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Entretien avec Maïté Mathieu, rédactrice en chef de la revue "Ensembles" sur l’émergence de la politique de Développement social des quartiers (DSQ) (Bulletin OZP n°3, mai 1993)

12 mai 1993

Bulletin de l’association OZP, n°3, mai 1993

Entretien avec Maïté Mathieu

Les acteurs de ZEP ont bénéficié de son travail : Maïté Mathieu a créé en 1983 et dirigé jusqu’en 1993 la revue "Ensembles", bulletin des acteurs locaux du Développement social urbain.

Cet entretien a été réalisé en 1993 et la politique de la Ville a évolué depuis cette date. Mais la revue reste une extraordinaire mine de renseignements, d’ouverture et de réflexions pour tous ceux qui travaillent dans le cadre des ZEP ou de la politique de la Ville.

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OZP - Vous avez été témoin et acteur de l’émergence de la politique de Développement social des quartiers. Comment cela s’est-il passé ?

Il faudrait en écrire une histoire précise, tant la période fut féconde et tant la mémoire des choses a été jusqu’ici peu gardée. Comment comprendre une situation sans avoir connaissance de l’étape précédente ? Ce qui a été mis en route en 1981 était en fait l’aboutissement d’une longue maturation dont l’opération " Habitat et vie sociale " avait été un moment fort d’intuition mais sans application suffisante parce que trop limitée à l’habitat.

A ce moment, le mouvement HLM préparait avec ses partenaires des assises nationales. Le logement social était en mauvaise posture et le lien entre les aspects sociaux et les conditions d’habitat apparaissait de plus en plus net.
Mai 81 est arrivé au bon moment pour un mouvement général de réflexion et d’innovations. La CNDSQ, Commission nationale pour le développement social des quartiers, a été créée en octobre et confiée à Hubert Dubedout.

OZP - Il s’agissait d’un maire de grande ville : cette qualité n’a-t-elle pas livré la politique DSQ aux mains des maires ?

Les problèmes qui se sont posés dans la mise en œuvre de cette politique ne tiennent pas au pouvoir des maires, car leur concours est indispensable, mais à la faiblesse que l’État a parfois montré lors de l’exécution des contrats : il n’a pas fait respecter certains engagements pris par les collectivités locales.
Ainsi, des réhabilitations fort coûteuses ont été menées sans participation des habitants dans plusieurs quartiers. Les travaux étaient bien entendu nécessaires mais la manière de faire a laissé de côté les problèmes d’exclusion.

Se lancer dans une politique contractuelle suppose que chaque partie a des convictions et surveille de près l’application. Que ce soit du côté de certains organismes HLM ou de certaines administrations de l’État, les convictions initiales n’ont pas été suivies de l’attention nécessaire. La CNDSQ était une mission, sans pouvoir réel sur l’administration. Le Conseil national d’évaluation l’a montré.

Mais ces limites ne doivent pas masquer tout le travail accompli.

OZP - Vous avez pu observer la mise en place des ZEP et le travail de l’Éducation nationale : Ensembles a souvent appuyé les efforts tentés dans les ZEP. Quel bilan en tirez-vous ?

Étant en position d’observateur extérieur, j’ai pu constater à la fois toute la richesse de certaines ZEP et la difficulté des relations entre les administrations, les attitudes archaïques et le souci de conserver des prérogatives.
Petit à petit les choses ont évolué et les relations entre l’Éducation nationale et les responsables de la politique de la Ville semblent aujourd’hui davantage guidées par l’intérêt de l’usager que par la défense d’un pré carré. Mais il a fallu de nombreuses années !

Avec le dernier numéro d’Ensembles dont j’ai assuré la direction, j’ai pu mesurer cette évolution : consacré à " ces écoles qui bougent ", le n° 37 rend compte d’expériences passionnantes et j’ai eu de grandes satisfactions professionnelles à rencontrer des personnalités attachantes pour le bâtir.

OZP - Comment a démarré cette revue ?

La CNDSQ n’était qu’une toute petite équipe où j’avais la fonction de mémoire et d’échange d’informations. Tout naturellement, des projets de bulletin sont établis et l’un d’eux, en juillet 1983, semble tenir la route.
C’est le moment où Rodolphe Pesce arrive : deux mois plus tard le n° 0 est publié. Sans l’aide technique très importante du service technique de l’Urbanisme au ministère de l’Équipement et les conseils de Martine Lehmans, à l’époque rédactrice en chef de la revue Diagonales, nous n’aurions pu réaliser ce bulletin qui se voulait, comme l’indique l’éditorial du n°1, un outil de liaison et de mémoire.

L’option a été de publier des articles courts : notre lectorat est varié et très occupé. Nous avons donc cherché à l’informer rapidement mais aussi à lui donner le moyen d’en savoir plus.

OZP - ...en systématisant les indications " contact " en bas de chaque article, références si utiles, formule qu’on trouve maintenant couramment dans la presse.

Maïté Mathieu - La fonction de liaison a ainsi été réellement assurée. Celle de mémoire probablement aussi. Reste la réflexion de fond : chaque numéro approfondit un thème mais on aurait pu imaginer en complément d’Ensemble une autre revue où la place n’aurait pas été aussi restreinte. En fait, aujourd’hui, ce rôle est assuré par des publications de rapports ou de livres.

Le problème constant de la rédaction a été d’écrire ou d’obtenir des articles courts alors que les sujets abordés étaient complexes et les gens rencontrés passionnants ! Mais il fallait que la revue soit lue. Plusieurs évaluations auprès des lecteurs ont montré que nous avons eu raison de tenir bon.

OZP - Vos premiers articles sur les ZEP ont parlé des pionniers de Roubaix, Romans et Orly...

Oui, c’étaient des pionniers car ils avaient déjà déclenché des actions avant 1981. Le dispositif ZEP les a confortés et leur a donné des moyens. C’est petit à petit que les ZEP sont devenues partie prenante de la politique de la Ville. J’ai parlé des difficultés du début au niveau des ministères. À la base ce fut très différent car l’action a souvent dépassé les habitudes conformistes.

En fait, quand l’école apparaît aux yeux des habitants comme utile et accueillante, elle ne perd pas sa fonction, elle la conserve ou la retrouve. Ce lien avec les habitants, pas seulement les parents d’élèves, est une clé de sa réussite et du développement social du quartier.
Il n’y a pas d’évolution positive sans vie démocratique : quand l’école y prend sa part elle joue gagnant et fait gagner le quartier. Je pense ainsi aux reportages sur les réalisations de Grande-Synthe, au travail du collète de Fontaine, aux établissements scolaires du quartier les Pommeraies-les-Vignes à Laval et à tant d’autres ZEP.

OZP - Quel avenir souhaitez-vous pour cette politique ?
Je constate que le nombre d’acteurs locaux du Développement social augmente, que ce sont des gens qui sont responsables, à qui on ne peut plus raconter d’histoires. Je souhaite que ce mouvement continue : la démocratie locale avance et c’est une condition impérative de la lutte contre les exclusions. Notre avenir à tous en dépend.

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