Article de l’Humanité sur la carte solaire

6 janvier 2007

Extraits de « L’Humanité » du 05.01.07 : La carte scolaire responsable de tous les maux ?

Le 3 septembre 2006, Ségolène Royal propose d’assouplir la sectorisation. Il faut desserrer la contrainte de la carte scolaire. » Presque banale, l’idée est remâchée à droite depuis des années. Lâchée la veille de la rentrée par celle qui était, à l’époque, candidate à la candidature socialiste, elle a secoué l’auditoire politique et scolaire. Le 3 septembre, Ségolène Royal jetait un pavé dans la mare, s’emparant d’une question emblématique du débat porté par la droite depuis 2002. Il s’articule en substance autour d’un argument : puisque l’école de la République échoue à être l’école de toute la République, pourquoi la défendre mordicus ?

La carte scolaire n’est pas la seule question en jeu (lire ci-après), mais elle illustre parfaitement la teneur du débat. Créée en 1963 afin de gérer un nombre croissant d’élèves, elle acquerrait sa vocation actuelle dans les années soixante-dix, avec l’avènement de la crise économique. Son principe : assurer la mixité sociale des élèves, en rattachant à un même établissement les enfants vivants dans des quartiers différents et socialement hétérogènes. C’est ce que l’on nomme la sectorisation. Elle est à présent accusée d’échouer dans cet objectif. On lui reproche la hausse du contournement des établissements difficiles par les familles les plus aisées. Le phénomène engendre ce paradoxe : plus un collège est ghettoïsé, plus les familles qui en ont les moyens le fuient et plus la ghettoïsation s’accentue.

Ainsi, Ségolène Royal développait- elle son argument le 7 septembre sur France 2 : « La carte scolaire a créé un résultat qui est à l’inverse de celui recherché. [...] Si pour certaines catégories, notamment les mieux informées ou les plus privilégiées, le libre choix d’une école est un bon principe, pourquoi est-ce que ça ne serait pas le cas pour tous les Français ? » La candidate socialiste propose donc de l’assouplir, en offrant à chacun le choix entre deux ou trois établissements.

À droite, François Bayrou envisage de la maintenir telle qu’elle, mais de créer des classes de niveaux dans les collèges et lycées ghettos, « pour que les meilleurs montrent qu’on peut y réussir » (1). Nicolas Sarkozy propose de la faire sauter carrément, non sans avoir renforcé au préalable l’autonomie des établissements (2). Pour tous, un cheval de bataille : la sacro-sainte liberté de choix des parents.

L’ambition paraît louable. Pourtant, dès septembre, des voix s’élevaient pour en dénoncer le piège. « Laisser le choix aux parents, c’est s’engager dans une logique libérale dont ils sont les premières victimes », alertait ainsi Yves Careil, sociologue, professeur à l’université de Nantes. Dépendants de la volonté des familles, les établissements seront mis en concurrence. Pour préserver leur réputation, ils bouderont les élèves en difficulté, dont on sait qu’ils sont souvent les plus démunis socialement. Jean-Yves Rochex, professeur de sciences de l’éducation à l’université Paris- VIII, estimait que « ce n’est pas la carte scolaire qui crée la ségrégation scolaire. Ce sont d’abord les politiques de l’emploi combinées à celles du logement qui concentrent la pauvreté dans les quartiers populaires » (3).

On peut aussi s’interroger sur l’ampleur réelle du phénomène. Essentiellement urbain, il ne touche que les grandes agglomérations, comme celles de Paris, Marseille ou Bordeaux. Le taux de familles dérogeant à la sectorisation y est estimé autour de 30 %. Mais le chiffre inclut celles qui optent pour le privé (environ 20 %) et dont il est difficile de mesurer les motivations. Il inclut également celles dont la demande de dérogation est légitime (maladies, rapprochement de fratries, etc.). En admettant que le taux de « tricheurs » frise les 5 %, « est-ce suffisant pour abandonner la carte scolaire et généraliser une pratique minoritaire ? », interroge Louis Maurin (4), directeur de l’Observatoire des inégalités. Qui prévient : « La carte scolaire est loin d’être la seule barrière entre les catégories populaires et les écoles des enfants de privilégiés. La Courneuve ne débarquera jamais dans le 7e arrondissement de Paris. » Et réciproquement, pourrait-on ajouter.

Reste que dans ce débat, on ne trouve aucun partisan du statu quo. Abroger, non, perfectionner, oui, affirment beaucoup d’acteurs. « Mettre le paquet, financièrement parlant, dans les établissements en difficultés », propose le PC, « renforcer le contrôle du mode d’attribution des dérogations », exige la FCPE ; redessiner les secteurs de rattachement, avance-t-on encore. En octobre, Gilles de Robien auditionnait les syndicats et fédérations de parents et remettait son rapport au premier ministre la semaine dernière. Aucune communication n’est encore prévue sur le sujet Le débat, lui, ne manquera pas de rebondir lors de la campagne de l’élection présidentielle.

Marie-Noëlle Bertrand

(1) Entretien publié dans Paris-Normandie, le 26 octobre 2006.

(2) Fonctionnement qui laisse les chefs d’établissements entièrement libres d’organiser les enseignements, d’administrer leur budget, de recruter les personnels.

(3) L’Humanité du 23 septembre 2006.

(4) L’Observatoire des inégalités

Rappel : une « Rencontre de l’OZP » le 10 janvier à Paris sur ce sujet.
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