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Extrait de « Libération » du 11.01.06 : Sciences-Po, sauce sociale
Traiter un problème actuel de société par le truchement de la fiction à bons sentiments comporte toujours quelques risques dont, particulièrement, celui de sonner faux. Ce téléfilm, abordant sabre au clair la question de la fameuse discrimination positive en suivant les mésaventures de la première promotion d’étudiants de ZEP à Sciences-Po, illustre hélas le mécanisme du piège.
Tahira, jeune fille d’origine pakistanaise timide et un peu paumée débarque, via le RER, de sa Courneuve natale dans l’ambiance de « consanguinité sociale » de Sciences-Po. Nous assistons à sa tentative de survie dans cette jungle hostile où elle doit affronter, par ordre d’apparition à l’écran, la morgue des petits bourges à préjugés de sa promo, le mépris ostentatoire des professeurs, la honte de sa propre condition (elle n’a pas d’ordinateur) ou encore les tracasseries dont l’administration française a le secret. Dans leur minifresque contemporaine, les scénaristes Laurent Jaoui et Alexandra Deman n’ont pas oublié de dépeindre abondamment le poids de la famille et de l’entourage de la jeune fille, qui vit comme une trahison communautaire l’emprunt de cet ascenseur social en surexposition médiatique.
Et, au bout de l’heure et demie d’un téléfilm un peu mollasson qui n’épargne pas même un happy end, l’effet de compilation produit son oeuvre. Chaque situation, chaque ligne de dialogue est nimbée d’une dimension hautement symbolique qui finit par prendre des airs de compilation de clichés. Et le fait que les anecdotes décrites dans le film soient proches de la réalité ne change pas grand-chose. Il y a comme une incompatibilité entre les conventions de la fiction et toute la littérature consacrée au sujet. Comme si les centaines d’articles de journaux, les innombrables reportages à la télévision ou les débats animés sur le sujet n’avaient finalement servi à rien. On peut se demander quel souci pédagogique au juste a servi de prétexte pour produire un film qui ne ralliera à sa cause qu’un public déjà convaincu.
Bruno Icher
Extrait du « Figaro » du 11.01.06 : Une grande école de la vie
C’est l’Institut d’études politiques de Paris, plus connu sous le nom de Sciences po, qui le premier, en 2001, a accepté que des élèves défavorisés issus de zep (zone d’éducation prioritaire) intègrent l’école sans passer le concours. Sous condition, bien sûr, d’un excellent dossier scolaire.
Aujourd’hui, ces derniers ont su trouver leur place et réussir parfois avec brio. Mais, au départ, leur intégration au sein de la prestigieuse institution n’a pas été facile. Discrimination, mépris, hostilité de certains profs et élèves, scepticisme, si ce n’est une franche hostilité de la part des parents. La scénariste Alexandra Deman a eu envie de décrire le parcours d’une élève issue d’une zep, Tahira (Maria Kiran), une jeune fille née à La Courneuve de parents pakistanais. Alexandra Deman s’est en effet rendu compte que les difficultés de Tahira et de ses semblables étaient très proches de celles qu’elle avait ressenties quand, venant de La Rochelle, elle avait intégré Sciences po Paris.
Deux visions de la formation
Elle a parlé de son projet à la productrice Simone Halberstadt Harari qui, elle-même issue de la grande école, a non seulement accepté avec enthousiasme le projet mais s’y est impliquée avec ferveur. « A la différence d’Alexandra, je ne garde que de bons souvenirs de Sciences po, dit-elle. Je n’étais pas toujours d’accord avec sa vision de l’école et il fallait trouver un point d’équilibre entre nous deux ! Je souhaitais préserver l’impression d’ouverture de l’Institut. » La productrice a fait appel à Laurent Jaoui pour réaliser le téléfilm. « Cela faisait un moment que j’avais envie de parler de la formation des élites en France, explique-t-il. Le sujet d’Alexandra m’intéressait beaucoup, d’autant que je suis sorti d’une grande école vétérinaire et que tout ce genre d’établissements ont des points communs. »
Pour autant, il ne s’agit pas d’un documentaire ou d’un film à thèse sur l’école de la rue Saint-Guillaume. D’ailleurs, les responsables de l’Institut n’ont pas voulu que le nom de l’école soit utilisé ni que l’équipe tourne dans les locaux. Dans le téléfilm, l’école s’appelle Idhep, Institut des hautes études politiques... « On a montré le scénario aux dirigeants de Sciences po. Ils n’avaient rien contre le scénario mais n’aimaient pas l’image véhiculée par le film. Entre 2001 et aujourd’hui les mentalités ont évolué et les zep ne sont plus considérées de la même façon », souligne Laurent Jaoui. Simone Halberstadt Harari va plus loin : « Avant, beaucoup trouvaient cette voie parallèle choquante.
Aujourd’hui, ils sont plus nombreux à être pour que contre ! Le politiquement correct a changé de côté ! »
Certains pourront trouver des situations ou des personnages, notamment les élèves, caricaturaux. Le fils à papa insupportable de suffisance et de mépris envers les zep ; la fille bobo à qui ses parents très riches passent tout ; le prof démago et l’autre trop rigide. Pourtant, comme le souligne Laurent Jaoui, rien d’excessif ni de choquant : « Nous avions donné au personnage de Stanislas, très hostile à Taira et aux zep en général, un autre prénom. Mais quand nous avons fait lire le texte à des zep, ils ont éclaté de rire en reconnaissant un ancien élève ! Pourtant, c’était un hasard total ! Nous avons changé le nom... »
Autre aspect du téléfilm : le choc des cultures entre les traditions pakistanaises et la volonté d’émancipation de Tahira qui doit faire preuve d’une sacrée volonté pour ne pas baisser les bras et surmonter deux obstacles : l’hostilité de sa famille et celle de l’Idhep. « Une jeune fille dans son cas qui a vu le téléfilm nous a expliqué que le contraste était encore plus grand dans son milieu », insiste Laurent Jaoui. Aujourd’hui seule grande école à être ouverte aux zep, Sciences po fait figure d’exemple. Il ne lui reste plus qu’à « contaminer » les autres...