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Des habitants de cités de banlieue : « S’attaquer au noyau dur de la scolarité plutôt qu’à ses marges »

23 janvier 2008

Extrait de « La Croix » du 21.01.08 : Des habitants des cités décrivent leur « sentiment d’exclusion »

Alors que Fadela Amara présente mardi 22 janvier les contours de son plan banlieue, le sentiment d’exclusion reste profond dans les quartiers fragiles

Inscrite à la fac en première année de psychologie, Fenda a jeté l’éponge après un mois de cours. Pour gagner l’université de Saint-Denis depuis sa cité de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), la jeune femme devait combiner bus, RER et métro, soit trois à quatre heures de trajet aller-retour. Dans cette ville où débutèrent les émeutes urbaines de 2005, le sentiment d’exclusion naît d’abord de l’aménagement urbain.

Voilà des années que les populations de Clichy-sous-Bois et Montfermeil attendent une ligne qui les raccorderait à la capitale. À vol d’oiseau, seulement une dizaine de kilomètres les en sépare. En transport, c’est 90 minutes ! « On est parisien mais on se retrouve comme à la campagne, explique Fenda. On est tenu à l’écart. »

Pour les jeunes de ces communes enclavées qui disposent de peu d’équipements culturels ou commerciaux, la moindre sortie s’organise. « Quand on veut aller à Paris, on le prévoit deux semaines à l’avance, explique Fenda. Le centre commercial le plus proche, à Rosny, est à une demi-heure. »

Le pire, explique la jeune femme engagée dans le bénévolat associatif, est de se sentir prisonnier dans cette cité. Le frère aîné de Fenda a 26 ans, travaille depuis trois ans, mais habite toujours l’appartement de cette famille d’origine malienne de neuf enfants. « Des amis qui ont réussi à quitter Clichy, je les compte sur les doigts d’une main. »

Le sentiment d’exclusion revient comme un leitmotiv

Toutes les cités ne souffrent pas d’un tel enclavement. Chez les habitants, le sentiment d’exclusion revient toutefois comme un leitmotiv lorsque sont évoqués l’école et le monde du travail. Mère de quatre enfants, Dalila Zermann a bien des soucis avec ses deux fils aînés, de 13 et 17 ans, tous les deux en échec scolaire.

Militante de l’association « Ni putes Ni soumises », cette maman d’origine algérienne et qui habite une cité de Gonesse (Val-d’Oise) estime le système éducatif inadapté à la réalité sociale des banlieues. « Dans notre collège, on voit peu de professeurs de plus de 26 ans, souligne-t-elle. Même la directrice est toute jeune. Ce qui nous manque, ce sont des professionnels d’expérience, des seniors qui incarnent le monde des adultes. »

À côté des missions d’enseignement, pour lesquelles ont été formés les professeurs, l’éducation nationale devrait accorder plus d’importance aux enjeux éducatifs, poursuit-elle. « Il faut savoir écouter ces jeunes dont beaucoup traversent dans leur vie des épreuves très dures », insiste-t-elle en remettant en cause le contenu même de la scolarité trop axée, selon elle, sur la transmission de savoirs.

« La chanteuse Diam’s dit dans un morceau que la rue lui a appris les codes. Voilà ce qui devrait être la priorité de l’école. Donner aux enfants des codes, des repères pour savoir comment se débrouiller avec la vie, leur apprendre leurs droits de citoyens. » Or, assure encore Dalila, en multipliant les dispositifs de soutien scolaire, l’institution ne fait que réformer à la marge, sans s’attaquer au noyau dur du contenu d’une scolarité qui demeure inaccessible à la grande majorité des familles de sa cité.

"Quand on vient d’une cité, il y a toujours quelque chose qui ne va"

Sorti du lycée avant le bac, Slimane Laziri porte aussi un regard amer sur le système éducatif. Mais la suite, le monde du travail, ne mérite pas une meilleure note. À 23 ans, ce jeune qui vit dans une cité sensible de Corbeil (Essonne) a réussi à décrocher un emploi comme animateur social municipal. Il devrait être titularisé en septembre et intégrer la fonction publique territoriale.

Fin de la galère. Pour arriver là, le jeune homme assure pourtant n’avoir pu compter que sur sa seule volonté. « Quand on sort de l’école où l’on est assisté, on est d’un coup lâché dans la nature. On ne connaît rien au marché du travail et on ne sait pas vraiment ce que l’on veut. »

Sans l’aide de l’ANPE ni de la Mission locale pour l’emploi, Slimane a dû se débrouiller pour trouver un financement aux diplômes d’animation qu’il a passés en deux ans. « J’ai été radié de l’ANPE parce que je ne m’étais pas présenté à une journée de sensibilisation aux métiers de la poissonnerie », se souvient le jeune homme à qui l’on ne faisait que des propositions sans rapport avec son projet.

Pour ses amis qui ont fait des études, l’entrée dans la vie active n’est pas plus simple en raison des discriminations à l’embauche. « Quand on vient d’une cité, il y a toujours quelque chose qui ne va pas, l’adresse, le nom de famille ou tout simplement la tête », affirme l’animateur social.

Il cite des amis qualifiés dans des domaines recherchés comme l’électronique contraints de travailler pour des entreprises de déménagement. Slimane Laziri juge qu’il faut d’urgence muscler les dispositifs d’accompagnement des jeunes entre la sortie du système éducatif et leurs premiers pas dans le monde du travail.

Les relations avec la police, enfin, reviennent en boucle dans les témoignages non seulement des jeunes, mais aussi de leurs familles, pour exprimer ce sentiment d’exclusion. Praveen Javaharlal vit à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), la cité qui s’était enflammée en novembre dernier.

Étudiant en histoire, ce militant de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ne cherche pas à excuser les violences mais insiste sur la dégradation du climat avec les forces de l’ordre. Le jeune homme évoque les contrôles d’identité, le « manque d’expérience des fonctionnaires qui craquent trop vite ». Depuis plusieurs années, « on a privilégié la répression sur la prévention, se désole-t-il. Je sais que la police a une mission très difficile. Mais la relation de confiance n’existe plus. »

Bernard Gorce

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