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NFP : les axes forts [la mixité sociale] et les angles morts [les savoirs scolaires] (Jean-Pierre Véran sur son blog Mediapart)

9 septembre 2024

École et NFP : axes forts et angle mort
Le discours du NFP sur l’École propose de rompre avec les politiques menées jusqu’ici, mais ne met pas en cause la politique des savoirs, qui est pourtant au coeur des inégalités scolaires.

Jean-Pierre Veran
formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Dans le débat public, les interventions récentes de Yannick Trigance, secrétaire national école, collège, lycée au PS (tribune dans Libération hier[1]) et Lucie Castets (présentant hier en Seine Saint Denis le projet éducatif du NFP[2]) permettent de mesurer les axes forts de la politique éducative proposée par le NFP et d’en percevoir aussi l’angle mort.

Lorsque Yannik Trignace plaide pour « défendre la mixité sociale et scolaire pour que la République ait encore un sens », il met le doigt sur une question politique forte. Il suffit de se souvenir qu’évoquer cette question, fût-ce dans des termes on ne peut plus prudents et limités, valut sa non reconduction à son poste du Ministre Pap N’dyaye, pour mesurer combien la mixité sociale et scolaire est honnie par le Président de la République et sa majorité, comme par toute la droite, qui défend par principe les privilèges, et considère que l’entre-soi éducatif, scolaire et universitaire sont un principe sur lequel il ne faut pas céder, conforme en fait à la "méritocratie" abusivement qualifiée de "républicaine". Il n’est pas sûr, au demeurant, que, parmi celles et ceux qui se réclament du camp du progrès et votent gauche, il n’y ait pas des personnes attachées à cette recherche de la bonne école, du collège chic, du lycée d’excellence, pour garantir le succès scolaire de leurs enfants, et, par conséquent, peu désireuses de voir se réduire les écarts de composition sociale entre privé sous contrat et public, mais aussi au sein de l’enseignement public. Il est donc courageux de ne rien céder sur la nécessité de rompre avec une école profondément inégalitaire, injuste avec les plus faibles économiquement, socialement et culturellement si l’on veut, en effet, ne pas voir se dissoudre le contrat républicain.

Il l’est également de tenir ferme sur la nécessité, quelles que soient les « contraintes budgétaires » brandies à droite pour justifier à l’école des effectifs d’élèves dépassant largement la moyenne européenne, le recrutement à la va-vite et sans formation véritable de contractuels enseignants pour palier une crise continue de recrutement d’enseignants titulaires faute d’attractivité du métier, de s’attacher à améliorer significativement les conditions d’apprentissage des élèves et d’enseignement des professeurs et de recruter plus de personnels dans toutes les catégories qui concourent à l’action éducative en les rétribuant mieux.

Il est aussi appréciable de s’engager à « changer de méthode », comme le fait Lucie Castets, en « travaillant avec la communauté éducative et les syndicats », en rompant avec « le prisme budgétaire » et en privilégiant « les besoins réels » en « associant les parties prenantes et le terrain » à qui il faut « redonner de marges de manœuvre éducative ». On a assez pourfendu dans ce blog une politique de verticalité autoritaire pour se réjouir de cette résolution. Qui ne partagerait le souhait de « redonner du sens et de la valeur au métier d’enseignant » ?

Mais il est une question, parfaitement liée au caractère injuste, inégalitaire de l’organisation et du fonctionnement de l’école, qui n’est absolument évoquée par les représentants du NFP.

Peut-on croire qu’il suffit de réaliser la mixité sociale à l’école pour que l’inégalité face aux savoirs scolaires disparaisse ? Bernard Lahire et ses travaux[3] nous ont amplement renseignés sur l’effet des « enfances de classe » sur le parcours scolaire des enfants. Imaginer que les enfants sont égaux par rapport aux savoirs que l’école enseigne et à ceux qu’elle n’enseigne pas, c’est partir de l’idée que les programmes scolaires sont marqués du sceau de l’objectivité scientifique alors qu’ils sont le fruit de choix historiques anciens, confirmés au fil du temps pour la bonne et simple raison qu’ils permettent, en toute « innocence », de faire réussir les enfants de milieux socialement et culturellement favorisés et d’écarter les autres, dès le collège, de la voie royale des études générales.

N’y aurait-il pas là, pour la gauche, un combat à mener, afin que le débat éducatif national porte d’abord sur les finalités de l’école et, en fonction des finalités retenues, sur les savoirs à enseigner à toutes et à tous ? Selon que l’on vise à préparer à entrer dans une société du "chacun pour soi et que meilleur gagne" ou une société de coopération solidaire avec l’ensemble de l’humanité et du vivant, les choix d’enseignement seront différents. Ces choix ne peuvent être encore et toujours confiés aux mêmes, à l’abri du regard et de l’intervention des citoyennes et citoyens. Passer cette question sous silence, ce serait autoriser la politique des savoirs de la droite continuer à sévir en silence contre les enfants des milieux populaires, même sous un gouvernement de gauche. Et donc, s’empêcher de réussir la transformation démocratique de notre École.


[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/defendre-la-mixite-sociale-et-scolaire-pour-que-la-republique-ait-encore-un-sens-20240901_6VS6P522MJCMHKMGQ6WPYM33UE/

[2] https://cafepedagogique.net/2024/09/03/lucie-castets-la-politique-de-macron-en-matiere-educative-est-un-echec/?utm_medium=email&utm_source=Expresso&utm_campaign=Lexpresso_03-09-2024

[3] Bernard Lahire (dir) Enfances de classe De l’inégalité parmi les enfants, Seuil, 2019

Extrait de blogs.mediapart.fr du 03.09.24

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