves sur la question de la responsabilité morale : je n’agresse pas mon camarade parce que la loi me l’interdit, mais parce que je reconnais l’autre comme mon alter ego.
Avec Omar Zanna, nous avons alors réfléchi à une éducation à l’empathie, auprès des élèves, en milieu scolaire. Nous avons monté ensemble un projet de recherche-action, destiné à favoriser les interactions entre élèves pour développer leurs compétences relationnelles, apaiser les ambiances de classes, et travailler sur le vivre ensemble.
Après une formation-action de deux ans, des enseignants de l’école élémentaire Henri Wallon de Trappes, qui fait partie de notre réseau REP+, se sont intéressés au sujet : notre projet a alors trouvé un écho dans le premier degré, menant à un programme d’éducation à l’empathie à l’école primaire, afin de prévenir la violence et le harcèlement.
Pourquoi éduquer à l’empathie à l’école permet-il d’agir sur le climat scolaire ?
L’empathie, c’est la capacité à se mettre à la place d’autrui sans s’y confondre. A partir du moment où l’on crée les conditions pour que les élèves, mais aussi l’enseignant, puissent imaginer l’autre comme une version possible de soi, ces derniers auront plus de difficultés à s’agresser les uns les autres. L’autre n’étant plus un étranger, mais pouvant être imaginé comme un prolongement de soi, c’est la solidarité entre jeunes qui s’en retrouve renforcée. A terme, le harcèlement scolaire, dont la source est un manque d’empathie, est ainsi contré, puisque désormais, le harceleur peut se mettre à la place du harcelé. Les conflits entre élèves sont toujours là, mais ils se solutionnent beaucoup plus vite, car chacun dit beaucoup plus facilement ce qu’il a sur le cœur.
L’empathie peut aussi permettre à l’élève de réussir en classe…
Lors de notre projet, nous nous sommes peu à peu attachés aux pratiques de classe… et finalement à la pédagogie elle-même, en pensant les postures enseignantes comme un vecteur de réussite des élèves. Car la capacité d’empathie est nécessaire pour pouvoir travailler en groupe, en coopération, et développer des compétences déterminantes pour l’enfant, notamment relationnelles et sociales.
L’empathie est intimement reliée au corps et aux émotions ; or aujourd’hui, à l’école, cette question du corps et des émotions est encore trop peu prise en compte. On pense la scolarité comme une pure abstraction cognitive. A partir du CP, on met à distance les élèves de leur propre corps et de leurs émotions, qui sont pensés comme des obstacles à l’apprentissage. Jusqu’aux récents programmes de maternelle, les émotions en milieu scolaire étaient laissées à la porte de la classe, car elles venaient perturber l’acte d’apprentissage.
Et aujourd’hui, tandis qu’en maternelle, les compétences sociales sont très travaillées, à partir du CP, “les choses sérieuses commencent”. On effectue des tâches purement cognitives, et on ne bouge plus de sa chaise. Or, nous savons, notamment grâce aux neurosciences, que les apprentissages sont meilleurs quand ils se font par un passage corporel ou sur un fond d’émotionnel.
En s’intéressant à l’empathie avec les enseignants, on en vient à s’interroger avec eux sur leurs pratiques pédagogiques – par exemple, si l’on envoie un collégien au tableau, vérifie-t-on s’il connaît sa leçon, ou sa capacité à la restituer dans des conditions où l’exposition de soi est telle que pour un ado, les émotions prennent le dessus ? L’idée est donc pour les profs de prendre en compte les émotions de leurs élèves.
Des didacticiens, comme Yves Reuter, ont montré que le rapport aux disciplines est d’abord émotionnel. A partir du moment où les émotions sont prises en compte en classe, la qualité des apprentissages est donc impactée – en ce qui concerne l’exposition de soi, mais aussi la mémorisation. Les élèves ont moins de réticences à aller au tableau, sont plus motivés à apprendre leurs leçons, à se mettre rapidement au travail, ou à prendre des initiatives.
Comment l’éducation à l’empathie s’est-elle traduite, concrètement, à l’école Henri Wallon ?
Ecole élémentaire Henri Wallon : éducation à l’empathie / Une récitation à plusieurs voix / Jean-Luc Gaffard et Hugues Philippart / Dane de Versailles
Ecole élémentaire Henri Wallon : éducation à l’empathie / Une récitation à plusieurs voix / Extrait d’une vidéo de JL Gaffard et Hugues Philippart / Dane de Versailles
L’idée que nous avions, était de créer les conditions pédagogiques de la mise scène collective des émotions partagées, afin de mettre les élèves en situation d’empathie émotionnelle.
Nous avons ainsi mis en place, dans le cadre des heures de vie de classe, plusieurs actions, qui respectaient 4 conditions permettant de solliciter l’empathie émotionnelle : le travail collectif, l’observation mutuelle, l’inversion des rôles, et la verbalisation des ressentis. A partir de ces piliers, nous avons développé des outils, tels que des jeux dansés, des temps de relaxation et de conscientisation, ou du théâtre forum.
Le jeu le plus parlant est celui des “mousquetaires” – qui consiste à faire jouer ensemble plusieurs équipes de 4 élèves, qui ont une position à tenir et qui sont amenés à s’observer mutuellement et à être attentifs aux autres, afin de gagner. En faisant attention aux mimiques, aux expressions du visage et aux cris de leurs camarades, les enfants partagent des sensations, et entrent en situation d’empathie.
Nous avons aussi, par exemple, revu en classe le rituel du passage au tableau : la récitation d’une poésie n’est plus individuelle, mais à plusieurs voix. Les élèves sont invités à venir au tableau par groupe de trois, en arc de cercle : l’un d’eux commence à réciter et s’il se sent en difficulté, il passe le relais à l’un de ses camarades. Chacun est ainsi attentif à la difficulté de l’autre. Ainsi sont favorisées les conditions de l’entraide et de l’empathie. Enfin, les élèves peuvent coucher sur leur cahier leurs états d’âme, ou verbaliser leurs émotions chaque matin en arrivant, lors d’une “météo” des émotions.
La pédagogie et la posture de l’enseignant sont-elles ainsi transformées ?
Le professeur continue à faire ce qu’il a toujours fait, mais il repense ses pratiques. Il revoit rapidement l’espace classe (en aménageant par exemple des îlots), développe des dispositifs pour réguler ses émotions (comme la météo des émotions), change sa façon d’évaluer, met en place une pédagogie coopérative… Et finalement, l’empathie de l’enseignant envers ses élèves se développe aussi : il n’est plus déconnecté de sa classe, il en fait pleinement partie. Il va aussi se mettre à travailler davantage avec ses propres collègues.
Plus on formera tôt les profs à avoir conscience des enjeux liés aux émotions en classe, et plus ils pourront être près de leurs élèves et leur transmettre plus efficacement des savoirs. L’empathie en classe est un sujet actuellement absent de la formation initiale et continue des enseignants, et il est urgent de l’y intégrer.
Extrait de vousnousils.fr du 14 .05.18 : Éduquer à l’empathie : « la clé d’un bon climat scolaire »