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Une coordonnatrice raconte les 30 années de sa ZEP à travers le lent développement d’un rapprochement des cultures professionnelles des premier et second degré

29 novembre 2011

30 ans d’Education prioritaire :
Quel impact sur le rapprochement des cultures professionnelles du premier et du second degré
 ?

Vue de ma petite zone prioritaire de province, au coeur d’une banlieue finalement très rurale, la liaison écoles-collège est une affaire ancienne et le rapprochement des cultures professionnelles une affaire très récente.

Il y a trente ans, la création de la zone d’éducation prioritaire organisée autour du collège du quartier à forte densité de logements sociaux a obligé la totalité des établissements de la zone (7 écoles- 1 collège) à
considérer qu’ils étaient dans un tout, sans toute fois faire un tout.
Au contraire même, on peut considérer qu’au cours des 20 premières années, il y a eu des réactions défensives et repli sur soi. Plusieurs écoles ont renforcé leurs spécificités par des projets d’école s’attachant soit à développer une plus grande implication des parents, soit à étendre le champ éducatif au delà du temps scolaire, soit encore en développant des pédagogies visant la responsabilisation de l’élève. Le collège, lui, a
cherché à affiner sa progression au regard des évaluations nationales et a oeuvré pour l’orientation de ses élèves, en développant des options et des partenariats dits d’excellences mais en posant le préalable d’acquisitions et de comportements développés à l’école primaire.

Ainsi, on se retrouvait, entre instit et profs, pour exposer ce qui nous honorait les uns les autres, toujours plus ou moins en terme de concurrence, dans l’espoir que l’une ou l’autre des parties « cèderait » à la tentation de s’essayer à ce que le collège ou l’école venait de modéliser.
On en a tout de même développé une identité et surtout un très grand respect. Nous étions des équipes qui, côte à côte, ne baissions pas les bras, cherchions vigoureusement à produire de la réussite. La
complémentarité 1er et second degré semblait naturelle, ce qui excusait de ne pas chercher à la rendre explicite. On a même trouvé dans ce parallélisme des forces de résistances lorsque les unes ou les autres des
parties étaient touchées par des mesures de carte scolaire ou des excès d’exigences hiérarchiques.

Néanmoins, tout au long de ces deux décennies, chaque enseignant a été régulièrement sollicité par la dynamique EP pour au moins s’intéresser à l’autre. Chacun a été questionné pour l’écriture puis l’évaluation
des différents projets de zone et de réussite scolaire ; Des formations communes ont été institutionnalisées ; Des regards partagés sur des pratiques de classe ont été proposés (visite de classe) ; des moments de « faire ensemble » ont été vécus (monter une expo, tracer des parcours USEP, enrichir un site WEB …). On a même fait quelques défis math et lecture, mémorables et fort motivants.
C’est avec l’activation du plan de cohésion sociale et ses deux dispositifs éducatifs « Programme de Réussite Educative » et « Réseau Ambition Réussite » que la bascule s’est nettement effectuée.
L’accent était clairement mis sur une individualisation des actes éducatifs, dans le cadre d’un partenariat élargi mais plus présent. Tous devenus professeur, que ce soit PE ou PLC, nous avons du développer de
nouvelles compétences pour voir et comprendre ces individualités et ces partenariats. Très vite, nous avons été confrontés à la violence de ces portraits d’écoliers dans leurs dimensions scolaires et extrascolaires, jusque là bien souvent noyés dans le collectif classe.

Ce sont d’abord les directeurs des établissements qui ont ressenti le besoin de mutualiser leurs analyses, leurs doutes, leurs réussites. Le texte sur les RAR leur a permis d’inventer les « pré-comex », une réunion
mensuelle de 3h de confrontation du quotidien. Les personnels du 1er degré y étant majoritaires, (8 sur 10 participants), on a déroulé ces temps comme dans un conseil des maitres d’école, en y traitant de pédagogie, d’environnement sociaux-éducatif, de moyens … et les professeurs-ressource, conviés par délégation à cette réunion, ont pris goût à argumenter dans cette globalité bien qu’ayant jusqu’alors plutôt traité les questions de manière sériées : au CA, les moyens ; en conseil d’enseignement, le pédagogique ; en conseil de classe, l’environnement scolaire de l’élève. Les directeurs du 1er degré, eux, s’y sont entrainé à une certaine rapidité d’exécution (temps d’échanges verbaux plus contraints) et y ont compris des exigences de gestion (emplois du
temps, conventions financières).

