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Eduquer aujourdhui ou de l’éducation interculturelle, par Marie-Gabrielle Philipp (Bulletin OZP n° 4, novembre 1993)

28 mai 2009

Bulletin de l’association OZP, n° 4, novembre 1993

EDUQUER AUJOURD’HUI
Ou DE L’APPROCHE INTERCULTURELLE

L’ouverture à la diversité culturelle et à l’éducation du citoyen de demain posent question à l’ensemble des systèmes éducatifs nationaux en Europe. Quels sont la place et le rôle d’une problématique interculturelle en éducation et en pédagogie dans une politique d’intégration par l’école de tous les enfants, quelle que soit leur origine ?

Il est un fait que l’école, en tant qu’instrument d’intégration, parmi quelques autres instruments privilégiés (travail, syndicats, associations, armée), a toujours fait l’objet d’une considération particulière compte tenu des classes d’âge qu’elle a pour mission d’instruire et de former.
En France, dans le projet scolaire républicain à visée rationaliste, égalitaire et universaliste, l’école tient un rôle essentiel. Elle est ce lieu et ce sas qui permet, par la transmission des connaissances et l’inculcation implicite et explicite des valeurs politiques et civiles, d’intégrer socialement et politiquement.
Cette capacité à intégrer est aujourd’hui en crise du fait des transformations profondes de la société, du développement non contrôlé dans ses répercussions sociales et humaines de l’économie libérale, de la compétitivité au plan mondial, d’un chômage qui n’apparaît pas maîtrisable. La fréquentation de l’école et surtout les issues (14 à 15 % de jeunes sortent encore du système scolaire sans qualification) et diplômes sur lesquels elle débouche ne garantissent plus ni insertion sociale par le travail, ni mobilité sociale.
L’échec scolaire touche les enfants issus des milieux socialement défavorisés, et parmi eux des enfants d’origine immigrée, qui sont particulièrement exposés aux difficultés d’intégration sociale. Aujourd’hui échec, marginalisation, relégation dans des zones à la périphérie des villes, exclusion sociale et culturelle ont tendance à s’additionner ou à se trouver de fait associés.

Au nombre de cet ensemble de facteurs à effet cumulatif, on ne saurait se masquer le rôle que joue le système d’enseignement, « ce système d’enseignement ouvert à tous et pourtant strictement réservé à quelques uns » et qui « réussit le tour de force de réunir les apparences de la « démocratisation » et la réalité de la reproduction, qui s’accomplit à un degré supérieur de dissimulation donc avec un effet accru de légitimation sociale » (1).

L’installation durable d’une population immigrée et la reprise des flux migratoires d’Est en Ouest et du Sud vers le Nord qui fuient la peur, la violence et la misère d’une part, la montée réactionnelle de l’intolérance, du nationalisme, de la xénophobie et du racisme en Europe et dans notre pays, une France en mal de civisme, de solidarité et de lien social, mais qui idéalement se perçoit comme le pays des droits de l’Homme d’autre part, interrogent l’école et remettent au centre la question de l’éthique et des valeurs. La question fondamentale est celle du type d’homme que nous souhaitons former ; elle est aussi celle du choix des valeurs à la réalisation desquelles nous aspirons et œuvrons.

Comment l’école peut-elle contribuer à faire expérimenter aux élèves, quelles que soient leurs appartenances ethniques, sociales, culturelles, religieuses, nationales, des situations qui les amèneront à la construction en commun d’une représentation des réalités qu’ils vivent, à développer les compétences et comportements qui s’accordent avec l’idéal démocratique et à faire l’apprentissage de la complexité ?

L’éducation interculturelle, qui dans les années 80 s’est peu à peu dégagée d’une spécificité liée aux enfants dits de « migrants », selon la dénomination officielle, pour se redéfinir, est, faut-il le rappeler, une orientation d’action visant à faire face au pluralisme social et culturel et à prendre en charge la diversité dans l’école. Elle n’a jamais bénéficié d’une légitimité incontestée à l’intérieur de celle-ci. L’intégration est une finalité recherchée, affirmée depuis politiquement, qui a ses instances (ministère, secrétariat d’Etat, Haut Conseil, observatoires) et son dispositif.

