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Extraits du « Figaro », du 20.12.06 : Une étude inquiétante sur la délinquance
Une étude de l’Observatoire national de la délinquance éclaire les zones d’ombre des statistiques. Si les quartiers sensibles s’enfoncent dans la délinquance, ailleurs en France, le sentiment d’insécurité diminue.
L’an dernier, 210 000 personnes de 14 ans et plus, soit plus de 500 personnes par jour en moyenne, qui déclarent avoir subi des injures, des menaces ou des violences ne les ont pas signalées « par peur des représailles ». Plus d’un quart d’entre eux, soit 55 000 personnes, déclarent pourtant avoir subi d’authentiques agressions physiques. La dernière enquête de l’Observatoire national de la délinquance (OND) réalisée avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) jette la lumière sur un phénomène maintes fois évoqué mais jamais quantifié.
L’affaire Halimi, du nom de ce jeune juif torturé à mort au début de l’année par Youssof Fofana et sa bande à Bagneux (Hauts-de-Seine), avait révélé à quel point la loi du plus fort peut réduire au silence toute une cité. La « peur » qui étreint les victimes est souvent plus forte que leur confiance dans les institutions ou les acteurs sociaux. Elle est le fruit d’une tyrannie discrète qui s’exerce aussi bien dans le cercle familial que dans la cage d’escalier ou à l’école. L’étude de l’OND (dite de victimation) révèle d’ailleurs que le climat social en France se tend : la seule part des menaces et injures atteint plus de 2,7 millions de faits en 2005. Quant aux victimes d’un passage à l’acte, elles sont, à en croire les estimations des chercheurs, deux fois plus importantes que le chiffre des plaintes transmises à la justice par la police et la gendarmerie : 832 000 pour 432 000 actes officiellement signalés et communiqués aux parquets.
Et pourtant, l’OND est formel : globalement, le sentiment d’insécurité s’estompe. Ce que révélait déjà un sondage réalisé récemment à Paris (nos éditions du 26 octobre 2006). La part des personnes se sentant « souvent » ou « de temps en temps » en insécurité à leur domicile est ainsi passée de 15,6 % à 14,2 % entre 2004 et 2005. Même tendance dans le quartier où le phénomène a diminué, de 9,4 % à 8,4 %. « C’est un résultat d’autant plus significatif que dans le même temps, on a collecté bien plus de faits grâce à des questions plus précises », assure le criminologue Alain Bauer, président de l’OND.
L’écoute accordée aux victimes
Seulement voilà : alors que partout en France la situation s’améliore, dans les Zones urbaines sensibles (ZUS) la reconquête des territoires se fait plus hasardeuse. Un habitant sur trois dans ces zones se sent « souvent » ou « de temps en temps » en insécurité. Et 15 % s’y sentent « régulièrement » en insécurité à leur domicile. En outre, la moitié des habitants des ZUS considère que l’insécurité représente le principal problème de leur quartier. Les indicateurs pour ces zones sont à « leur niveau le plus élevé », constate ainsi Cyril Rizk, responsable des statistiques à l’OND.
Pour Bauer, ces chiffres reflètent finalement assez bien la spécificité du système sécuritaire français, « de plus en plus efficace dans les centres-villes et les zones rurales ». Mais lorsqu’il s’agit des zones sensibles, les habitants, soumis à la concentration des difficultés, souffrent paradoxalement d’un « état de sous-administration ». Il est à cet égard assez symptomatique qu’à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), là où ont démarré les émeutes de 2005, la ville ne dispose d’aucun commissariat, même si le ministère de l’Intérieur s’est engagé à en construire un rapidement. Selon l’OND, contrairement au discours ambiant, la police est la bienvenue dans les cités. Et si elle peut agacer quand elle verbalise sur la route, elle bénéficie d’un fort indice de satisfaction dans l’opinion, notamment quand il s’agit d’accueillir des personnes en souffrance : 8 victimes d’agression sur 10 disent avoir apprécié le temps et l’écoute qui leur a été accordés dans un commissariat ou une gendarmerie.
Jean-Marc Leclerc
Extraits du « Monde », du 21.12.06 : Le sentiment d’insécurité baisse malgré les émeutes de 2005
Les émeutes de 2005 n’y ont rien changé : l’enquête de victimation, conduite auprès de 25 000 personnes par l’Observatoire national de la délinquance (OND), en janvier et février 2006, et dévoilée mardi 19 décembre, confirme le recul du sentiment d’insécurité. En revanche, le nombre d’atteintes aux biens et aux personnes signalées reste très élevé, bien au-delà des statistiques des faits recensés par la police et la gendarmerie.
Les atteintes aux personnes. En 2005, 7,8 % des personnes de 14 ans et plus (832 000 individus, contre 864 000 en 2004) déclarent avoir subi une ou plusieurs agressions, physiques ou verbales. "Sur 3,8 millions de victimes, 72,3 % déclarent que l’agression la plus récente était de type injures ou menaces", note l’OND. Le nombre de victimes de violences physiques s’établit à 613 000 et à 219 000 pour les vols avec violences.
L’indicateur des atteintes aux personnes indiquait 411 350 faits en 2005. Le taux d’agression est le plus fort (11,2 %) chez les 14-19 ans et les 20-29 ans. La majorité d’entre elles a lieu dans les lieux publics. Près de six fois sur dix, une victime de violences physiques connaît son agresseur. Plus de trois fois sur quatre, cela débouche sur une plainte.
Atteintes aux biens. Près de 9 millions d’atteintes aux biens ont été déclarées pour 2005 (contre 9,3 en 2004), dont 5,5 millions d’actes de destruction et de dégradation et 3,5 millions de vols et tentatives. L’OND note que, dans la majorité des cas, les ménages victimes ne déposent pas plainte.
"C’est la gravité du préjudice qui explique souvent l’absence de déclaration", souligne l’Observatoire. Une tentative de vol de vélo, par exemple, entraîne rarement le dépôt d’une plainte. Près d’un tiers des atteintes subies en 2005 sont des actes de vandalisme contre la voiture, qui ont touché près de 8 % des ménages. Un sur six est suivi d’une plainte.
Le nombre de vols est en baisse de 6 %, surtout grâce à la baisse de 13 % des vols de voiture. "On a constaté que les voitures sont de plus en plus sûres et difficiles à voler, souligne Cyril Risk, responsable des statistiques à l’OND. Elles deviennent moins attractives que les téléphones portables", pour lesquels l’enquête dénombre 725 000 vols et 170 000 tentatives en 2005.
Sentiment d’insécurité. La part de personnes à qui "il arrive de se sentir en insécurité à son domicile, souvent ou de temps en temps" a baissé de 9,4 %, en 2005, à 8,4 %, début 2006. 18,4 % des personnes disent éprouver un sentiment d’insécurité dans leur quartier contre 20 % un an plus tôt. La baisse globale de cet indicateur, malgré les violences urbaines, doit être nuancée : la délinquance est le problème que les habitants des zones urbaines sensibles citent en premier. Près de 30 % d’entre eux déclarent se sentir souvent ou de temps en temps en insécurité ; plus de 57 % estiment leur quartier concerné "par la délinquance, les incivilités" contre 28 % pour l’ensemble. Ailleurs, l’insécurité n’est que la deuxième préoccupation après les dangers de la circulation.
Piotr Smolar