Il a aussi fallu intégrer les assistants pédagogiques à nos quotidiens. D’emblée, nous avons fait le choix de répartir la totalité de leurs heures dans le cadre de 3 priorités globales sur le réseau : l’accompagnement
éducatif au collège, un chantier pédagogique de la maternelle à la 3eme et faciliter la mise en route des collègues nouvellement nommés. Toutes (nous n’avons toujours eu que des femmes) ont ainsi chaque semaine
des temps en maternelle, en élémentaire et au collège.

Mais leur proposer de renforcer un chantier pédagogique tel que la mémoire, le logico mathématique ou le langage, de la maternelle au collège, a obligé l’équipe de pilotage du réseau et les professeurs-ressource à poser leurs constats, confronter leurs approches et finaliser un cadre cohérent, auquel chaque enseignant concerné (1er et second degré) a du contribuer en affinant sa propre préparation de classe puisqu’il devait la partager avec l’AP et en rendre compte de fait au dispositif tout entier.
Pour cela, nous avons tiré un énorme bénéfice de 3 journées/an de stage local de formation continue où, chaque fois, deux, trois voir 4 groupes de travail étaient constitués, toujours avec des enseignants des 2 niveaux, toujours avec des techniques d’animation actives et souvent avec des apports universitaires ou de recherche.

C’est lors de ces stages que, par exemple, nous avons conçu nos ateliers réflexifs (inspirés des travaux de D. Bucheton) à destination des élèves de cycle 3. Les professeurs des écoles ont apporté leur méthodologie du
travail par groupe, du temps de l’explicitation là où ceux du collège ont apporté leur expertise disciplinaire et permis le repérage de faiblesses dans la continuité école-collège.

Citons enfin le fait que chez nous, l’échange de culture professionnelle s’opère aussi grâce à des projets fédérateurs tel notre « festival ZEP’dit » qui obligent à organiser ses progressions personnelles au regard de
l’avancée d’un collectif, qui affichent de manière visible la continuité éducative aux yeux des familles, qui renforcent le sentiment d’appartenance à un tout qui progresse, doucement, sur la voie de la cohérence.

Je n’oublie pas que la part maintenant commune de cette culture tient aussi à quelques hommes et femmes à des moments donnés de notre petite histoire. Deux de nos écoles ont été ouvertes il y a plus de 40 ans sur projet pédagogique, fait exceptionnel à l’époque, avec nomination d’équipe d’instits volontaires, qui, bien qu’ils soient maintenant tous retraités, ont inscrit dans la conscience collective des principes qui perdurent et un sens certain du militantisme. Quatre de nos sept directeurs d’école ont débuté leur carrière sur la ZEP et y
sont revenus prendre cette responsabilité. Une des prof ressource a débuté comme instit et les 3 autres ont toutes des engagements au sein du CA, de l’amicale des profs, d’associations complémentaires de l’Ecole.
Les quatre Principaux successifs ont été jusqu’alors volontaristes et ont pris des risques pour faire évoluer les postures. L’IPR associé lors du passage en RAR s’est impliqué fortement en apportant compétence,
stimulation et même empathie. L’IEN et la coordo ont été nommés la même année, il y a quinze ans, et ont bâti conscience et confiance, sans relâche.

Malgré l’enthousiasme qui anime notre professionnalité ainsi décrite, nos craintes sont nombreuses sur la capacité de notre système à le faire fructifier et sur la possibilité d’en faire réussir nos élèves au-delà du
scolaire. L’ORU qui a concentré la difficulté sociale, l’institutionnalisation de individualisme qui tend à anéantir la vie sociale, et le manque de perspective économique qui décourage toute ambition personnelle
n’aident pas à inscrire la continuité éducative comme priorité pour nos individus-élèves, ni même pour nos citoyens-enseignants.

Catherine Lavauzelle
Zep/RAR/ECLAIR Soyaux (16)
25 novembre 2011

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