L’usage du terme dans le discours politique actuel renvoie à la question des rapports entre « la diversité » introduite par l’immigration dans une société pluriethnique et multiculturelle - société qui s’est toujours pensée comme monoculturelle en conformité avec l’imaginaire et l’idéal républicain (une langue, le français, une culture) - et le système des valeurs communément partagé, ciment de la société, celui jusqu’à présent incarné par les valeurs nationales de liberté, d’égalité et de fraternité, données pour universelles, et qui transcendent les particularismes culturels. Il s’agit de promouvoir un modèle français d’intégration même si, selon le Premier rapport du Haut Conseil à l’intégration (2) « l’intégration n ’est pas à concevoir comme une voie moyenne entre l’assimilation et l’insertion mais comme un processus spécifique par lequel il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales, et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété et de cette complexité ».

Cette politique comporte un volet scolaire (3) ; la notion d’intégration, là encore, « se différencie de l’assimilation. Il ne s’agit pas en effet d’assimiler les élèves c’est-à-dire de tendre à leur faire oublier leurs racines et leurs traditions familiales ». Le sens attribué à la notion est celle d’« interdépendance entre les membres d’une société », de transmission d’un savoir et de valeurs communes, de formation à la rationalité critique.

Actuellement ces deux notions - éducation interculturelle et intégration - fonctionnent comme des mots d’ordre à valeur performative, le premier avec moindre éclat, certes, n’osant guère s’affirmer.
En effet si on lui a reproché, hier, d’être une notion floue à laquelle essaient de donner sens dans leurs pratiques quelques irresponsables idéalistes, dans le camp desquels aucun pédagogue averti et sensé ne saurait se fourvoyer, on soutient aujourd’hui, plus ou moins ouvertement, dans les milieux mêmes qui ont le plus contribué à faire accroire l’idée qu’elle était le « sésame » de toute pédagogie, et ce à grand renfort médiatique, qu’elle est la voie ouverte à la xénophobie et au racisme.
Elle apporterait des arguments aux idéologues du rejet et de la préférence nationale ou pratiquerait ouvertement un type de différentialisme d’autant plus dangereux et pervers qu’il est caché ou qu’il s’ignore dans la mesure où ces pratiques ont des effets de toute façon stigmatisants - pratiques inspirées par un relativisme culturel aveugle et dévastateur.
Autre allégation : cette option est entièrement dépendante et captive, pour preuve son émergence et son évolution dans le champ éducatif français, des politiques d’immigration et des forces politiques au pouvoir. Certes oui, cela est indéniable... Et alors, comme dirait Zazie, est-ce la raison suffisante ? Il est à remarquer que l’éducation interculturelle a reçu et reçoit des acceptions différentes selon les systèmes scolaires, de par le traitement que chaque système fait de la différence culturelle, et selon les systèmes sociopolitiques en raison même des formes de gestion des cultures des groupes ou communautés en présence dans un même espace national et de leur relation à la culture publique, ce qui constitue à proprement parler une des limites ou des contraintes de l’option.
Enfin dernier grief : cette option n’a jamais prouvé ni son bien fondé ni son efficacité en termes d’apprentissages scolaires, alors même qu’elle fait partie de l’arsenal des mesures visant à différencier les démarches, afin de n’en pas rester à un égalitarisme formel, mais au contraire de rendre cette égalité plus effective.
Bien qu’il s’agisse d’une réelle question, celle du repérage et de la gestion des différences, l’honnêteté la plus élémentaire consisterait à reconnaître que la maîtrise ou non de la régulation de la reproduction sociale des inégalités excède de loin les seules compétences et capacités de l’école. Tout comme le qualificatif d’interculturel appliqué à l’éducation et à la pédagogie, a recouvert des traductions concrètes fort diverses selon les contextes et qui en ont quelque peu brouillé, sinon l’enjeu, du moins le sens, et doit par conséquent être interrogé, le terme d’intégration doit être précisé. Les termes s’affichent avec leurs usages sociaux et leurs connotations idéologiques.

