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Parcoursup au service de l’égalité des chances ? (Entretien du Café avec Agnès van Zanten)

4 septembre 2020

Agnès van Zanten : Parcoursup au service de l’égalité des chances ?
Le système éducatif français connait il une révolution libérale depuis 2017 ? L’étude publiée par Leila Frouillou, Clément Pin et Agnès van Zanten, dans "L’Année sociologique" N°2020/2, montre la montée de la "logique marchande" dans l’orientation des lycéens. Dans libéral il y a "liberté". Comme l’explique A van Zanten dans cet entretien, Parcoursup fait miroiter aux jeunes la possibilité d’une grande ouverture des possibles et la prise en compte de leurs personnalité. En apparence avec Parcoursup et ses lettres de motivation, tout est possible pour tous. En fait la plateforme introduit une logique marchande dans le système éducatif. Les meilleures filières vont aux meilleurs candidats, c’est à dire ceux qui entrent dans les algorithmes d’un tri qui n’a rien de social. Depuis 2017, le "Vae Victis" des mal partis dans la vie est la règle.

Basée sur des données recueillies lors de deux enquêtes en 2017 et 2019 auprès des acteurs nationaux d’APB et Parcoursup ainsi qu’auprès des responsables de 2 universités franciliennes, et de questionnaires auprès de 1800 lycéens, la recherche menée par Leila Frouillou, Clément Pin et Agnès van Zanten, publiée dans "L’Année sociologique" N°2020/2, identifie les idéologies sous jacentes a passage d’APB et Parcoursup et aux choix du traitement de l’orientation des bacheliers.

Cette recherce apporte de nombreuses informations sur l’inégalité des lycéens face à Parcoursup, sur le traitement des demandes où prime la filière suivie au lycée et les resultats scolaires. L’analyse de la sélection de deux universités, une élitiste et une moins exigeante, montre la montée de la sélectivité des candidats.

Les auteurs soulignent la montée de la logique marchande dans l’orientation des bacheliers. C’est une forme de privatisation de l’enseignement active, pas totalement transparente mais visible qui se met en place. En ce sens l’analyse d’A van Zanten et ses co-auteurs éclaire puissamment l’évolution rapide de l’éducation en France depuis 2017.

Parcoursup est-il plus efficace et plus démocratique que APB ?

Pour l’instant on n’a pas accès aux données permettant une comparaison terme à terme entre ces deux plateformes concernant les choix faits par les jeunes et les propositions qu’ils ont reçues. Mais dans l’article paru dans L’Année Sociologique, Leïla Frouillou, Clément Pin et moi-même montrons qu’il y a des paramètres nouveaux qui risquent de désavantager les jeunes de milieu populaire. D’une part, parce qu’on a accentué la vision des jeunes comme des acteurs rationnels qu’on abreuve d’informations sur les filières et les modes de sélection. Tout cela est utile mais les jeunes ne sont pas égaux dans leur capacité à analyser ces données et à les utiliser de façon stratégique. Les études sur l’orientation active montrent par ailleurs que les jeunes issus des milieux populaires sont plus sensibles aux évaluations négatives de leurs dossiers et, de façon générale, ils reculent davantage devant les obstacles en limitant leurs choix. Dans Parcoursup, les élèves doivent en outre « motiver » leurs choix et ont la possibilité de faire état de leurs intérêts et activités extrascolaires. Ces démarches favorisent les élèves qui peuvent se tourner vers leur entourage familial pour les aider à rédiger des lettres de motivation et qui ont la possibilité de faire état de nombreux centres d’intérêt et d’activités.

D’autre part le passage d’APB à Parcoursup a élargi la sélection. La nouvelle procédure dite de « oui si » a notamment introduit la possibilité des admissions conditionnelles à l’Université. Or, outre que le fait de faire l’objet d’une admission conditionnelle peut démotiver de nombreux jeunes, le contenu de ces cours varie fortement et, selon un rapport récent de la Cour des comptes, leur efficacité n’est pas avérée. Il s’agit là d’un ensemble d’éléments susceptibles de défavoriser l’accès à l’enseignement supérieur des jeunes des milieux populaires ainsi que leur réussite à ce niveau.

Vous dites qu’une "logique marchande" s’est introduite dans l’orientation des lycéens. Que voulez vous dire ? Est-ce propre à Parcoursup ?

