La peur des élèves déboutés de la ZEP de Saint-Herblain Renan (44)

23 octobre 2006

Extrait de « Ouest-France » du 20.10.06 : Devant l’école, la peur des sans-papiers déboutés

Reportage. Cet été, 30 000 parents d’enfants scolarisés sont sortis de l’ombre... 23 000 n’ont pas obtenu la régularisation qu’ils espéraient. Les revoilà sous la menace de l’expulsion

Dans la banlieue de Nantes, la peur ne quitte pas les familles Kacem, Khankishiyev et Tiago. Seul le soutien de leurs « parrains » - parents ou enseignants - soulève un peu la chape de plomb retombée sur leurs vies. Ainsi lorsqu’ils se retrouvent ensemble, comme l’autre après-midi à l’école de la Sensive, à Saint-Herblain. Dès qu’on recommence à parler du quotidien, les voix se mettent à hésiter puis se brisent.

Nemongo Tiago commence. Les nuits sont longues pour elle, son mari, Mavakala, et leurs trois filles, Fani, Valma et Huetti. Pour Fani surtout, l’aînée, 12 ans : « Elle se réveille et vient nous voir dans notre chambre, lâche Nemongo. C’est difficile pour elle, un psychologue la voit toutes les semaines. »

Car, dans la nuit, resurgissent l’Angola, les souvenirs, les moments de cauchemar. Il y a deux ans à peu près, Fani a vu l’arrestation de son père, accusé d’appartenir à un front d’opposants. Elle a vu l’arrestation et bien d’autres choses. Puis la fuite en catastrophe. « Des gens ont été tués dans notre famille, c’est pour ça qu’on a fui, poursuit Nemongo, si on retourne, nous allons mourir. » Ils sont en France depuis mars 2005. Ce qui fait trop peu de temps, a dit la préfecture en refusant les papiers.

On imagine ce que ressentent Fani et ses soeurs quand elles croisent la police sur le chemin de l’école. À peu près la même chose que Fatima, la plus âgée des filles de Mme Kacem : « En allant au collège, elle a vu une voiture de policiers, elle s’est enfuie, elle croyait qu’ils venaient à cause de moi. » Mme Kacem, en France depuis cinq ans et demi, a aussi la hantise de l’expulsion vers l’Algérie. Malgré son petit Mohamed, né ici en 2003, elle n’a pas eu de papiers : il aurait fallu qu’il soit déjà scolarisé. Il l’est maintenant, en petite section à l’école des Grands Bois, mais le recours qui a été déposé ne protège pas d’une éventuelle reconduite à la frontière. « Quand je suis dans le tram et que j’aperçois la police, je descends, j’ai peur », confie Mme Kacem.

« La police est venue je me suis évanouie »
Depuis les 6924 « régularisations Sarkozy » de la mi-septembre, « la procédure normale » a repris ses droits. Autrement dit, sauf ultime procédure de recours, ces familles sont expulsables. « Il est évident que toutes ne le seront pas », a déclaré le mois dernier Arno Klarsfeld, alors chargé de jouer le médiateur. Mais beaucoup redoutent des « expulsions pour l’exemple ». Comme cela s’est déjà passé ailleurs. La rue, ils la perçoivent comme une menace. Le simple coup de sonnette aussi. « En 2005, la Paf (Police aux frontières) est venue, ajoute Mme Kacem, je me suis évanouie ; heureusement que mon frère était là. Depuis, ce n’est pas moi qui réponds à l’interphone, je demande à ma fille. »

Hakim Khankishiyev écoute. Sa petite Sabina, sa quatrième, est venue avec lui pour traduire. Elle est en CM1 à l’école de la Sensive. « Elle s’est bien intégrée », indique le directeur, Dominique Bruneau. L’école est un sanctuaire ; les peurs, la police, les controverses n’en franchissent pas les grilles.

Plus que les autres peut-être, la famille Khankishiyev angoisse. Hakim, qui est en France depuis 2003, a tout à craindre pour lui-même d’un renvoi en Azerbaïdjan : il a fui son pays pour des raisons politiques. Mais Hakim pense surtout à son deuxième fils, Barhus, 18 ans. Un jour, en avril dernier, la police est venue et l’a emmené. Barhus a été expulsé : « Depuis, on n’a pas eu de nouvelles de lui », traduit la petite Sabina.

Michel Rouger

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