C’est donc de la perception des contradictions et des limites (4) rencontrées sur le terrain en matière d’éducation interculturelle, des oppositions (5) que celles-ci suscitent, ainsi que d’un sentiment de malaise et d’engluement que nous est venue l’idée d’organiser une université d’été sur le thème « Quelle éducation interculturelle pour quelle intégration ? », afin de permettre une analyse des actions qui s’en réclament, de clarifier notions et présupposés, et enfin de faire ressortir les ancrages théoriques et pratiques qui évitent les pièges de la folklorisation et de la discrimination, et qui dissuaderont les éducateurs de faire usage des notions de culture et d’identité comme explicatives des différences de comportements et de performances constatées.
Cette session s’est déroulée à Strasbourg au cours de l’été 1992 et a donné lieu à des Actes rassemblés dans le numéro 19 de la revue Education et Pédagogies dont nous donnons le sommaire. Ce numéro a justement pour objet d’éclairer ces deux notions souvent posées comme antinomiques en revenant sur le contexte, les termes et les enjeux de cette controverse. Le lecteur trouvera également dans ce dossier des éléments pour alimenter sa réflexion sur les notions de pluralisme et d’appartenance sociale et culturelle, ainsi que sur les rapports entre universel, particulier et singulier, qui sont au cœur de la problématique d’une éducation à l’altérité et à la citoyenneté.

Forts du succès de cette session qui a été une véritable première rencontre, et de ce début de réflexion que viendra concrétiser un volume de Compléments, et souhaitant ne pas se laisser perdre les acquis, en ces temps de grand repli frileux et d’extrême inhibition créatrice, nous mettons en place, comme il en avait été convenu avec les participants à la session, un réseau d’échange et de coopération sur les questions de l’approche interculturelle en matière d’éducation.
Pour ce faire, nous vous soumettons le texte de ces propositions afin que vous puissiez y réagir et, si vous le désirez, nous rejoindre, parce que vous vous sentez, vous aussi, isolé ou rempli de doutes et porteur d’interrogations sur le sens et les effets réels des démarches que vous entreprenez avec vos élèves.

La multiplicité des dimensions de l’approche interculturelle en éducation (contenus d`enseignements, méthodes pédagogiques, compétences linguistiques et langagières, représentations de l’Ecole, de ses finalités et de ses publics, relations sociales dans l’enceinte scolaire et avec l’environnement socioculturel... ), des disciplines qui la concernent (sociologie, anthropologie culturelle, psychologie, sciences de l’éducation, linguistique) et des champs d’action auxquels elle renvoie (action sociale, réflexion politique, animation socioculturelle... ) entraîne un grand émiettement des efforts entrepris dans ce domaine.

Cet émiettement est fort dommageable pour l’avancement de la réflexion dans un champ dont l’importance est centrale concernant le devenir de notre système éducatif. Il est, en effet, responsable, au moins en partie, d’un fort gaspillage d’énergies ainsi que de nombre d’aveuglements intellectuels et de limitations pratiques. En outre, il laisse les tenants de l’approche interculturelle faiblement armés pour répondre aux nombreuses critiques, fondées ou non, qui leur ont été adressées et que d’une certaine façon, - nous venons de le dire -, il suscite.

Face à une telle situation, l’objectif principal du réseau à mettre en place serait, donc, d’aider à établir la meilleure synergie possible entre les diverses expériences qui se réclament de l’approche en question et, ainsi, à transformer en force ce qui est encore aujourd’hui une faiblesse, en contribuant à développer des complémentarités et des échanges en lieu et place des répétitions et des cloisonnements actuels.