On ne peut pas dire que le système éducatif a totalement été converti à une logique marchande. Il reste ancré dans le modèle conservateur d’une société de statut, ce qui se traduit notamment par le rôle fondamental que jouent encore les filières dans l’orientation du secondaire au supérieur, même après la réforme du baccalauréat qui ne concerne au final que le baccalauréat général. Mais, depuis les années 1980 et, de façon accentuée ces derniers années, le système promeut la liberté des choix avec un discours à la fois expressif et instrumental : les opportunités de choix devraient permettre à chacun de satisfaire ses désirs, de trouver une formation à son goût, mais les jeunes doivent aussi émettre des vœux « rationnels », c’est-à-dire ajustés à leur « niveau » scolaire comme à l’offre de formation et à l’offre ultérieure d’emplois.

Le versant expressif de ce discours présente un visage « libérateur » qui est en phase avec l’évolution de nos sociétés démocratiques mais aussi individualistes. Il est bien reçu par les jeunes des milieux populaires qui ont envie d’y croire, mais c’est aussi la source de nombreuses déceptions quand leurs vœux ne peuvent se réaliser. Le versant instrumental est dans leur cas synonyme de réduction des aspirations car ils sont doublement désavantagés : à la fois par leurs parcours scolaires et parce qu’ils ne disposent pas des soutiens nécessaires pour les aider à décrypter et à se servir des informations.

Le "oui si" était censé maintenir le droit de tous à accéder au supérieur. Est-ce le cas ?

C’est un droit qu’il faut préserver. Mais il ne faut pas cacher que la massification des universités (elle se fait essentiellement là en raison des pratiques des filières sélectives) a engendré des problèmes auxquelles celles-ci ont du mal à faire face par manque des ressources mais aussi parce que cela nécessite une véritable révolution interne sur le plan organisationnel et pédagogique. En même temps, il ne faut pas d’emblée comptabiliser comme des échecs, des redoublements ou des réorientations qui mènent in fine à l’obtention d’un diplôme car les jeunes des milieux populaires ont souvent besoin de plus de temps et de tâtonnements.

Dans les critères de choix des filières du supérieur, l’appartenance à la série S était très importante. Pourquoi ? Et comment vont faire maintenant les établissements supérieurs ?

Dans les statistiques des choix des lycéens de Première de la filière générale l’an dernier, on voit que les jeunes ont continué à privilégier les matières scientifiques et beaucoup d’entre eux seulement ces matières mais on observe aussi des changements. La portée de ces changements ne pourra cependant être évaluée qu’en 2021 quand on pourra analyser l’évolution ou l’absence d’évolution des pratiques de sélection des différentes filières et formations. Les filières scientifiques en CPGE ou à l’université changeront très probablement très peu leurs pratiques même si la réforme des études de médecine vise à attirer d’autres profils vers cette formation. Il est possible cependant que certaines écoles postbac comme Sciences Po ou certaines filières universitaires cherchent à recruter des profils hybrides.

Les lycéens sont ils conscients du fonctionnement du système ? En maitrisent-ils les codes ?

C’est difficile pour un jeune de se dire que son destin est tracé d’avance. Dans les entretiens que j’ai mené avec des jeunes scolarisés dans des lycées défavorisés on voit qu’ils sont ambivalents. Ils sont à la fois très conscients des déterminismes sociaux et en même temps ils pensent qu’ils ont la possibilité d’avoir accès à d’autres positions que celles de leurs parents. Et cette ambivalence est entretenue par les discours politiques qui les incitent simultanément à rêver leur avenir et à faire des choix « réalistes ».

Dans ce nouveau système d’orientation que deviennent les lycéens professionnels ?

Alors que de plus en plus d’entre eux souhaitent continuer dans le supérieur pour avoir accès à des emplois plus stables et bien rémunérés, il n’y a pas de place prévue pour eux à ce niveau, y compris dans les STS où il a fallu mettre un système de quotas qui ne fonctionne qu’imparfaitement. Il faudrait multiplier les dispositifs d’accompagnement de ces jeunes.
Propos recueillis par François Jarraud

L’année sociologique n°2020/2

Voir aussi : la sélection des élites mise à nu

Extrait de cafepedagogique.net du 04.09.20

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