L’ambition de rassemblement des initiatives et d’accumulation des savoirs et des savoir-faire qui motive le choix de cet objectif exige que le réseau qu’il s’agit de constituer soit largement ouvert - tant dans son fonctionnement que dans son recrutement - à la diversité des expériences qui relèvent de son objet comme à celle des statuts des personnes qui œuvrent dans le domaine qui le concerne (praticiens des différents degrés d’enseignement, chercheurs, travailleurs et animateurs sociaux, membres d’associations, gestionnaires et responsables administratifs d’actions d’éducation).
Dans cette perspective, il n’est donc pas question - au moins dans un avenir immédiat - de mettre en place un collectif d’étude et de recherche, voire d’expérimentation, qui définirait en commun et réaliserait de manière coordonnée un programme de travail unique, mais, plus modestement, d’encourager principalement le dialogue et d’éventuelles coopérations partielles entre des initiateurs d’entreprises déjà existantes qui conserveraient leur totale autonomie. Ainsi, le refus de la dispersion n’appelle pas la fin de la diversité dont se nourrit la volonté de regroupement.

C’est dire qu’il ne s’agit pas non plus de promouvoir une transmission « verticale » d’informations, par exemple sous la forme d’un enseignement de caractère plus ou moins magistral qui verrait les plus aguerris ou les plus « savants » faire part de leurs expériences et de leurs connaissances à d’autres moins informés.
Notre réseau n’aura, selon nous, d’existence durable et ne fonctionnera de manière satisfaisante que dans la seule mesure où les initiatives dont il sera porteur auront été prises « à la base », au plus près des problèmes du « terrain », par des membres unis par un système de liaisons horizontales, qui, chacun, accepteront d’être tour à tour des forces de réflexion et d’action, de proposition et de discussion, de critique et de conseil, au profit d’un enrichissement mutuel. Son fonctionnement devrait donc être le plus décentralisé possible : la cellule à qui serait confiée la mission de coordonner le réseau n’aurait ainsi qu’une fonction de secrétariat.
Elle recevrait les propositions de rencontres et les demandes d’informations ou de coopérations adressées par des adhérents à notre regroupement ou par des personnes qui lui seraient extérieures, les diffuserait largement, préparerait l’organisation des réunions de toutes sortes dont la tenue aurait été collectivement décidée, mettrait en contact ceux d’entre nous qui seraient à la recherche de collaborations avec des individus ou des groupes susceptibles de répondre à cette attente, établirait pour ce faire un fichier de personnes et d’institutions-ressources et, si on nous en donne les moyens, porterait régulièrement à la connaissance de tous - à l’aide de moyens télématiques ou sous la forme d’un bulletin - les principales informations relatives au champ qui nous intéresse. Dans un second temps, ce système de relations pourrait être élargi au plan international.

Il nous semble éminemment souhaitable que vous puissiez débattre de ces orientations et faire part de vos propres propositions, avec une idée précise de la part que vous êtes décidé à prendre dans le fonctionnent de ce réseau. A bientôt donc.

Marie- Gabrielle Philipp,
CIEP-Belc, octobre 1992

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Notes

(1) P. Bourdieu, P. Champagne, Les exclus de l’intérieur, Actes de la recherche en sciences sociales 91/92, Seuil, mars 1992.

(2) Pour un modèle français d’intégration, premier rapport annuel, Haut Conseil à l’intégration, collection Rapports officiels, Paris, La Documentation française, mars 1991.
Consulter (21 pages, format PDF)

(3) cf. les propositions retenues par le Comité interministériel du 31 janvier 1990 où figure le rapport dit Hussenet, du nom de son rédacteur et intitulée Une politique scolaire d’intégration, Ministère de l’éducation nationale, direction de la communication.

(4) M.-G. Philipp, M.-C. Munoz, Mille et une Voix : identités et altérité. Recherche-action : éducation et pédagogie(s) interculturelle(s) en milieu pluriethnique, Rapport, CIEP, juin 1990 (Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 9, n° 2, 1993, p. 129-135) ; Projet éducatif Ecole-Quartier des Musiciens, Rapport, CIEP, juillet 1990 ; Histoires croisées, mémoire sociale d’un quartier, Rapport, CIEP, mai 1992.

(5) M.-G. Philipp, « Histoire d’une commande : le Répertoire d’outils pédagogiques utilisables dans les classes accueillant des élèves non francophones », Compléments des Actes de l’université d’été de Strasbourg, 1992, CIEP, (Éducation et pédagogie, 1993/09, n°19, 102 pages).

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